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Lilou hocha la tête et n’insista pas.

— Je peux manger dans ma chambre ?

Fanny hésita à lui proposer de dîner au restaurant. Elle se rappela avec culpabilité le sourire radieux d’Esteban, persuadé qu’une semaine ensemble, dont l’activité principale était un enterrement, suffirait à réconcilier Fanny et Lilou. Et pourtant, elle accepta la demande de Lilou, préférant dîner seule. Elle demanda qu’on lui monte une salade, sans croûtons, avec la sauce à part et un verre de vin blanc. De l’autre côté de la mince cloison, elle entendit Lilou commander un plat de spaghettis bolognaise et un Coca. Elle mangea en vitesse, déposa le plateau dans le couloir et après une douche brûlante, elle se coucha et s’endormit aussitôt. Demain serait un autre jour.

*

Document de travail

Affaire Sarah Leroy – année 1997

— Iris veut que j’aille à la piscine trois fois par semaine.

Assise en tailleur dans le salon des Courtin, Sarah tressait un bracelet brésilien avec des fils de coton. Angélique, qui n’avait ni la patience ni la délicatesse pour ce genre d’exercice, jouait à Tetris, affalée sur le vieux canapé marron, tout en aspirant bruyamment par la paille le fond d’une brique de Candy’Up à la fraise.

Depuis que son mari avait quitté le domicile, quelques mois plus tôt, Marie-Claire Courtin avait enlevé toutes les photos sur lesquelles il figurait. Elle ne les avait pas remplacées. Des cadres vides trônaient désormais au-dessus de la télé, parfaits symboles d’un départ dont Angélique, sa sœur et sa mère, faute d’explication, ne se sont jamais vraiment remises.

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire de piscine ? a demandé Angélique, les sourcils froncés, en reposant le jeu électronique fauché à sa grande sœur.

Sarah, toujours penchée sur son ouvrage, a rougi.

— Iris dit que c’est important de faire du sport, alors j’ai choisi la natation, j’aime bien nager.

— Tu aimes nager l’été dans la mer… Tu ne vas pas aller trois fois par semaine à la piscine, c’est complètement débile.

— Iris dit que je dois prendre plus soin de mon apparence. Avec mon père qui veut être maire de Bouville, on doit tous être réprochables.

— « Irréprochables », a corrigé Angélique. C’est quoi son problème exactement à ta belle-mère ?

Sarah a haussé les épaules, sans répondre. Et Angélique a senti qu’elle ne pourrait plus contenir longtemps le ressentiment qui grondait en elle depuis l’arrivée d’Iris dans la vie de Sarah, quelques mois plus tôt. Horaires de dîners à respecter, événements sociaux le week-end… Angélique voyait de moins en moins Sarah. Petit à petit, Iris avait modifié le mode de vie des Leroy du tout au tout, restreignant de plus en plus la liberté de sa belle-fille. « La famille passe avant tout », répétait-elle sans cesse. Et la famille Leroy, Angélique n’en faisait pas partie, Iris le lui faisait bien comprendre. Jamais elle ne lui proposait de rester dîner, jamais elle ne lui posait la moindre question. Angélique, qui avait l’habitude d’attirer les compliments des adultes et d’accaparer l’attention, avait tout de suite interprété cette attitude comme de l’animosité. D’autant qu’Iris invitait constamment la fille d’une de ses amies, Julie Durocher, elle aussi en sixième, mais dans une autre classe, à se joindre à elle et à Sarah pour faire du shopping ou pour aller prendre un goûter sur le port. Quelques jours plus tôt, Iris avait même exigé que Sarah retire un tee-shirt Power Rangers prêté par Angélique.

— Tu ne peux pas t’habiller comme ça, avait-elle affirmé devant cette dernière. Dans cette famille, nous ne sommes pas des ploucs.

