Le conseil est bon.
— Je vais d’abord rendre une petite visite à ma bande de Bla, fais-je, après on pourrait se rencontrer pour une bouillabaisse, non ?
— C’est la voix de la sagesse qui s’exprime par votre bouche, affirme Pellegrini.
Blanc, entreprise de transport ! Je suis reçu par Blanc lui-même, un vieux bonhomme vêtu d’une combinaison bleue, d’une chemise à carreaux et d’une casquette comme un couvercle de lessiveuse. Il a de petites lunettes cerclées de fer, une branche a été rafistolée avec du chatterton.
Il regarde la photographie que je lui montre.
— Non, jamais vu ce type-là !
— Votre femme est là ?
Il hausse les épaules.
— Si je ne le connais pas, elle ne le connaît pas non plus, affirme-t-il avec cette belle certitude des âmes pures.
— On peut tout de même lui montrer, non ?
— Mélie, hurle-t-il…
La Mélie se pointe, voyez style marchande de poissons. Elle écoute ma fable, regarde la photographie.
— Hé non, je le connais pas, peuchère…
Elle regrette. Ça lui dirait, à Mélie, de donner dans le « qui détective »…
J’empoche le carton.
— Excusez, braves gens…
Blanchet, avocat… Il est tout jeune, sérieux comme un pape, avec l’air d’avoir perdu le procès de l’année.
— Connais pas, inspecteur, déclare-t-il.
— Mme Blanchet ?
— Il n’y a pas de Mme Blanchet. Ma mère est morte et je ne suis pas marié.
Avec sa mine constipée, ça n’a rien de surprenant, et ça n’est pas à souhaiter à une môme, qu’il convole !
Je le laisse pour visiter Blanchon.
Cette fois, il n’y a pas de M. Blanchon. C’est une vieille dame, à l’air triste, qui vient m’ouvrir.
— Madame Blanchon ?
— Oui, monsieur.
— Police, nous cherchons à identifier un homme… Connaissez-vous celui-ci ?
Elle regarde l’image.
— Non, du tout !
Comme tous les autres, elle me demande la raison pour laquelle je lui demande ce renseignement. Force m’est de lui expliquer que nous savons que l’individu en question a des attaches à Cannes et que son nom commence par BLA…
— C’est un assassin ? demande-t-elle.
— Je n’en sais rien, madame… Excusez pour le dérangement…
Je raye son nom de ma courte liste d’adresses. Fichu boulot ! C’est une besogne d’inspecteur de commissariat que j’accomplis là !
Il ne m’en reste que deux.
Les Blavet sont déjà à table lorsque je m’annonce. Ils crèchent dans un appartement modeste, tout au fond d’un immeuble pauvre empestant l’huile d’olive chaude.
Ils sont gros et sales, il y a une tinée de lardons dans la pièce. Ma photo ne leur produit aucun effet et ma qualité de flic paraît les contrarier plutôt qu’autre chose.
Je me hâte de faire la valoche, la gorge rétrécie par l’angoisse. Il ne reste qu’un BLA à visiter. S’il est négatif, j’aurai fait le voyage sur la côte pour peau de balle…
Mon palpitant est bloqué à fond lorsque je parviens devant un immeuble confortable avec ascenseur et vue sur la mer.
Je lis les noms fixés sur les boîtes aux lettres. Sur l’un je renouche puissamment. Monique Blavette ! Le blaze est gravé en belle ronde dans du cuivre. Une femme !
Une femme toute seularde !
Je consulte le tableau des locataires et je constate que la souris pioge un studio, tout en haut, construit sur le toit en terrasse.
Je pénètre dans l’ascenseur et j’appuie sur le dernier bouton. Comme résultat, ça m’amène au septième. A partir de là, un escalier de pierre, très bref, conduit à la terrasse.
