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Un grand escogriffe vient m’ouvrir, un journal à la main.

— Bonjour, Gaudrant, je lui fais, tu passes de vraies vacances, ma parole !

Il rouscaille.

— Drôles de vacances… Pour le grand air, on est servi, et puis la vue sur la mer est tellement chouette…

Il fait le tour de la pièce blanchie à la chaux et seulement meublée d’un fauteuil de bureau.

— Quatre pas en long, trois en large… J’ai compté cent vingt fois depuis ce matin…

« Et dire que j’ai voulu faire ce métier parce que j’aimais vraiment l’action. »

— Bast, je lui fais en lui claquant le dos ; tous les métiers ont leurs inconvénients, mon petit père. Comment se porte le pensionnaire ?

Il hausse les épaules.

— Pas mal… Il ne dit rien ; il continue à rêver… Je finis par croire que c’est ou un fakir ou un poète… Les bras derrière la tête, à regarder le plafond en mâchouillant un petit bout de bois…

— Ouais… Ouvre !

Il sort une clé Yale de sa fouille et actionne une porte basse. Cette porte ferme la petite chambre secrète de la boîte, celle qui n’est pas comprise dans le plan officiel et qui nous sert pour nos affaires trop intimes.

Une odeur âcre de litière me fouette l’odorat.

Ça fait un bout de temps que ce pèlerin occupe cette petite piaule et comme elle ne comporte qu’une aération de fortune, l’air est plus vicié qu’une mère maquerelle spécialisée dans les petites filles.

Une petite ampoule munie d’un grillage jette dans le réduit une lumière grise et mauvaise qui fatigue les nerfs.

Un bat-flanc occupe toute la largeur de la cellule. C’est sur cette rude couche qu’est étendu Karl Bunks.

Il a beaucoup maigri depuis quelques jours. La détention l’a blanchi comme le soleil blanchit les os… Son regard s’est enfoncé, ses joues se sont creusées comme les flancs d’une bête malade. Tout son être a subi une sournoise métamorphose. Le rythme de sa respiration n’est plus le même…

Un anneau de fer dans le mur, le même passé à l’une de ses chevilles ; une chaîne unissant les deux…

Je tire la porte à moi, histoire de me donner le temps d’adopter une contenance. Car je suis gêné par le spectacle de ce jeune homme enchaîné. Je suis un homme d’action, et j’aime que mes adversaires soient debout sur leurs cannes.

Je m’avance.

— Salut, Bunks…

Il me jette un regard froid, dépourvu du moindre sentiment.

Je le contemple.

— Savez-vous que vous ressemblez à votre sœur, mon cher… En moins bronzé…

Un nouveau regard, mais toujours aussi désintéressé.

— Ça ne vous surprend pas que je vous parle de votre sœur ?

Il a un faible mouvement des épaules qui signifie : « Il en faut plus que ça pour me surprendre. »

Y a pas, c’est quelqu’un, ce mec-là ; il en a dans le ventre.

— J’ai fait sa connaissance hier, ainsi que de celle de votre père… Votre famille habite une très jolie propriété… Ça fait un peu cathédrale, mais c’est de la cambuse !

Son regard a pris une expression. Je sais qu’à cette minute, il « voit » la propriété, le parc, la route, les sapins.

Je poursuis implacablement :

— Oui, l’air est pur, là-bas… Ça sent le sapin…

Je rigole.

— Ici aussi, ça sent le sapin, n’est-ce pas, Bunks ? Seulement pas de la même manière…

Son attitude farouchement indifférente me chiffonne.

— A propos de sentir le sapin, dis-je, j’ai une petite nouvelle à vous annoncer…

Cette fois, il n’a pu s’empêcher de me regarder avec une vivacité qui trahit son système d’impassibilité.

Il en a aussitôt honte comme d’une incongruité et repart dans sa torpeur.

— Une drôle de nouvelle, Bunks, qui vous touche indirectement : vos obsèques auront lieu demain !

Il sourit.

— Ne vous méprenez pas. Nous ne voulons pas vous tuer, du moins pas si vite. Mais comme nous vous avons soustrait au monde, nous désirions que les choses soient en règle. Maintenant, elles le sont… Vous avez été découvert le visage fracassé, dans la propriété de votre père… Il s’agit, aux dires des autorités, d’une vengeance d’éléments nazis… Lorsqu’on fait montre de sentiments aussi francophiles que les Bunks, ce sont des choses auxquelles il faut s’attendre. Soit dit en passant, votre famille supporte très bien le choc…

Je comprends sans avoir besoin qu’il me fasse un dessin que ça n’est pas aujourd’hui encore qu’il se décidera à parler. Je crois de bonne politique de ne pas même essayer de lui poser des questions. Les humains, ce sont des mulets pensants ; plus vous essayez de vaincre leur entêtement, plus ils se butent.

J’allume une gitane.

— Je m’excuse de prélever sur votre faible attribution d’oxygène, je murmure…

Je lui tends mon paquet. Très naturellement, il puise dedans.

— Merci, fait-il.

C’est le premier mot qu’il prononce aujourd’hui. Je consulte ma montre.

— Bon, eh bien, je suis ravi de voir que la santé est bonne, murmuré-je. Je suis obligé de vous quitter… J’ai un rendez-vous… galant ! Tiens, avec une de vos compatriotes, une délicieuse personne prénommée Rachel… Au fait, peut-être la connaissez-vous, je l’ai pêchée dans votre bled… Peut-être êtes-vous allé en classe avec elle ? Peut-être l’avez-vous pelotée ?…

Il est amorphe.

— En tout cas, fais-je, je vais lui apprendre l’amour à la française… Vous ne pouvez pas savoir combien je suis bon professeur.

Soudain, il se redresse sur son bat-flanc, se met à genoux et m’empoigne par les épaules.

— Je vous défends de…

Il se tait, ôte ses mains de ma personne.

— Excusez-moi, murmure-t-il.

Je le contemple un instant, et je sors.

CHAPITRE VII

UNE MOUCHE A MIEL PAS ORDINAIRE

En quittant cette geôle, je me sens si bourré d’amertume que je décide de siphonner un glass pour chasser le bourdon qui rôdaille.

Le café du coin — où nous avons nos habitudes — est tout indiqué pour souscrire à cette nécessité.

Cet établissement, c’est comme qui dirait pour ainsi dire la succursale de la maison Poulaga à laquelle j’ai l’honneur et le désavantage d’appartenir. Le patron est aussi amorphe qu’une tortue atteinte de poliomyélite et la bonniche nous appelle par nos prénoms… A ces heures, l’estanco est presque désert. Quatre pégreleux font une belote à la table du fond en dégustant des Vittel-fraise.

Le taulier lit la dernière, l’ultime de France-Soir en remuant son café.

— Qu’est-ce que ce sera, M’sieur Tonio ? demande la vamp du comptoir. Elle est gentillette, peut-être un peu trop bouffie, dans quatre ou cinq ans elle sera suffisamment fondante pour faire une patronne de troquet. Elle aguichera le client ayant un faible pour l’esthétique d’avant-guerre. Pour le moment, elle se prend pour Ursula Andress. Elle a un corsage en transparent qui laisse voir une combinaison rose et un soutien-trucs noir. Elle avance les lèvres en parlant et les fesses en marchant. Si vous avez le malheur de poser sur sa croupe une main nonchalante, elle brame à la garde, et le patron, qui doit dans les coins lui masser le fignedé, jure que les flics sont les pires saligauds de la création.

C’est dans ce petit univers de bons bougres pas compliqués que j’amène mon grand pif.