Sarah avait juré qu’Iris ignorait la provenance du tee-shirt, mais dans la mesure où Angélique l’avait porté la semaine précédente chez les Leroy, il n’y avait que Sarah pour croire à une maladresse involontaire de la part de sa belle-mère.

— C’est moi, la plouc qui lui ai prêté, avait déclaré Angélique avec insolence en regardant Iris droit dans les yeux.

Iris avait eu un léger haussement d’épaules et n’avait pas répondu. Pour Angélique, c’était déjà une déclaration de guerre ; et cette histoire de piscine, c’était la goutte d’eau en trop.

Elle s’est campée au milieu du salon, les bras croisés sur sa poitrine.

— Elle a déjà réaménagé la moitié de ta maison, collé des bougies parfumées dans toutes les pièces, elle t’explique comment tu dois t’habiller, parler, te comporter, et maintenant tu vas aller trois fois par semaine à la piscine ? C’est pas ta mère, Sarah !

— C’est pas très grave. On pourra toujours se voir le week-end et les mardis et jeudis… C’est pour la carrière de mon père, il sera maire un jour, tu sais, et elle ne veut pas que mon comportement nuise à sa réputation.

— Tu répètes tout ce qu’elle dit comme un perroquet ! En quoi c’est ton problème, la carrière politique de ton père ?

— On est une famille, on doit se soutenir les uns les autres.

— Oui, oui, je sais… et pour ça aussi qu’il faut que Benjamin se tape l’incruste quand on va chez toi !

Sarah a levé la tête de ses fils de coton, les sourcils légèrement froncés.

— Pourquoi tu n’aimes pas Benjamin ? Je l’aime vraiment bien, tu sais.

— Oui, j’avais remarqué ! Benjamin par-ci et Benjamin par-là, si beau et si parfait… Il n’y a qu’à voir comment tu le regardes pour comprendre que tu es raide dingue de lui !

Sarah a rougi.

— Angélique, tu ne peux pas parler comme ça de mes frères.

— C’est pas tes frères ! Il y a neuf mois, tu les connaissais même pas !

— C’est ma famille, maintenant, tu…

— Iris t’achète, voilà ce qu’elle fait, coupa Angélique, elle t’emmène faire du shopping et il suffit d’un pantalon Zara pour que tu lui obéisses comme un petit chien.

— Arrête.

— C’est la vérité ! Tu es aveugle ou quoi ? Tu n’as plus le droit de rien faire, il faut que tu sois rentrée à dix-huit heures trente sinon c’est la fin du monde ; il faut que tu ailles te faire chier à la messe ; le dimanche midi, on déjeune en famille, on ne met pas de jupes trop courtes, et pas de jeans délavés, on ne dit pas de gros mots et gna-gna-gna.

Angélique, moqueuse, singeait Iris en faisant des allers-retours dans le salon.

— Arrête ! cria Sarah en jetant son bracelet de rage, arrête de te foutre d’elle ! C’est ce que font toutes les mères normales, OK ? Tu en connais beaucoup, des gens de notre âge qui ont le droit de traîner jusqu’à vingt-deux heures sans que leurs parents sachent où ils sont ?

— Mais c’est pas ta mère ! Elle n’a pas le droit de t’interdire quoi que ce soit !

— Elle essaye de m’aider.

Angélique a ricané.

— Ah oui ? Tu en connais beaucoup, des mères qui conseillent à leurs enfants de ne plus porter leurs lunettes parce qu’elles les trouvent moches avec ?

— Elle a raison, je suis mieux sans.

— Tu as tout le temps mal à la tête ! Comment tu peux croire qu’elle fait ça pour ton bien ?! Elle veut te transformer en petite fille modèle, en poupée, mais ça n’a rien à voir avec qui tu es, elle te change !

Sarah s’est plantée face à Angélique, les poings serrés.

— Peut-être que toi, tu peux te permettre de t’habiller comme ça parce que tu es belle et que de toute façon tout le monde t’adore, mais moi je n’ai pas un physique facile, alors je dois faire des efforts, OK !