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Je ricane.

— Moi, mémée, je suis comme le gros lot, je me fais désirer, mais je finis toujours par sortir pour ceux qui savent m’attendre.

La vieille essuie ses lèvres flétries où le rouge se délaie avec le sucre.

— Je lui ai offert des chocolats… Elle est adorable, cette enfant.

Elle me téléphone un coup de coude complice au creux de l’estomac.

— Vous n’allez pas vous ennuyer, farceur !

Ce serait quelqu’un d’autre, je ne tolérerais pas ces familiarités ; mais la mère Tapautour est une vieille carne pour laquelle j’ai toutes les faiblesses. Elle est tellement typée, tellement incroyable qu’on ne songe pas à rouscailler avec elle.

Je frappe à la porte du studio.

— Entrez ! fait Rachel.

Elle est assise dans un fauteuil. Elle a posé ses fringues et a revêtu une robe de chambre en tissu-éponge blanc qui la nimbe comme d’une lueur irréelle.

— Il faisait tellement chaud, explique-t-elle.

— Ben, voyons.

J’ajoute en lui caressant la nuque :

— Je n’ai pas été trop long ?

Elle bat des cils.

— Je commençais à penser que vous m’aviez abandonnée…

— Et ça vous faisait quoi ?

— De la peine, balbutie-t-elle en détournant les yeux.

Ce genre d’aveu appelle automatiquement le baiser.

Je la prends par le haut des bras, je la soulève littéralement de son fauteuil et je colle mes lèvres sur les siennes.

Venant d’une bergère qui est toute nue sous une robe de chambre flottante, ça vous incline davantage à potasser le rapport Kinsey plutôt que les derniers imprimés sur les indirectes. Je l’entraîne jusqu’au paddock en lui débitant de ces mots sans suite et sans fin qui fouettent le sang.

Lorsqu’on a suffisamment joué à la bête à deux dos, je lui roule un patin final. Vous remarquerez que l’amour commence et finit toujours de la même façon…

— Bon, si tu permets, ma chérie, je vais me raser un peu, je dis… Pour te sortir, c’est indispensable, j’ai un de ces pièges qui me fait ressembler à un acteur italien.

— Vous avez un rasoir ?

— Non, mais la mère Tapautour doit en avoir un, tu penses : avec la barbouze qu’elle a !

Je pose ma veste et je quitte la pièce.

Comme je le prévoyais, la mère maquerelle est dans les parages, l’air faussement innocent.

Je cours à elle et je lui bonnis à l’oreille :

— Parlez-moi, dites-moi n’importe quoi !

Je pose mes pompes et, à pas de loup, je viens à la porte du studio. Le trou de la serrure est tout à fait à la hauteur de mon œil lorsque je suis à genoux.

Ce qu’elle a dû se rincer les châsses, la vieille ! On a une vue magnifique de la pièce… Autant que des tribunes au parc des Princes ! Au fond du couloir, la mère Tapautour me jacte inlassablement comme un perroquet remonté.

Je vois Rachel sortir du cabinet de toilette où elle se trouvait lorsque j’ai quitté la carrée.

Elle vient à la porte et tire la targette… Heureusement que la mère Tapautour est une vicelarde qui aime bigler les ébats de ses petits protégés… Pour ce faire, elle a muni toutes ses piaules de targettes et a ôté les clés des serrures…

Maintenant, Rachel, se croyant tranquille, va droit à la veste. Elle palpe les poches. La première chose qu’elle en sort, c’est le revolver. Elle ôte le chargeur, le vide des balles qu’il contient et glisse celles-ci dans une potiche. Après quoi, elle réintroduit le chargeur dans l’arme et l’arme dans ma poche. Puis elle s’attaque à mon larfouillet. Elle potasse mes papelards, ceux qui sont au nom de Nikaus, citoyen helvétique… Elle hausse les épaules et le remet en place. Ensuite, elle palpe consciencieusement ma veste. Pour une fille qui postule à un emploi de secrétaire, elle a un doigté rare. Elle ne met pas longtemps à trouver ma plaque spéciale dans la doublure. Elle la regarde et un sourire flotte sur ses lèvres…

Elle poursuit ses investigations. Elle palpe maintenant le rembourrage des épaules. Tout de suite elle trouve l’épingle.

