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Inutile de vous dire que j’y fonce à toute vibure. Je roule de si bon cœur que je manque occire un brave cycliste. Il brame à la garde vilain ! C’est un livreur de baveux. Il me crie que c’est pas la peine de cavaler comme si j’avais Nasser aux miches, et il m’expose en termes véhéments qu’il supprimerait les automobiles s’il était à « leur » place… Sous-entendu « eux », les gars du gouvernement…

Cet incident technique, dépendant de ma volonté, ne m’empêche pas de gagner Javel en gambergeant sec à l’histoire… Les Grosses-Paupières a été en cheville avec la mère Berthier pour une combine qui reste à découvrir. Il s’est assuré sa complicité moyennant un paquet d’artiche que la prudente veuve a agrafé derrière le tableau de sa chambre. Elle a fait ce qu’on attendait d’elle, et les Gros-Stores n’a plus eu besoin de ses services ; ou bien au contraire elle s’est déboutonnée au last moment et a fait un coup de chantage ; toujours est-il que ce brillant spécialiste du coup sur la noix a bousillé la digne personne…

Le mystère se corse, comme on dit à Bastia. Jusque-là, une seule et faible lueur… Un seul dénominateur commun : il y avait une trousse médicale dans la valise volée qui contenait l’appareil photographique ; et… Mme Berthier était infirmière… Comprenne qui peut.

L’Hôtel des Deux Ponts et de la République Réunis est une construction ventrue et grise.

Il y flotte une odeur un peu âcre de repassage et de cire liquide.

Le patron est assis derrière son bureau. Au lieu d’y écrire ses mémoires, il y consomme une côte de porc agrémentée de pommes frites. Lorsque je m’incruste dans son espace vital, il lève de sur son auge une tête énorme qui doit peser dans les trente kilos et dont les cheveux sont en brosse. Il a un nez dont l’extrémité a été tranchée net par un éclat d’obus ou une porte d’ascenseur et des yeux qui ne voient pas plus loin que le bout manquant de ce nez.

— Je suis complet, annonce-t-il.

Et d’exhaler une incongruité qui laisse entendre que l’expression doit être prise au sens malpropre du terme.

Je m’annonce. Ma qualité de policier ne le trouble pas.

— Je suis en règle, dit-il, je vais vous donner mon registre… Et pour les contributions aussi. Le mois dernier j’ai eu les polyvalents, ils n’en sont pas revenus…

Je hausse les épaules…

— Je ne suis pas là pour ça… Je cherche un type vêtu d’un pardessus marron, coiffé d’un mou noir et possédant des paupières très tombantes. J’ai des raisons de croire qu’il habite ou a habité votre réserve de puces !

Il racle de la pointe du coteau l’os de la côtelette.

— Jamais vu l’oiseau que vous dites, affirme-t-il. Et j’ai pas de puces non plus vu que je passe du DDT chaque semaine dans toutes les piaules !

Je le regarde entre les deux carreaux, mais il ne se trouble pas. Ce bonhomme est réglo, honnête et consciencieux.

— Bon, alors peut-être avez-vous comme pantin une jeune femme merveilleusement blonde qui portait un tailleur noir ?

Il hoche la tête.

— J’ai eu quelque chose dans ce goût-là, oui.

Mon palpitant se met à jouer Parlez-moi d’amour.

— Comment s’appelait-elle ? demandé-je.

— Attendez, fait-il, un nom bizarre, qui sentait la Bretagne…

Il se lève et va potasser un registre noir étoilé de graisse.

— Kessmann, dit-il… Marie-Louise, née le 16 mai 1928 à Copenhague…

Je note fiévreusement.

— Elle est restée longtemps ici ?

— Attendez…

Il compte entre ses dents.

— Onze jours, annonce l’hôtelier…

— S’est-elle absentée entre-temps ?

— Non !

— Elle est partie quand ?

— Ce matin.

— Elle vous a montré des papiers en arrivant ?

— C’te bonne blague ! s’exclame mon vis-à-vis, vous croyez que je prendrais quelqu’un sans s’être assuré de son identité ? J’ai vu son passeport de mes propres yeux, et je peux vous dire en plus qu’il était en règle…

Je tends la main à ce digne loueur de bidet.

— Merci, vous êtes un brave homme.

Il se rengorge et je le quitte pour la Grande Cabane. C’est le moment de déclencher le gros pastaga.

D’accord ?

CHAPITRE X

Le goudron commence à devenir limpide

En me pointant dans mon bureau, je sonne un de mes auxiliaires pour lui demander des nouvelles de Bérurier. Le gars me dit que mon pote le Dilaté est en campagne et qu’on ne l’a pas revu depuis la veille.

Je lui recommande de me le brancher sitôt que le Gravos aura donné signe de vie. Ensuite je me mets en communication avec les Sommiers puis avec les Renseignements généraux pour essayer d’y trouver la trace de Gros-Cocards et de sa complice, miss Kessmann, mais ces deux personnages y sont résolument inconnus. Je n’insiste pas et me rabats sur l’ambassade du Danemark. Là-bas on me promet d’enquêter immédiatement à Copenhague au sujet de la môme Marie-Louise, et on me dit que les renseignements me seront immédiatement communiqués.

Bon, voilà qui est fait… Il ne me reste plus qu’à attendre. Seulement attendre quoi ? Je me dis que les deux équipiers se savent talonnés maintenant et qu’ils doivent assurer leurs arrières. La preuve en est qu’ils ont lessivé l’infirmière chef…

Je m’abîme dans une trouble rêverie… Comme tout cela est bizarre, incertain…

La photo d’un mort sommeille, si je puis dire, dans un appareil photographique volé. On…

Soudain je bondis… Inutile d’aller plus loin, je viens de penser à quelque chose. Si mon idée s’avérait juste, ça changerait la face du problo…

Je passe un coup de bignou à Favier en lui demandant de descendre de son labo et je sors de mon portefeuille la photo du mort. Je la pose bien à plat sur mon bureau, je m’empare d’une loupe et je regarde très attentivement…

Je suis encore paumé dans mon examen lorsque le grand Favier se la radine les tifs plus rouquins que jamais ! Un vrai incendie en balade !

— Alors, commissaire, demande-t-il, vous avez enfin éclairci ce mystère du mort photographié ?…

Je secoue la tête.

— Tout ce que j’ai pu éclaircir c’était mon caoua matinal, en y cloquant du lait dedans… Je vous ai fait venir parce qu’il m’est venu une idée.

— Ah oui ?

— Au sujet de ce personnage…

— Quelle idée ?

Je hausse les épaules.

— Une idée qui, à première vue — et c’est le terme qui convient —, peut sembler idiote, mais à laquelle je me rattache de plus en plus.

Il est tout ouïe !

— Allez-y !

— Pourquoi cet homme ne serait-il pas vivant ?

Je lui aurais filé un crochet au foie qu’il ne serait pas davantage sonné. Il gratte sa tignasse incandescente et passe sa langue à l’intérieur de ses joues pour les dilater un peu…

— Mais, parce que, de toute évidence il est mort, objecte-t-il enfin.

Je secoue la tête.

— Favier, quels sont les détails de ce portrait qui nous font immédiatement conclure que c’est celui d’un mort ?

— Eh bien…

Il se penche, chope la photo et la bigle intensément.

— Naturellement la blessure, dit-il.

— Une blessure à la tête n’est pas toujours mortelle, mon petit !

— D’accord, mais ses yeux sont bien morts, vous ne le nierez pas ?

— Je ne le nie pas, mais je vais vous objecter autre chose… Un vivant peut avoir des yeux morts !

Il s’obstinait à ne pas comprendre…