Elle traduit ça en espagnol. Tout le monde murmure que banco-vas-y-Ninette-on-t’écoute. Alors elle se met à tartiner sur l’Empire ottoman, tout ça. Et pour finir, elle annonce qu’on va commencer la visite d’Istanbul par la Mosquée Bleue, ainsi nommée parce qu’elle est bleue.
J’appréhendais le bide, avec Vera. C’est pire.
Le mépris, mon vieux cornard ! La haine, presque. Du moins une colossale antipathie spontanée.
Pendant que la môme Hildegarde raconte l’histoire de la Mosquée Bleue avec ses coupoles, sa fontaine purificatrice et tous les fabuleux tapis offerts par l’ex-empereur d’Iran, le roi Farouk et les pâtes Lustucru (les célèbres refuseuses d’œufs fêlés, cette pauvre Germaine !) je risque une approche de Vera Hernandez.
— Travail merveilleux, je lui déclare en lui montrant le plafond.
Elle feint de ne pas me voir et s’écarte de moi rapidos. Un peu plus tard, à la sortie, je risque une seconde tentative, m’effaçant pour la laisser passer avec un sourire ensorceleur, mais elle rebrousse carrément chemin, ce qui est une façon catégorique de me dire merde en chilien de salon.
Cruelle déconvenue. Tu l’aurais pas laissé au vestiaire, ton sex-appeal, Antonio ? Non, pourtant, car Hildegarde, elle, me charge à tout-va ; racontant Istanbul sans me perdre des yeux ; me faisant l’amour à pleins châsses, salivant (le Magnifique) de la prunelle et de la figasse.
Ils vont en penser quoi t’est-ce de mon flop, mes généreux commanditaires ?
Deuxième point excursif, le fameux musée Topkapi. Bon, alors on se fait tout le fourbi : la collection de porcelaines chinoises installée dans les anciennes cuisines de l’ancien palais. Je te démolirais le blaud à coups de flingue ou de Police-Piéton, comme dit Béru qui a horreur des reptiles, et donc des pythons constricteurs.
Je me contente désormais de contempler la gosse vêtue de blanc en lestant mes lampions de toutes les mélancolies les plus romantiques. Un qui me connaîtrait pas me dirait « Bonjour, m’sieur Werther ».
Mais j’ai beau m’escrimer, Vera ne m’accorde pas le moindre poil de cul d’intérêt.
Ah ! que dur est l’échec, et comme est épais le sang de l’orgueil, j’en causais l’autre jour avec mon buraliste. Qu’il est humiliant pour l’homme de jeter son dévolu et de devoir le remettre dans sa culotte, tristement, comme le terre-neuvas ramène son filet vide, une dame pipi me le faisait remarquer la semaine passée. Un jour, mon cher, mon triomphal Robert Hossein me disait : « J’ai remarqué que nous avons un point commun, toi et moi : nous tirons la chasse avant d’avoir fini de pisser ; ce qui prouve que nous sommes des êtres impatients. »
Eh oui, Robert, nous le sommes. Et sais-tu pourquoi nous sommes impatients, vieux frangin ? C’est parce que nous savons que nous n’avons pas le temps. Dis, tu les as vus filer, Francisque, Amin et les autres ? On faisait semblant de ne pas y penser, mais nous ne le savions que trop qu’ils nous lâcheraient, comme nous allons lâcher nos gentils et nos merveilleuses. Pas le temps. Chaque seconde compte. Alors on se grouille de pisser et on tire la chasse avant la fin de la miction en croyant économiser un bout de moment. Mais l’économiser sur quoi ? Et pourquoi ? Ma grand-mère me répétait sans cesse : « Ne cherche jamais à te venger de quelqu’un. Attends et regarde : le temps fera toujours mieux que toi. »
Or, donc, moi talonné par le temps et l’orgueil, je tente d’emballer la môme Vera, si sublime, mais c’est Hildegarde qui répond aux appels que je ne lui adresse pas. L’apothéose, faut que je te bonnisse, c’est à Topkapi. Plus que ça, et on ne cause plus de cul avant la page suivante, juré craché.
