Выбрать главу

Cette fois, comme la photo est petite et en noir et blanc, je l’enfouille pour plus de prudence, au cas où il y aurait deux ou trois nanas qui prêteraient à confusion.

— Elle est chilienne, murmure le cireur en rangeant son bouquin dépenaillé ; elle s’appelle Vera Hernandez. Son bateau fera escale à Alexandrie dans cinq jours ; peut-être pourriez-vous la décider à faire une escapade au Caire et à la retrouver là-bas ?

— Peut-être, ou dois-je  ? je demande.

— A l’impossible nul n’est tenu, répond le vieux ; mais vous semblez avoir des arguments pour la décider.

— C’est tout ?

— C’est tout.

— O.K., merci, inutile de me faire l’autre soulier.

— Mais ils ne sont plus pareils ! objecte le consciencieux bonhomme.

— Tant mieux, ça me permettra de distinguer mon pied gauche du droit ; je les confonds toujours…

— Alors vous ne me devez qu’un dollar au lieu de deux, déclare le philosophe.

Moi, tu connais mon bol ?

Depuis la grille isolant la gare maritime, je la repère d’entrée de jeu, la môme Vera. Par harki de confiance je la confronte à sa photo. Pas d’erreur, c’est bien elle. Elle se tient appuyée à la rambarde du sun desk, sur tribord, et regarde la manœuvre d’accostage. D’autres pégreleux déguisés en croisiéristes se tiennent à ses côtés, comme des hirondelles perchées sur un fil électrique avant le grand départ d’automne.

La gosse est tout de blanc vêtue, ce qui a spontanément mobilisé mon attention : tu penses, elle si brune dans cette immaculade ! Une pure beauté ! Un velouté de peau, des formes… Je me surprends à redouter que mon « sex-appeal » reste sans effet. On est toujours à la merci d’un bide. C’est jamais gagné, ces petites entreprises-là. Tu tombes sur des sœurs dont tu n’es pas « le genre », sur d’autres encore qui ont « un amour au cœur » et sont fidèles. Et sur des gerces qui sont branchées sur le gigot à l’ail. Ne vends jamais la peau du slip avant de l’avoir retiré, p’tit gars, sinon t’auras des courbatures à l’illusion.

Vingt minutes plus tard, les passagers déhotent et se pressent dans ma direction. Des cars bleus sont rangés sur le terre-plein, moteur ronflant à cause de l’air conditionné. Autour d’eux, c’est brûlant et ça pue l’huile. Des marchands de cartes postales se préparent à l’assaut du touriste. La blouse grise est l’uniforme des modestes au Moyen-Orient.

J’ai retapissé le car espagnol. Il fait aussi pour les Allemands. Une souris ravissante, un peu rousse avec des yeux verts, très très pâles, discute le bout de gras en compagnie des chauffeurs. Je m’aperçois qu’elle n’a d’yeux que pour moi, aussi je me demande si elle ne serait pas « dans le circuit », elle aussi. Pour dire de voir, je m’approche et lui montre mon ticket.

Elle sourit.

— Vous êtes en avance, me déclare-t-elle en anglais, vous prenez quel car ?

— Espagnol.

— Alors vous êtes un client pour moi, elle m’assure d’un ton très beaucoup joyeux. Vous êtes espagnol ?

— Non, mais le général Franco l’était, j’élude. Vous non plus ne l’êtes pas avec des yeux pareils !

— Allemande.

— Tout s’explique.

Elle me dit :

— Montons, il fait meilleur à l’intérieur.

Et bon, franchement, c’est vrai qu’il règne dans le bus une température exquise comparée à la fournaise du quai.

Les sirènes des bateaux ululent autour de nous ; un monstre ronflement fait de mille autres bourdonne jusqu’à l’exaspération.

— Je m’appelle Hildegarde, me dit la guide.

Elle porte une jupe de couleur kaki, un chemisier à épaulettes sensiblement de la même couleur. Il est déboutonné bas, ce qui me permet de constater qu’elle est contre l’usage du soutien-gorge dans la société moderne. Qu’en ferait-elle, grand Dieu ! Elle a des seins qui peuvent sortir sans leurs parents et n’ont pas besoin qu’on les protège de la tempête en leur posant des haubans.

