Là, les mecs, je peux vous dire que j’y vais au culot. Je marche à l’impression personnelle, ce qui est parfois un meilleur carburant que l’essence.
Il se trouble.
— Mais…
Bérurier, qui a flairé enfin du louche, devient mauvais. Et lorsque cette grosse gonfle tourne au vinaigre, il y a de la perturbation sur le secteur.
Il se saisit d’un vase de Sèvres posé à côté d’un casque de cuirassier et se met à jongler avec, ce qui fait frémir le petit vieux.
— On l’amène à la Grande Caverne ! dit Béru. Je vais y causer de la météo, j’te jure !
Lors, le fossile s’émiette.
— Je crois me souvenir en effet du nom de la personne qui m’a cédé l’appareil… C’est une certaine Marthe Bonvin…
Je jubile !
— Marthe Bonvin, dite Martha Vol-au-Vent ! Eh bé, mon cher électeur, vous travaillez avec du beau monde ! C’est plus du commerce que vous faites, mais du recel…
L’édenté se liquéfie. Il dit qu’il a soixante-douze berges, des plaies variqueuses, une femme paralysée et le brevet élémentaire ! Il ignore le curriculum de Martha… Il…
— Viens, dis-je au dresseur d’écureuil empaillé, je sais où l’on peut trouver Martha…
Avant de m’éloigner, je cramponne le petit vieux par son cache-nez.
— Si vous commettez l’imprudence de la prévenir de notre visite, menacé-je, je vous donne ma parole de perdreau qu’on vous passera votre petit déjeuner de demain à travers un guichet.
Il fait un signe affirmatif qui amène ses lunettes à la pointe extrême de son nez.
Là-dessus nous partons, bras dessus, bras dessous, avec l’écureuil.
CHAPITRE V
Diplomatie autour d’une valise
qui n’est pourtant pas diplomatique
Je n’ai pas menti en disant que je connaissais Marthe Bonvin, dite Martha Vol-au-Vent. Lorsque j’étais simple inspecteur, j’ai eu maille à partir avec elle plusieurs fois. Cette digne personne s’était spécialisée dans le vol à la tire. Elle « faisait » les usagers du métro, ou, du moins, leurs poches. Sa station préférée c’était Sentier, peut-être que le mot évoquait en elle une enfance vagabonde ? Depuis quelques années, elle semble s’être un peu assagie. J’ai eu de ses nouvelles incidemment par un collègue de la Mondaine qui a fait une descente récemment dans un petit hôtel des Halles où elle crèche : l’Hôtel de la Coquille et de l’Escargot Réunis.
C’est sur cet établissement d’ultime zone que nous mettons le cap. Il occupe trois étages d’un immeuble étampé avec des madriers, plus ventru que Bérurier, plus noir que le col de sa chemise, plus fétide que son haleine, plus disloqué que son écureuil.
Le taulier n’a plus d’âge, plus d’ambition et un nom réduit au maximum : Dudu ! Il porte une vieille casquette dont il ne se départ jamais et qui nécessiterait l’emploi d’un chalumeau oxhydrique si on tenait absolument à la lui ôter.
Il a un gros nez, des yeux vagues, une moustache commanditée par les cycles La Perle et l’air déprimant de quelqu’un qui n’attend plus qu’une épidémie de choléra pour faire une fin.
Je le connais de vue car ça fait un sacré bout de moment qu’il tient des hôtels craspects et qu’il donne asile aux plus effarants triquards de ce département.
En nous voyant, il lève un sourcil surpris. Non à cause de notre intrusion, mais à la vue de l’écureuil. En général, les chaussette à clous qui lui rendent visite brandissent de préférence un outil à effeuiller les bulletins de naissance.
Sa stupeur est de courte durée. Ce gars-là en a vu tellement au cours de sa vie de cloporte que si un éléphant rose habillé en mandarin chinois venait lui demander une chambre, il se contenterait de lui filer la clé du 6 parce que c’est sa plus grande carrée !
