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Du coup, l’autre se met à siffler.

— Hé, vous autres ! lance-t-il vers l’intérieur du poste… Vous entendez ce qui se passe ? Il y a là un type qui prétend avoir vu un cadavre dans la propriété des Bunks…

Il entre dans la turne et, d’un signe de tête, m’invite à le suivre. Je cligne des châsses à la lumière. Ça pue la tanière et le tabac, dans le secteur. Et puis, il y a par-dessus le tout une odeur, une odeur de gros rouge qui est l’odeur même de la France.

Les quatre types me regardent, leurs cartons dans les pognes, hésitant entre l’intérêt que provoque ma nouvelle et l’ennui qu’elle leur cause.

— Faut prévenir le lieutenant, émet l’un d’eux.

Le sergent opine.

— Giroud, va le chercher ! ordonne-t-il…

Il se tourne vers moi, me regarde d’un air vaguement réprobateur.

— Si vous vous êtes gouré, va y avoir un drôle de foin ; le lieutenant, il aime pas beaucoup qu’on l’emmerde pour balpeau.

— Je ne me suis pas gouré.

Le lieutenant arrive. C’est pas du tout un jeune et fringant officier tel que le mot lieutenant vous en fait imaginer. Non, il est bas du prose, presque bedonnant et deux paquets de cresson lui sortent des étiquettes.

— Qu’y a-t-il ? aboie-t-il.

Le sergent s’étrangle.

— C’est cet homme qui prétend avoir trouvé un cadavre…

— Ouais, glousse l’officier…

Il m’examine pour voir si je suis bituré. Pour un peu, il me demanderait de lui faire sentir mon haleine afin de vérifier si elle avoue l’alcool.

— Un cadavre de quoi ? demande-t-il.

— D’homme, je réponds.

— De Français ou d’Allemand ?

La rogne me prend, mais je la refoule… J’ai un rôle à jouer, faut pas l’oublier. Et je dois gaffer à mes sautes d’humeur.

— Je l’ignore, dis-je. Un homme mort à qui il manque une partie de la tête ne ressemble plus à grand-chose et, à moins qu’il soit nègre ou chinois, il est difficile de préciser sa race.

— Vous n’êtes pas allemand ? demande l’officier.

— Non, et je m’en voudrais…

Mes paroles ont l’air de lui procurer un ravissement ineffable. Il sourit, ce qui ne doit pas lui arriver souvent.

— Vous êtes français ?

— Non, suisse…

Il se renfrogne un tantinet.

— On fait ce qu’on peut, dis-je, mais j’ai beaucoup d’affinités avec la France.

— Comment vous appelez-vous ?

— Jean Nikaus…

— Vous avez des papiers ?

— Bien entendu…

Je lui tends les faux papelards qu’on m’a remis à Strasbourg. Il les épluche soigneusement.

— Vous êtes représentant ? demande-t-il…

— Oui.

— Où l’avez-vous trouvé, ce cadavre ?

— Dans la propriété des Bunks, dit le sergent.

— Qu’est-ce que vous faisiez à ces heures dans la propriété des Bunks ?

— Je n’étais pas dans la propriété, mais devant ! J’ai été pris d’un besoin que j’avais différé depuis trop longtemps.

Je recommence le récit fait au sergent.

Il m’écoute en tripotant sa fourragère.

— Bizarre, bizarre, fait-il… Qu’est-ce que ce cadavre ferait chez les Bunks…

— Ça, je n’en sais rien, assuré-je… Et je ne sais pas qui sont les Bunks…

— Les Bunks ! Vous ne savez pas qui sont les Bunks !

— Non !

Il me regarde d’un air incrédule…

— Voyons, enchaîne-t-il d’un ton apitoyé. Les Bunks, ce sont les grossiums du charbon… Vous avez dû en entendre parler, non ?

Comme je ne suis pas à un mensonge près, le plus sérieusement du monde, je réponds :

— Non !

