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— Iris a raison, a confirmé Bernard Leroy, nous n’avons pas besoin d’un chat.

Sarah a pris son courage à deux mains et a tenté, tant bien que mal, d’argumenter, mais on lui a intimé le silence, la décision était prise. Alors, Benjamin, qui n’avait pas sorti dix mots à Sarah depuis son arrivée dans la famille, a dit :

— Moi aussi, j’aimerais bien qu’on ait un chat.

Un court silence a suivi cette déclaration. Iris a levé la tête, surprise. Elle se faisait du souci pour son plus jeune fils, trop sensible et que le déménagement et le remariage de sa mère semblaient avoir touché plus que de raison.

— Je ne savais pas que tu aimais les chats, mon chéri, a-t-elle dit d’un ton prudent.

Il a haussé les épaules.

— Ce serait sympa d’avoir un chat à la maison, c’est tout.

Bernard Leroy a regardé sa future femme d’un air interrogateur, dans l’attente d’une décision, car si l’avis de Sarah ne comptait pas, il n’en était pas de même pour celui de Benjamin. Rien ne comptait plus pour Iris que ses fils. Si Benjamin jouait deux notes sur sa guitare, c’était le prochain Kurt Cobain, si Éric shootait dans un ballon, c’était le prochain Michel Platini. Elle passait son temps à expliquer aux clientes de son institut de beauté à quel point ils étaient doués, forts et intelligents. Alors, quand, comme pour enfoncer le clou, Éric a confirmé :

— C’est vrai que ça pourrait être marrant d’avoir un petit chat.

Iris a aussitôt cédé.

— Très bien, mais vous vous en occuperez.

Sarah s’est retenue de sauter de joie et elle a promis tout ce qu’on a voulu. Après le repas, elle a timidement remercié ses demi-frères.

— Je l’ai fait parce que ça avait l’air de te faire vraiment plaisir, a déclaré Éric, mais c’est toi qui t’en occuperas, moi je n’aurai pas le temps.

— Pareil, a lancé Benjamin avant de repartir s’enfermer dans sa chambre.

Il était toujours d’accord avec son frère aîné.

Quelques jours plus tard, Sarah est passée chez Angélique pour visionner le clip de leur chanson préférée du moment que sa meilleure amie avait réussi à enregistrer sur une cassette vidéo. Il s’agissait d’une chanson intitulée Wannabe chantée par un nouveau groupe de pop anglais : les Spice Girls. Elles ont immédiatement décidé d’apprendre la chorégraphie, noué leur ­tee-shirt au-dessus de leur nombril et enfilé un jogging. Tout à leur projet, Sarah n’a pas vu l’heure tourner et a complètement oublié qu’elle devait nourrir Ris-de-veau. Quand elle s’est aperçue qu’il était aussi tard, dévorée par la culpabilité, elle est rentrée à toute vitesse sur son vélo. Elle a monté les escaliers quatre à quatre et a trouvé le panier de Ris-de-veau vide. Prise de panique, elle a foncé dans la chambre voisine. Éric a levé la tête, surpris de l’irruption intempestive de sa demi-sœur.

— Où est Ris-de-veau ? a demandé Sarah, paniquée.

— Je ne sais pas… Je l’ai entendu miauler tout à l’heure, je crois.

Sarah s’est aussitôt rendue dans la chambre de Benjamin, a tambouriné sur la porte avant d’entrer sans attendre la réponse et s’est arrêtée net. Benjamin tenait Ris-de-veau sur ses genoux et lui donnait le biberon. Il avait même enveloppé le chaton dans le pull d’Angélique que Sarah avait emporté avec elle, de manière à ce que l’odeur familière le rassure.

— Il ne faisait que miauler, je pense qu’il avait faim, s’est justifié Benjamin, vaguement inquiet de l’expression bouleversée de Sarah.

Sarah a tergiversé quelques secondes entre la colère et le soulagement.

— Tu as fait chauffer le lait ?

— Oui.

— Il ne faut pas laisser d’air dans la tétine, regarde.

Elle s’est assise à côté de lui et a penché le biberon dans la bonne position. Ils sont restés quelques secondes côte à côte sur la couette Star Wars sans parler, puis Benjamin a murmuré :

— Peut-être que je pourrais le prendre dans ma chambre quand tu es occupée.

— D’accord, mais tu feras attention avec la tétine.

— Oui, je te le promets.

Après ça, liés par les termes de leur garde partagée et de leur amour pour Ris-de-veau, Sarah et Benjamin se sont rapprochés. Grâce à leurs soins attentifs, le petit chat a vécu un an. Ensemble, ils ont beaucoup pleuré son départ.

Aujourd’hui,

Fanny

Fanny avait cédé et promis à Catherine d’interviewer quelques personnes lors de son séjour à Bouville-sur-Mer. Elle n’en avait pas réellement l’intention, mais sa supérieure n’en saurait rien. En fin de compte, cette dernière voulait simplement un résumé de l’affaire Sarah Leroy. Fanny était une bonne journaliste. Elle prendrait quelques photos inédites, ferait un rappel en plusieurs épisodes de ce qui avait été répété maintes fois dans les médias et elle l’écrirait suffisamment bien pour que les gens aient envie de le lire. Catherine lui donnerait le poste de directrice éditoriale du site Internet de Mesdames et Fanny pourrait enfin traiter les sujets qui l’intéressaient, sans l’accord préalable de la Reine-Soleil. Le poste valait bien ce petit effort, même avec Lilou comme stagiaire.

Fanny avait pris une journée de congé pour passer du temps avec Oscar avant de le déposer chez ses grands-parents. Elle l’avait emmené au Jardin d’acclimatation, puis au cinéma. Elle n’avait jamais laissé son petit garçon aussi longtemps et elle avait pleuré dans l’ascenseur en repartant.

Fanny et Lilou prirent donc le train jusqu’à Boulogne-sur-Mer, où elles récupérèrent une voiture de location. Fanny prit la route de la Corniche qui longeait la côte pour rejoindre leur destination. Bouville-sur-Mer était une petite station balnéaire de la côte d’Opale, située à mi-chemin entre Ambleteuse et le cap Gris-Nez. À l’origine, Bouville était un groupement de cabanes de pêcheurs au milieu des dunes. Elle devait son existence officielle à sa position stratégique : à quarante kilomètres à vol ­d’oiseau de l’Angleterre, elle avait constitué au fil des siècles l’empla­cement idéal pour surveiller l’éventuel envahisseur anglais. Sous le Second Empire, Bouville devint un lieu de villégiature pour les familles aisées de Paris et de Lille. Depuis, la petite ville était restée une station balnéaire très prisée qui avait conservé de la Seconde Guerre mondiale des champs bosselés par les trous d’obus et des plages parsemées de blockhaus. En été, la population locale était multipliée par quatre ou cinq, on pouvait croiser nombre de Belges et de Néerlandais qui mangeaient des moules-frites sur le port. Entre octobre et mars, la ville se vidait, les maisons de location et les gîtes baissaient leurs stores pour l’hiver et la mer se faisait inhospitalière. Durant certaines tempêtes hivernales, l’eau n’était plus qu’écume, blanche et tourbillonnante à perte de vue. On pouvait relever des pointes de vent de plus de cent cinquante kilomètres-heure. Des vagues, parfois aussi hautes que les maisons blanches aux volets bleus du littoral, venaient alors s’éclater avec une telle violence sur les digues qu’elles arrachaient des éclats de ciment.