Elle est pleine de vie, de sève et de gaieté, cette gosse. J’ai une touche phénoménale avec elle.

J’ai choisi une place, derrière le conducteur, et elle s’est assise à côté de moi, son genou touchant le mien.

— Vous habitez Istanbul ? Je m’enquiers plutôt niaisement, comme si je lui demandais si elle demeure chez ses parents.

Elle renifle bon la femme. Je me sens dans l’antichambre des voluptés. Et tu voudrais ne pas être romancier, toi ? T’aller faire chier la bite à exister avec les autres ? Vivre en leur compagnie les mesquineries de tous les jours ?

Je laisse dériver ma dextre sur son genou poli comme un galet du Rhône.

— Il faut bien, soupire-t-elle, en réponse à ma question que tu trouveras quelques lignes plus avant si tu veux te la refoutre en tronche ; mon mari travaille au consulat d’Allemagne d’Istanbul.

Cher époux ! Comme il a raison ! Pour fêter ça, je remonte un brin la jambe, retroussant la jupe sans tu sais quoi ? Vergogne. Le grand soleil du Bosphore révèle le duvet blond de ses cuisses. L’idée me vient de lui faire minette comme ils disent dans les écoles. Mais on n’est pas suffisamment peinards.

— Je parie que vous n’êtes pas rousse ! hasardé-je.

— Vous croyez ?

Ça l’amuse, mon hypothèse.

Je la trousse complètement après m’être assuré que le conducteur jacasse toujours avec ses potes, adossé à la portière. Décidément, elle est contre les sous-vêtements, Hildegarde. Sa toison blonde et luxuriante apparaît en direct sur l’écran de mes désirs fous.

— Gagné ! soupiré-je en déguisant chastement ma main en slip, à l’exception du médius qui me sert pour l’ancrage.

Elle est frémissante de bas en haut, la mère.

— Vous êtes terrible ! m’assure-t-elle.

Et pour voir jusqu’à quel point, elle me rend la politesse de la main gauche. La nature de mes sentiments ne lui échappe pas, elle la presse avec bonheur.

Moi, je me tiens le raisonnement ci-dessous :

« T’es en train de jouer au con, mon lapin. Ta mission est d’emplâtrer la ravissante petite Chilienne et non cette exquise Teutonne au réchaud embrasé. Faut pas dérailler dans ta nouvelle profession de queutard à gages, mec ! Ressaisis-toi. » Mais pour que je me ressaisisse, faudrait préalablement qu’elle me lâche. Cercle on ne peut plus vicieux. Pour corser l’intimité, je lui place une pelle complémentaire.

Et quand j’ai achevé de lui déguster la menteuse, que vois-je ? La porte du car s’est ouverte. Le chauffeur nous contemple comme les quarante siècles pyramidaux contemplaient les bidasses à Napo. Mais y a pas que lui : les passagers de l’Exekias sont laguches, la sublime Vera en tête de cordée.

Oh ! merde, ça déguille mal. J’ai trop joué sur le velours avec ma première cliente. Pour ce qui est de la seconde, c’est pas dans la fouille ! D’autant qu’elle m’a l’air tellement réservée qu’on croirait qu’au lieu d’entrer dans le bus elle va plutôt entrer au carmel, la gosse. Ce regard méprisant qu’elle me virgule en grimpant dans le car, madoué ! Flétrisseur. Nous retirons prestement nos pognes et nos langues pour refaire un petit coup de « chacun chez soi ».

Bon, peu après tous les navigateurs sont à bord. La caravane s’ébranle. Hildegarde a rejoint son siège à côté du chauffeur et décroché le micro. Elle dit bonjour mesdames et messieurs, comme quoi son nom est Hildegarde. Elle va causer d’abord en chleuh, ensuite en espingouin. Elle prie bien poliment les Espanches de fermer leurs grandes gueules tandis qu’elle jactera le boche ; et ensuite que les Doryphores bouclent leurs claque-merde pendant qu’elle maniera le patois de Cervantès. O.K. ?