Tout le monde a vu le film de Jules Dassin que la téloche programme toutes les semaines bissextiles. Il est intéressant malgré la mère Couri qui possède un tel talent de comédienne qu’on a fini par en faire un ministre. Tu te rappelles le fabuleux joyal (un joyal, des joyaux) que veulent emparer des malfrats ? Dans la réalité la topographie de la salle où se trouve exposé le poignard diffère. Pour les besoins du film on a situé cette arme rutilante au centre d’une très vaste pièce en rotonde surmontée d’une coupole. En fait, la salle est rectangulaire, pas très vaste, et la vitrine du poignard est adossée à un mur. Toujours est-il que le film l’a rendu tellement célèbre que c’est le rush. En l’apercevant, tout le monde se précipite, se presse, s’exclame, hèle ses proches.
La pauvre Hildegarde qui s’est mise devant le trésor est gaufrée de première. Elle crie « Ne poussez pas, tout le monde le verra ! » Ils sont bien d’accord, les « tout-le-monde », encore faut-il que ça soit rapide. Ils en veulent pour le ticket, les gueux. Tout bien regarder à gros yeux, de très près. La jolie Allemande aux yeux plus verts que les émeraudes qui nous entourent, le devoir avant tout, place son laïus : « Ce magnifique poignard, señores et señoras, herren und damen… »
Moi je me trouve plaqué à elle. Je sens sa motte à travers mon bénouze. Impossible de me contrôler. Mes paluches entrent dans la danse. Je te lui remonte la juperie. Elle rapetisse soudain, Hildegarde, du fait qu’elle ouvre son compas. Je balise de mes doigts experts. Elle continue de tartiner, et les autres connards de pousser, ce dont je ne tarde pas à les remercier. Tu vas dire que je libidine ? Soit. Dis ce que tu veux, y a lurette que j’ai franchi le point de non-retour et que ton opinion à vous tous, je m’en sers de papier hygiénique satiné double face. Je peux te dire une chose, mon vieux melon, embroquer une pareille pétroleuse debout, avec trente-huit personnes qui te cigognent le dos, ça oui, c’est des sensations. Et même des sensations sensationnelles.
Elle perd doucement les pédales, la jolie guide. Elle bavoche comme quoi ce poignard qui a appartenu à Zébulon-le-Cucurbite (ainsi surnommé parce qu’il avait la panse renflée). Plus vite ! Ah ! Enrichi de diamants, d’émeraudes, de rubis, de pubis, de zob, de voui vouiiii comme ça, n’arrête pas ! A été copié pour le film de Jules Soliman Ier, né à Dassin 1494–1566 ! Vas-y ! Fort ! Fort ! Gut ! Gut ! Aooo h ! mein Gott ! Tout ! Tout ! D’une valeur inestimable qui que quoi dont où… Ich jouis ! Vrrrraou ! Brzzzzwww Muy bueno ! Olé ! Me laisse pas ! Encore un peu ! C’est ça ! Topkapi, Istanbul, Constantinople ! Mais c’est Bysan an ante !
Elle spasme.
La horde continue de horder. Notre beau sublime panard public, ils s’en tamponnent, les flasheurs. Clic, clac, merci Kodak ! Ne se sont pas seulement aperçus de cette enfilade expresse. La digue du cul, eux, connaissent pas. Au dodo seulement, la petite tringlée à bobonne pour glorifier la vie de croisiéristes. On est là pour ça. Tagadagada, mon vieux lapinos, bonsoir Jeannot ! Un petit coup de repérage, je lance ma casquette et poum ! Je tire mon coup. Raté ? Fais-toi une raison, Ninette, je te revaudrai ça demain. Eh, dis donc, c’était bien Sainte-Sophie, non ? J’espère que mes diapos seront bonnes ! Dors bien, ma poule. Quoi, le commandant ? Pas si joli garçon que ça. C’est l’uniforme qui t’impressionne. Fous-moi une tenue blanche et des galons, je fais mouiller toutes les gonzesses du bord. Allez, te monte pas le bourrichon, dors, t’as beaucoup mieux que le commandant dans ton plumard.
Textuel, je le jure.
Ils sont ainsi.
Cons et heureux. Bandant mou ou fugacement, mais fiers de leurs non-prouesses. C’est le petit Jésus et Son papa Bon Dieu qui leur accordent cette grâce infinie de l’autosatisfaction. Que seraient-ils sans eux-mêmes, les cons ? Des cons ! Pauvres cons…
Ce qui n’empêche que ma mission number two a tourné en eau de boudin.