Il est huit plombes et je sais que Martha Vol-au-Vent est en plein sommeil. Elle se poivre régulièrement le naze jusqu’à deux heures du morning, la grosse truie, alors elle en écrase jusqu’à midi… Elle aime gratter en début de l’après-midi. Les gens, à cet instant, se débattent avec la digestion et ils sont moins sensibles aux contacts extérieurs.
— On vient voir Martha, fais-je gentiment à cette émanation du néant.
Il fait la moue :
— A ronfle !
— Tant mieux, j’ai toujours rêvé de la regarder dormir. Ça et les chutes du Niagara, c’est mon désir farouche… À quel numéro est-elle ?
— Au 22 !
— C’est pas une piaule, c’est un chemin de ronde, non ?
Je me gondole[1], comme disent les Vénitiens. Et je pousse Bérurier vers l’escalier au tapis crevé. Nous nous encordons, lui, moi et l’écureuil afin d’entreprendre l’une des plus téméraires ascensions du siècle.
Le 22 se situe, vous l’avez deviné, au second étage. Je frappe à la porte de cette chambre, mais ne reçois, en guise de réponse, qu’un ronflement pareil à un coup de frein brutal.
J’essaie d’actionner le loquet et j’ai le plaisir de voir s’ouvrir le battant.
Nous découvrons alors une chambre invraisemblable. Le plancher descend en pente douce jusqu’à une fenêtre aux vitres brisées. Il ne reste que des lambeaux de papier au mur. Le pageot est un tas de ferraille innommable supportant de la literie souillée, déchirée, grise de crasse.
Sur ce monticule repose Martha Vol-au-Vent. Imaginez une dame pesant dans les cent dix kilogrammes et ne mesurant pas un mètre cinquante. Elle est mafflue, poilue, couperosée, avec les crins coiffés à l’ange, naturliche, et des lèvres pareilles à deux limaces en conversation. Elle est presque complètement déloquée, because la touffeur de la chambrette. Une vraie nature morte ! C’est pas la turne de Mimi Pinson, mais celle de Mimi Pince-Fesses.
Bérurier en laisse choir son écureuil.
— Tu parles d’un strip-tease ! murmure-t-il. Mince de décarpillage, gars !
Cette réflexion, cependant formulée à voix basse, tire la vachasse de son sommeil. Elle délourde ses vasistas et file sur nous un coup de saveur sans joie. Ses gobilles sont voilées par de récentes vapeurs d’alcool. Elle se met à claper de la menteuse et tire sur sa nudité un drap qu’une autre vache refuserait énergiquement comme litière.
Puis elle se file en pétard.
— Messieurs les poulardins qui se rincent les châsses à c’t’heure !
— Si t’appelles ça se rincer l’œil, Martha, c’est que tu ne t’es jamais rencontrée en tête à tête avec un miroir… Voile-nous le reste de ta triperie qu’on reprenne un peu goût à la vie !
Elle éructe :
— En v’là des giries ! C’est-y des manières de s’introduire dans les chambres des dames, comme deux malpropres !
Bérurier a une sainte et louable horreur des insultes. Une soudaine crispation de son masque m’annonce du vilain.
Il s’approche du lit, empoigne le bord du matelas à deux pognes et fait basculer le chargement. La môme Martha choit sur les carreaux fêlés avec un bruit de benne basculante déchargeant des gravats. Elle essaie de se dépêtrer de ses couvertures et se dresse, vêtue d’une arachnéenne chemise de Nylon transparent.
— Bande de vaches ! hurle-t-elle. Je vous défends de maltraiter une pauvre femme sans défense…
Le gros Béru chope le broc de faïence destiné aux ablutions de la dame et lui propulse le contenu en pleine poire. Martha produit un gargouillis du genre lamentable et se met à pleurer, montrant par là qu’elle est femme malgré tout.
— Ça suffit comme ça, dis-je à mon vaillant coéquipier. Je suis persuadé que notre pin-up va nous raconter sa vie…