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— Monsieur désire ?

Je lui montre ma carte.

Il se casse en deux.

— A vos ordres, monsieur le Commissaire.

— Je viens au sujet du type d’hier, lui dis-je.

— Je le suppose, murmure-t-il d’un ton déférent.

— Je voudrais avoir quelques éclaircissements sur son comportement durant son séjour chez vous.

— J’ai tout dit à vos collègues…

— A mes collègues peut-être, je ronchonne, sous-entendu que je me fous de mes collègues comme de son premier cor au pied.

Et j’attaque sec :

— Il est arrivé hier, n’est-ce pas ?

— Hier matin, oui…

— A quelle heure ?

— A dix heures du matin…

— Il faut combien de temps pour venir de la gare jusqu’ici, en taxi ?…

— A peine cinq minutes…

— Y a-t-il des trains qui arrivent vers dix heures moins dix ?

Il réfléchit.

— Non, aucun, le dernier avant cette heure-là est le rapide de Bruxelles qui arrive à huit heures dix.

Je réfléchis. Donc mon zèbre n’est pas venu par le train, car il est peu probable qu’il se soit baguenaudé pendant près de deux heures dans les rues avec des valtouzes à la main, à la recherche d’un hôtel… A moins qu’il ne soit allé auparavant chez quelqu…

— Le portier l’a vu descendre d’une voiture, je crois ?

— Pas le portier, le groom.

Je désigne le petit gars en livrée bleue :

— Ce moucheron ?

— Oui.

Je fais signe au môme.

— Ecoute, trésor.

Il vient, l’air vexé. Boudeur, tellement boudeur que le type chauve lui jaspine quelque chose en dialecte alsacien. Ce quelque chose a la vertu de rendre le gamin ineffable.

— Vous voulez me parler, m’sieur ?

— Non, je veux plutôt que tu me parles. Le type d’hier, l’homme qui a pris une attaque, on me dit que tu l’as vu arriver ?

— C’est vrai, m’sieur !

— Il était en voiture ?

— Oui…

— Comment était cette voiture ?

— Noire… J’ai pas remarqué. Faut vous dire, m’sieur, je croyais pas que c’était un client car l’auto s’est arrêtée plus loin que l’hôtel. C’est seulement quand j’ai vu le bonhomme sortir ses valises…

— Il était accompagné d’une seule personne ?

— Un homme… Mais je ne l’ai pas regardé…

— L’homme a hésité avant d’entrer ici ?

— Non…

Je lui tends un billet de dix balles.

— Bon, laisse-nous.

Je me tourne vers Eric Von Stroheim.

— Il vous a demandé une chambre ?

— Oui…

— Il a précisé la durée ?

— Pour une seule nuit…

— Bon…

Voilà enfin un élément intéressant. Le type, Cluny, n’avait pas l’intention de moisir à Strasbourg. Il devait partir aujourd’hui, or, aujourd’hui la conférence internationale ne siège pas encore, cette session n’est prévue que pour dans trois jours. Je crois que les craintes de mes collègues alsaciens étaient mal fondées. En ce cas, à qui Cluny destinait-il sa petite bombe ?

— Il est monté tout de suite à sa chambre ?

— Oui…

— Et puis ?

— Il y est resté jusqu’à sa crise. A midi, on lui a monté un déjeuner…

— Appelez-moi le garçon qui l’a servi.

Il fait un signe affirmatif, branche une fiche dans un des petits trous ronds du standard et baragouine quelque chose.

— Il va venir.

— Merci. L’homme n’a pas téléphoné, ni reçu de coup de fil durant son séjour ?

— Non.

— De visites ?

— Non plus !

— Lorsqu’il a empli sa fiche, a-t-il hésité ?

— Du tout…

Un grand type hâve, avec des cheveux ébouriffés, une veste blanche et des poches sous les yeux, se pointe.

C’est le larbin qui a servi Cluny dans sa chambre.

— Que faisait-il lorsque vous êtes entré ?

— Il lisait.

— Quoi ?

— Un livre…

— Il était vêtu comment ?

— Il était en chemise, avec sa veste de pyjama.

J’enregistre. Un type en chemise, avec une veste de pyjama et un bouquin, c’est un type qui ne se propose pas de sortir et qui n’attend personne.

Et pourtant si, Cluny attendait. Mais ça n’était pas quelqu’un, c’était l’heure. Il attendait qu’il fût l’heure de sortir de cette piaule avec sa bombe. Mais alors, s’il venait juste pour placer son petit engin et repartir, avait-il besoin de deux grosses valises ?

Je demande au garçon.

— Ses valises étaient défaites ?

— Une seule.

— Et l’autre ?

— L’autre se trouvait au fond de la pièce.

— Il ne vous a rien dit ?

— Rien de particulier…

Je reviens une fois de plus à Eric Von Stroheim.

— Comment a-t-on découvert qu’il était malade ?

— C’est la femme de chambre. Elle n’avait pas passé l’aspirateur dans la pièce. Elle a frappé afin de voir s’il y avait quelqu’un, personne n’ayant répondu, elle est entrée… Il était couché à demi par terre, le buste sur le fauteuil ; sans connaissance… Elle a crié…

— Je vois.

— On a alerté police secours. Ils ont emmené le client à l’hôpital.

— Parlons de… de la découverte faite dans la valise.

Eric Von Stroheim rougit, ce qui, étant donné son absence de tifs, prend une certaine ampleur.

— C’est un incident très pénible, dit-il. Nous avons débarrassé sa chambre et nous voulions faire porter ses bagages à l’hôpital pour le cas où l’on aurait besoin de son linge de rechange.

— Et puis ?…

— L’une des deux valises ferme avec une sangle terminée par une serrure. Il avait passé cette sangle dans la manette de la valise ouverte. De cette façon, les deux valises étaient liées. Cela ne facilitait guère le transport, vous en convenez…

— Evidemment.

— Alors je me suis permis de…

— De forcer la serrure ?

— De la forcer, non… J’ai ici un trousseau de petites clés de valises oubliées par les clients. L’une fonctionnait.

« En soulevant la sangle, la valise s’est ouverte… Nous avons vu alors le… l’engin, sur une pile de linge… Au début, nous ne savions pas ce que c’était… et puis, nous avons compris et nous avons téléphoné à la police… »

Je hoche la tête.

— Je comprends. Vous dites « nous », qui y avait-il avec vous ?

— Le groom, le garçon d’étage, la femme de chambre.

— Bon, merci.

CHAPITRE V

BON VOYAGE

Je fonce à la police où je retrouve mon convoyeur. Il me présente sur une table les colis du mort et ses fringues. Les vêtements ne comportent aucune marque… Quant aux valises, excepté la bombe (désamorcée par les artificiers de l’endroit), elles ne contiennent rien que de très honnête : du linge de corps, sans marque ; des objets de toilette.

Tout cela ne m’apprend qu’une chose, c’est que Cluny envisageait l’éventualité d’être arrêté puisqu’il avait ôté de ses vêtements toute possibilité d’identification.

Alors, s’il s’enfermait de la sorte dans un halo de mystère, pourquoi m’a-t-il donné ce début de nom ? Un homme qui arrache la griffe de son chemisier peut-il donner à la police le nom d’une femme qui le connaît ?

Ça ne me paraît pas logique. Et moi, bien que d’une nature nettement poétique, j’adore la logique…