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— Y a de ça, admets-je. Si jamais on y parvient, tu parles d’une toile de tente !

* * *

— Tu crois qu’elle nous a vidé son sac ? demande Béru.

— Ça ne fait pas de doute, lui dis-je. Elle a ratissé la valise dans les conditions décrites par elle. Elle l’a rapidement inventoriée, puis elle est allée fourguer le blaud au zigoto des Puces. Elle doit en secouer tellement qu’elle ne se rappelle plus très bien ce que contenait ce bagage… C’est au vieux mironton qu’on va demander un supplément d’information. J’ai idée que cet honnête receleur en sait plus long qu’il n’en a dit…

Peu contrariant, Bérurier hoche la tête.

— Qu’est-ce que je pourrais lui mettre autour de la queue ? demande-t-il.

Je sursaute.

— Hein ?

Il brandit son écureuil.

— Mords la came, San-A. Il a la couette qui se barre, le pauvre chéri…

Je ricane.

— Ce que tu es bonnard pour les animaux. Même empaillés faut que tu les dorlotes…

— J’ai toujours eu un faible pour les écureuils, avoue-t-il. Quand j’étais mouflet, à la cambrousse, on en attrapait et on les mettait dans une cage ronde… Ils tournaient pendant des jours… après on les bouffait. Tu peux pas savoir ce que la chair est délicate…

— Je reconnais là ta profonde sensibilité, Béru. Tu as une âme d’artiste, faut te secouer…

Béru est ému. Il essuie une humidité imaginaire dans ses yeux.

— Que veux-tu, murmure-t-il, on ne se refait pas !

CHAPITRE VI

Dis-moi tout !

Lorsque nous parvenons sur l’emplacement occupé par le vieux marchand d’ordures, nous ne trouvons que le vide. Mettant à profit notre heure d’absence, il a ramassé son concentré de poubelles et a fichu le camp.

Cette fuite rapide fortifie ma certitude concernant une certaine culpabilité du mironton.

Pour qu’il ait mis les adjas avec tant de précipitation, il faut qu’il ait le trouillomètre perturbé. S’il a peur, c’est qu’il a quelque chose à se reprocher : C.Q.F.D.

— Nous devons lui mettre la main dessus presto, dis-je à Bérurier. Il faut questionner ses collègues pour obtenir son adresse dare-dare.

Nous voilà en chasse… Nous interviewons tous les pignoufes d’alentour et c’est le sidi à l’écureuil qui nous rancarde. Un jour, il a donné un coup de paluche au vieux pour l’aider à coltiner une collection de la Revue des Deux Mondes reliée chagrin.

Il pioge rue de Lappe, au fond d’une cour… Le crouille ignore le numéro, mais précise que c’est à côté d’un marchand de meubles pour cafés.

Nous décarrons en voltige.

Maintenant, Paris est en plein boum. Il fait un temps honnête, du genre faibles ondées le matin, mais avec la promesse de beau temps pour l’après-midi si l’anticyclone en provenance des Açores ne s’amuse pas en route.

Je coupe par Barbès, je vais rejoindre la Bastille dont le génie semble se plaindre d’une mauvaise crampe consécutive à sa fausse position, et enfin c’est la rue de Lappe, avec ses bals, ses petites boutiques et son atmosphère de province encanaillée.

La première personne que nous apercevons, par un heureux hasard, c’est précisément notre homme. Il est attelé dans les brancards d’une voiture à bras et il s’évertue à faire passer son chargement de détritus par un porche assez étroit.

— Le v’là ! mugit le Gros.

— J’avais remarqué, dis-je.

Et je range ma pompe en bordure du trottoir. Lorsque nous en descendons, le brocanteur a réussi à passer. Nous lui emboîtons le pas.

La cour où il a son capharnaüm est une cour des miracles. Imaginez de petites constructions lépreuses, noires, aux vitres brisées. C’est obscur, fétide… Il y a des mômes cradingues qui jouent, des types saouls qui gueulent, des femmes pas peignées qui chialent… Et par-dessus le toutim, Europe 1 qui nous file du trio Raisner comme s’il en pleuvait.

