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L’hôtel particulier qui abrite ces messieurs-dames les tourmentés de la toiture est paisible en ce frais matin. Le portier décoré m’ouvre, me reconnaît, me salue et me guide jusqu’au grand hall.

En cours de chemin, il m’annonce que le professeur Lafrère est en voyage. Il a été rappelé au chevet de son père, en Vendée. Je ne me casse pas le chou pour si peu et je demande à visionner son assistant, en Vista Color et en chair et en os.

On souscrit illico à ma demande. Survient alors un jeune toubib au teint jaune, au cheveu noir et à la bouche pincée par les déceptions de l’existence.

— Docteur Perron, se présente-t-il.

— Commissaire San-Antonio.

Je lui produis l’éternelle photo.

— Vous connaissez ce monsieur, docteur ?

Il ne bronche pas.

— C’est un de nos pensionnaires…

Lorsque Robinson a vu radiner Vendredi, lui qui avait tellement envie de faire jeûne, il n’a pas été plus satisfait, plus soulagé et plus heureux que moi. Je touche au port, c’est rudement bath, vous savez !

— Je devrais plutôt dire : c’était un de nos pensionnaires, rectifie cet endoffé de frais, car il est parti hier matin !

— Quoi !

Du coup, mon bonheur se racornit.

— Parti ?

— Oui, son fils est venu le chercher…

— Un garçon avec de lourdes paupières ?

— Oui, vous le connaissez ?

— Je ne l’ai vu qu’une fois, mais il m’a beaucoup frappé.

Je passe deux doigts en crochet entre ma limace et ma pomme d’Adam, manière de faciliter le boulot de mes éponges.

— Il s’appelait comment, ce pensionnaire, docteur ?

— C’était un Suisse-Allemand nommé Buzler… Il avait perdu la mémoire à la suite d’un accident… Il n’était pas dangereux, mais son fils l’avait placé chez nous pour quelque temps avant de rentrer dans son pays car le malade avait besoin de soins…

C’est confus, tout ça. Je décide de passer le grand démêloir.

— Parlez-moi de lui, docteur, sur le plan médical. Sa blessure est-elle vraiment grave ?

— Elle l’a été ; maintenant il est hors de danger…

— Comment se comportait-il ?

— Il était du genre prostré. Il ne parlait pas et on devait l’obliger à manger.

— Pensez-vous qu’il ait vraiment perdu la mémoire ?

— Sans le moindre doute. Du reste, la nature de la blessure en disait long… Je peux même préciser qu’il ne la recouvrera jamais.

— Parlait-il ?

— Pratiquement pas, et en tout cas pas en français…

— Son… fils savait-il qu’il était définitivement amnésique ?

— Nous le lui avons dit, mais il conservait de l’espoir… Il affirmait, ce qui du reste était désobligeant pour nous, que les médecins de son pays réussiraient le miracle…

Non, mais vous vous rendez compte, les gars ? Vous mordez bien où nous en sommes ? Les yeux morts de Munhssen ne venaient pas d’une cécité, pas non plus d’un éblouissement, mais par le magnésium d’un flash ils traduisaient son état mental… Ils reflétaient le désert de sa pensée.

— Comment était-il venu chez vous ?

— Notre infirmière chef était liée avec la famille Buzler, c’est elle qui nous avait amené ce malade…

— Bien, il est parti avec… heu… son fils… De quelle façon ?

— En voiture. Cette pauvre Mme Berthier les accompagnait. C’est peu après qu’elle a eu son accident.

Son accident ! Joli euphémisme.

— Vous avez aidé au chargement du vieillard ?

— J’accompagne toujours nos malades jusqu’à la porte ! se rebiffe-t-il.

Voyez-moi cette grande asperge ! C’est gland à chialer et ça se prend pour le gladiateur du patelin !

— Je ne peux qu’applaudir cette courtoise habitude, docteur. Dans quelle voiture est-il parti, était-ce une ambulance ?

— Non, une auto particulière. Pour préciser, une Ford Vedette d’un modèle périmé, noire…

— Nous y revoici.

— Pardon ?

— Excusez, je me parlais à moi-même… Vous n’avez pas repéré le numéro ?

— Non.

Je danse d’un pied sur l’autre pour chercher à équilibrer mes pensées.

— Le… fils du malade vous avait sans doute donné une adresse où le joindre en cas d’aggravation ?

— Non, il nous avait confié son père parce qu’il était obligé de voyager. Il nous avait dit que si l’état empirait, leur amie, madame Berthier, saurait qui il fallait alerter…

Décidément, ce Cazeck est un petit prudent. Il ne laisse rien au hasard…

J’ai de plus en plus envie de faire la causette avec lui.

— Vous permettez que je téléphone ?

— Je vous en prie.

J’appelle le burlingue. Dupied s’y trouve précisément.

— Ouvre tes manettes toutes grandes ! lui dis-je. Vous allez repartir au charbon, toi et les autres. Cherchez un certain Buzler, sujet suisse. Faites tous les hôtels, toutes les pensions de famille. Demandez le concours des garnis car il s’agit de faire vite. Visitez les loueurs d’autos ou les marchands d’occasions. Cherchez qui a vendu ou loué, soit à un type aux paupières tombantes qui se fait appeler Buzler, soit à une fille blonde soi-disant nommée Kessmann une Vedette noire ancien modèle. Et que ça saute… Tenez-moi au courant minute par minute des résultats. Mobilisez les autres services s’il le faut… Nous devons alpaguer ce polichinelle et il a vingt-quatre heures d’avance sur nous. Prévenez la police des gares, la routière… Tout homme correspondant à ce signalement et escortant un vieillard blessé au visage doit être immédiatement mis au frais, vu ?

Dupied a tout noté à la volée. J’entendais grincer son stylo sur le papier grenu de son bloc.

— Compris, chef !

Je raccroche.

— C’est si grave que ça ? demande le jeune toubib bilieux.

— Ça l’est davantage encore ! lui lancé-je en m’esbignant.

CHAPITRE XII

Je décide… de prendre une décision décisive

Ce qui fait la force de la grande rouquine, c’est son organisation, sa multiplicité, son obstination. Un homme qui a la police au derche ne peut pas grand-chose parce que trop de forces, trop d’hommes sont ligués contre lui.

Les choses ne traînent plus. Deux heures après mon coup de fil à Dupied, un bougre a retrouvé le garagiste qui a loué la Vedette. C’est un type de Pereire, spécialisé dans la location de voitures à la semaine et au mois.

Je fonce chez lui. Il s’agit d’un monsieur élégant qui n’a jamais eu une tache de cambouis sur les doigts. Il fait le beau dans un bureau cossu avec une secrétaire blonde à portée de la main et un téléphone blanc devant lui.

Il me reçoit on ne peut mieux, tout heureux d’offrir un intérêt pour la police.

Il me propose à boire, à fumer, et sa secrétaire pour un peu.

Il a loué l’auto à une demoiselle Kessmann, lundi matin. C’est donc pour aller récupérer son pote les Gros-Lampions que la souris blonde a pris une voiture. Le véhicule a été loué pour la semaine.

Elle a produit son passeport et a versé une caution de cent mille balles.

— C’était une fille très jolie, affirme le loueur de ferrailles.

Là-dessus, la secrétaire pince les lèvres. Elle me paraît drôlement jalmince. Elle doit tenir à sa bonne gâche sur les genoux du patron.

— O.K. Donnez-moi le numéro de la bagnole.

— C’est le 47 AA 75…