La crèche de la môme Blavette a été construite en additif sur le toit. C’est tout simplement ravissant. Imaginez une petite baraque du genre bungalow, avec une pergola croulante de fleurs… Un parasol à bandes orange et vert… Des meubles de jardin en paille tressée… Cette souris est, ou bien la fille du roi du fromage mou, ou bien la poule du roi du tire-bouchon à musique ! Pour se payer une fantaisie comme celle-là, faut avoir des pépites dans le frigidaire…
Je m’annonce vers la lourde en bois vernis, elle fait lourde de péniche.
Comme j’avance mon index sur le bouton de sonnette, je sursaute. Une flopée de petits trous constellent la lourde à mi-hauteur. Ces trous, pas besoin de me faire un dessin, je sais que ce ne sont pas les vers à bois qui ont pratiqué ces petits trous ronds. Si ça n’est pas une rafale de composteur, une rafale de Thomson, s’entend, c’est le râtelier de votre grand-mère…
Et c’est du neuf ! Les écailles de bois sont encore brillantes et tachées de poudre.
Je sonne.
Rien ne répond. Le silence est le maître de cet appartement aérien. Par acquit de conscience je sonne à nouveau.
Comme la patience n’a jamais été mon fort, je fais appel à mon petit sésame. C’est un gentil outil qu’un cheval de retour m’a refilé, un jour où je lui avais évité des ennuis, et qui a la propriété miraculeuse de s’entendre avec toutes les serrures. Il ne me faut pas cent six ans pour venir à bout de celle-ci. Seulement, bien que le pêne ait joué, la porte ne s’ouvre pas. Y aurait-il un verrou à l’intérieur ? Non pourtant, car la porte a tout de même bougé.
Je lance un sérieux coup d’épaule dans le panneau. Le vantail s’écarte de cinquante centimètres. Je me glisse par cette ouverture et alors j’aperçois quelque chose de vachement moche !
Il y a une fille de l’autre côté de la lourde, et c’est son cadavre qui bloquait celle-ci.
Elle a dégusté la giclée dans le thorax. Ça lui a pratiqué dans la poitrine un trou grand comme une assiette à soupe par lequel elle s’est vidée de tout son sang. Une balle l’a cueillie dans l’œil gauche et celui-ci pend misérablement sur sa joue, comme un petit yoyo…
Je réprime une impérieuse envie de dégueulancher ! Des trucs pareils ! On a beau être blindé, ça vous flanque la secousse. Je fais une immense enjambée pour franchir la mare rouge. Je pénètre dans l’appartement à la recherche du téléphone. M’est avis que le concours de Pellegrini est assez indiqué !
CHAPITRE VII
L’APPÂT
Pellegrini fait une grimace en regardant le cadavre.
— Comment qu’elle a été fadée, la souris, murmure-t-il. Elle n’a pas dû dire ouf !
Il hume le climat délicat de cette maison de poupée bâtie entre ciel et terre. Vraiment cette terrasse n’était pas faite pour servir de cadre à une scène d’horreur. Au contraire, on dirait une île aérienne conçue pour l’amour et la joie d’exister.
— Pourquoi m’avez-vous demandé de venir seul ? interroge-t-il, curieux.
— Parce que, fais-je, il me paraît judicieux d’arrêter certaines dispositions…
— Lesquelles ?
Au lieu de lui donner une réponse, je lui pose une question.
— Pourquoi tue-t-on une fille sans pénétrer dans son appartement, hein ? Pellegrini, pourquoi ? Parce qu’on désire uniquement sa mort ! Il n’est pas question de la voler, ou de la violer… Pourquoi désire-t-on la mort d’une fille ?
— Par vengeance ? propose mon collègue.
— Possible, mais qui peut se venger d’une jolie fille ? Un amoureux éconduit ou une rivale jalouse ? Je doute que dans l’un ou l’autre cas on se serve d’une mitraillette. C’est un genre d’outil qui n’est pas à la portée de tout le monde et c’est heureux. Donc, il reste un autre motif, plus plausible : on peut tuer une fille pour la faire taire !
— Quelqu’un savait que vous étiez sur sa trace ?
— Il faut le croire… Mais je penserai à ça plus tard, pour l’instant nous avons mieux à faire…