Cette fois, elle a un coup de surprise phénoménal. Sa bouche s’ouvre, elle écarquille les yeux… Elle a un geste qui est un geste d’allégresse… Elle s’empare de l’épingle et la glisse dans son sac à main.

Je quitte mon poste d’observation pour rejoindre la mère Tapautour.

— Vous avez un rasoir ? je lui demande.

— Pour vous raser ? demande-t-elle.

Je hausse les épaules.

— Pas pour trancher la gorge à quelqu’un, évidemment. Vous me prenez pour qui ?

— Oui, j’en ai un…

Coquette, elle ajoute :

— Quelquefois des messieurs oublient le leur…

— Bien sûr, je fais… Et puis quoi, vous ne vous rasez jamais que deux fois par jour…

Elle est asphyxiée, mais prend le parti de rire.

— Comme vous êtes farceur, tout de même…

Elle ne me pose pas de questions sur mon petit manège de la serrure. Peut-être se dit-elle que je suis un maniaque…

Elle m’emmène dans sa salle de bains personnelle. Elle est vachement outillée pour le barbichage, la daronne. Son rasoir est électrique. Je m’en flanque un coup ; les résultats ne sont pas merveilleux, car je n’ai pas l’habitude de ces sortes de mécaniques mais, après tout, je n’ai pas l’ambition — ce soir surtout — de jouer les Brummell…

Je me rafraîchis le museau, me lave les pognes, rajuste mon nœud de cravate et, après avoir vidé la moitié d’un flacon d’eau de Cologne sur mon dôme, je reviens à la petite Rachel. Elle a retiré la targette. Elle s’habille paisiblement.

Comme j’entre, elle me décoche un radieux sourire.

— Changement à vue, je dis, qu’est-ce que tu penses du bonhomme lorsqu’il est savonné ?

— Magnifique, murmure-t-elle… Oh ! mon chéri…

Je m’assieds dans un fauteuil.

— On crève, je dis… Jamais vu une nuit aussi lourde… Tu ne te sens pas mal à l’aise, toi ?

— Non, fait-elle…

Elle va ouvrir la croisée.

C’est beau, Paris, fait-elle en s’y attardant un peu.

Je ne réponds rien. Je continue à remuer mes pensées… Un dilemme se pose : dois-je intervenir illico ou attendre ?

Rachel m’a prouvé par son attitude qu’elle faisait partie de la bande. Donc, par elle, je dois pouvoir remonter la filière. Seulement, là est le point faible. Si je la laisse aller, elle va prévenir les autres que Bunks est vivant. Cette épingle lui en a apporté la preuve… Que dois-je faire ? Bon Dieu, comme c’est moche d’avoir à prendre des décisions de cette ampleur ! Je donnerais bien mille balles pour avoir l’opinion du chef… Impossible de lui téléphoner maintenant. Je dois décider seul, et décider vite ! Je ris.

— Qu’as-tu ? me demande-t-elle.

Je ris parce que je pense que Bunks a eu une idée extraordinaire. Lorsque je lui ai dit que j’étais en cheville avec Rachel, il a voulu prouver qu’il vivait encore. Alors, devinant que la souris allait éplucher mes faits et gestes, passer ma vie au peigne fin, fouiller mes poches… il s’est dit qu’il avait une chance de se manifester à travers moi. Il a choisi comme messager son propre geôlier… Ça, reconnaissons-le, c’est du boulot !

Elle s’approche de moi, frôleuse, le regard moite, comme les filles en ont lorsque vous leur avez prouvé que vous n’êtes pas un empêché du calcif.

— Qu’as-tu ? demande-t-elle.

Peut-être est-ce cette attitude enveloppante qui me décide. Je me lève, je passe ma veste. Je sors mon pétard… Je vais à la potiche, la renverse sur le lit et récupère mes dragées… Je recharge posément le décrasseur en la regardant tendrement.