CHAPITRE III

ÇA SE DÉCLENCHE !

Le lieutenant, après quelques nouvelles questions oiseuses et quelques nouvelles considérations non moins oiseuses, décide d’en référer au capitaine, lequel, sans hésitation, en réfère au commandant. Comme le commandant s’apprête à téléphoner au colonel, je me dis que d’ici qu’on réveille Mon Général, j’ai le temps d’en écraser et je prends congé de ces messieurs en leur certifiant que je me rends à l’hôtel du patelin où ils peuvent venir récolter mon témoignage aux premières heures de la matinée.

L’aubergiste s’apprête à fermer boutique au moment où je m’annonce avec ma tire.

C’est un gros lard à trois mentons qui a le regard aussi expressif qu’une douzaine d’huîtres.

— Une chambre, je lui demande, et, auparavant, un petit casse-graine bien arrosé.

Il s’empresse. C’est exactement le gargotier d’opérette. Style Cheval Blanc ! Il ne lui manque qu’un bonnet de coton à rayures.

Il ouvre la porte de l’office et se met à meugler :

— Frida !.. Frida !..

Une servante radine. Une belle poupée de porcelaine, douillette comme un édredon, avec du téton, solide, des yeux pâles, l’air con et les cheveux blond filasse.

Je lui cligne de l’œil de mon air le plus farceur et elle me dédicace un sourire extrêmement bovin.

Ça commence bien ; les amours ancillaires, moi, j’ai jamais été contre, je suis un fervent du rapprochement des masses et, dans l’état où je me trouve, je ne demande qu’à rapprocher ma masse de la sienne.

Vous avez dû entendre parler du délassement du guerrier ? Le type qui a inventé ça en connaissait long comme Bordeaux-Paris sur la psychologie des conquérants au repos !

Moi, toutes ces giries m’ont donné faim et m’ont mis les nerfs en pelote. Or, une jolie souris est ce qu’on a trouvé de mieux contre la tension nerveuse, si vous ne me croyez pas, allez le demander à votre médecin habituel.

Frida m’apporte une assiette de charcuterie large comme un bouclier de gladiateur.

Je lui flatte la croupe, parce que c’est toujours comme ça qu’on pratique avec les juments et les bonnes de bistrot et que cette méthode, si elle ne cadre pas exactement avec les règles du savoir-vivre, a toujours donné les meilleurs résultats.

Frida me lâche un nouveau sourire plus vaste encore que le premier.

— Franzose ? elle me demande.

— Ya, je lui fais.

Les gretchens ont toutes un préjugé favorable pour les gnaces de chez nous ; et les gnaces de chez nous, même s’ils professent des sentiments internationalistes, ont suffisamment de patriotisme dans le calbar pour se montrer à la hauteur de leur réputation.

Fixer rancart dans ma piaule à cette pépée, c’est un jeu d’enfant pour un homme qui a bousculé tant de greluses qu’il est obligé d’embaucher un chef comptable et douze secrétaires pour en faire le compte !

J’engloutis mon assiettée de charcutaille, je vide ma bouteille et je fais un petit salut protecteur au patron.

Cinq minutes plus tard, Frida gratte à ma porte. Ça la démange. Quand ça démange à une fille, c’est toujours à une porte qu’elle gratte ! Et à la porte d’un monsieur…

Je ne la fais pas attendre.

Dire que c’est une affaire serait exagéré. Frida c’est jusqu’en amour le genre bovin. Pendant que vous lui faites le grand jeu, elle reste aussi statique qu’une motte de beurre ; et il y a en elle à cet instant presque autant d’infini.

Il est environ dix heures du matin lorsque je me réveille. Un morceau de soleil glisse entre les rideaux et, déjà, d’odorantes odeurs montent du rez-de-chaussée.

Ma porte s’entrouvre. Le visage poupin de Frida apparaît. Elle est luisante comme une savonnette.