Les closets sont collectifs, dans cette cour des miracles. Justement un gros type en sort en remontant son grimpant. Notez que ça fait plus intime…

Le père la brocante stoppe son attelage sous un maigre hangar couvert de carton goudronné. Il ouvre une porte basse et crie :

— C’est moi.

Une voix de femme geignarde s’exclame :

— Déjà !

— Oui, fait-il, j’ai ma crise de rhumatismes qui commence…

La voix off se lamente, comme quoi la vie est déjà compliquée quand on travaille, et ceci et cela…

C’est l’instant que nous choisissons pour intervenir.

Nous filons les panards dans une cahute infâme… Elle se compose d’une pièce coupée en deux par un galandage. La première sert de cuisine, l’autre de chambre.

— Coucou ! lancé-je joyeusement.

Le vieux fait un saut de côté. Il nous voit et son regard devient aussi inexpressif que celui d’un adjudant-chef décoré sur l’esplanade des Invalides.

— Vous ! murmure-t-il.

Je ne sais pas ce qu’il pensait de la rousse, le fossile, en tout cas rien de bon pour se croire à l’abri de nos visites…

— Qu’est-ce que c’est ? gronde la mégère d’à côté.

Un drôle de père Fouettard, sa bergère. Ça se comprend à l’intonation. C’est le genre de nana-malade-qui-en-fait-baver-de-sévères-à-son-camarade-de-vie-avant-de-canner.

Sûrement que ça ne va plus tarder, le Grand Départ. Alors elle met le pacson, cette peau ! Elle sait bien que les bonnes femmes clabotent longtemps après leurs jules d’ordinaire. Cette entorse aux convenances, elle la fait casquer chérot au marchand de déchets.

— Qu’est-ce que c’est, Émile ? glapit l’ogresse sur un ton qui n’admet pas de réticences.

Le vieux est éperdu. Il nous regarde d’un œil implorant et met un doigt sur sa bouche pour nous demander de ne pas révéler nos professions.

— C’est des clients, Germaine… Je vais m’occuper d’eux…

Se tournant vers nous avec un air entendu, il dit :

— Messieurs, si vous voulez bien me suivre à la réserve…

Bérurier me pousse du coude.

— J’ai idée qu’on a mis dans le mille en venant ici, fait-il. Il a tellement la pétoche de son os qu’il dira ce qu’on voudra !

Le vieux nous entraîne sous le hangar où il a remisé sa voiture à bras.

Il tremble comme s’il venait de passer le week-end dans la chambre froide d’un louchébem.

Chose curieuse, il nous fait des reproches ; ainsi les faibles ont-ils de ces réactions imprévisibles.

— Pourquoi êtes-vous venus ici ? dit-il.

Probable qu’il devait se croire tabou dans son piège à rats.

Je le pousse contre la roue de sa charrette.

— Parce que vous ne nous avez pas dit la vérité, mon cher monsieur.

— Mais…

— Inutile de bêler…

Il regarde Bérurier qui fut son client avant de devenir son tourmenteur et l’implore du regard. Mais il aurait meilleur compte d’attendrir un tigre affamé en lui jouant du Mozart à la clarinette baveuse.

— Si vous ne déballez pas tout le paquet immédiatement, fais-je, je vous arrête pour recel devant votre digne épouse.

Il porte la main à son cœur, comme on le fait au Théâtre-Français pour montrer combien on est emmouscaillé.

— Vous allez nous tuer…

— Dégrouillez-vous de parler, mon vieux, nous avons perdu assez de temps comme ça…

Il respire profondément. Un grand calme inonde son visage, car il vient de prendre le parti de dire la vérité.

— Eh bien, voilà, commence-t-il. Marthe Bonvin m’a amené un jour une valise.

— Parlez-nous un peu de ce bagage ?