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Angélique a fixé Sarah, les yeux ronds.

— C’est cette connasse qui te dit ce genre de trucs ?

— Ce n’est pas une connasse, c’est la seule personne qui s’occupe de moi !

— On s’occupait l’une de l’autre avant qu’elle arrive et ça suffisait, a rétorqué Angélique.

Sarah n’a pas répondu. Elle s’est remise furieusement à tresser son bracelet brésilien et Angélique s’est rassise sur le canapé.

— C’est la première fois qu’on se dispute, a fait remarquer Sarah, calmée au bout de quelques minutes.

Comme Angélique ne disait rien, Sarah a relevé la tête de son ouvrage et s’est rendu compte que son amie pleurait en silence. Aussitôt, elle s’est levée et l’a prise dans ses bras.

— C’est pas grave, ne pleure pas, c’est juste une petite dispute, c’est rien !

— C’est pas rien, a sangloté Angélique en essuyant ses larmes dans sa manche. Moi, je n’ai que toi et Fanny, on ne peut pas se disputer.

— On est réconciliées, a déclaré Sarah en tapotant le dos de son amie, c’est fini.

— Mes parents, à force d’avoir à se réconcilier, ils se sont mis à se détester et maintenant, ils ne se voient plus.

— Pas nous. Nous, ça ne nous arrivera jamais, on est trop proches, on est comme ces types de la carte postale, Montagne et Botticelli.

— Tu veux dire Montaigne et La Boétie ?

— Oui, voilà, « Parce que c’était moi, parce que c’était lui », tout ça ! On est des sœurs. Les sœurs, ça finit toujours par se réconcilier.

Angélique a haussé les épaules, peu convaincue.

— Regarde, a dit Sarah, même si on déménage, si on se perd de vue, je te promets qu’on pourra aller sonner à la porte l’une de l’autre dans vingt ans et reprendre la conversation exactement là où on l’a laissée !

Angélique a eu un léger sourire à travers ses larmes.

— On se reconnaîtra pas, on aura trente ans, on sera vieilles et toutes ridées.

Sarah pouffa.

— C’est clair, peut-être que tu auras sept enfants et des seins énormes, comme la pâtissière !

— Et toi, tu t’habilleras comme la prof de SVT avec les rideaux de ton salon.

L’idée qu’elles puissent un jour atteindre l’âge canonique de trente ans leur parut tellement désopilante qu’il leur fallut plusieurs minutes pour s’en remettre.

— Tu sais quoi, même si on se perd de vue pendant cinquante ans, quand tous les emmerdeurs seront morts, sauf nous, on s’inscrira dans la même maison de retraite et on s’amusera comme des folles jusqu’à la fin.

— Bonne idée, les autres vieux se demanderont pourquoi on se marre et on leur dira rien !

— Et on trichera aux tournois de bridge.

— Et au bingo ! Mais il nous faudrait un code, a déclaré Angélique, officiellement consolée, en essuyant des larmes de rire. Un truc qui nous permette de nous reconnaître, même quand on sera vieilles.

— Je sais ! a déclaré Sarah. On fera Iago dans Aladdin, personne ne fait aussi bien Iago dans Aladdin que nous !

Aussitôt, Angélique a écrasé ses joues avec ses mains et a singé le perroquet du dessin animé en louchant.

— Jafar, chui coincé ! Jafar, chui coincé !

Cette imitation, effectivement très réussie, a déclenché une nouvelle crise d’hilarité. Allongées sur la moquette, elles ont hurlé de rire jusqu’à ce que Fanny, furieuse, sorte de sa chambre :

— C’est pas bientôt fini ce vacarme, j’essaye de travailler !

Sa colère n’a fait que relancer le fou rire incontrôlable d’Angélique et Sarah.

— Mais Jafar, chui coincé ! criait Angélique en se tenant les côtes tandis que Sarah sanglotait de rire.

Fanny a levé les yeux au ciel.

— Vous êtes vraiment des gamines, a-t-elle râlé en repartant aussi sec pour dissimuler le sourire que la vision de sa sœur et de son amie, se roulant littéralement de rire dans leur salon sinistre, avait fait naître sur ses lèvres.

Par la suite et jusqu’à l’incident du hangar à bateaux, les rares disputes entre Angélique et Sarah se sont réglées avec une imitation de Iago dans Aladdin. « Jafar chui coincé » voulait dire « pardon » ou « c’est pas grave ». Sarah a continué de voir Angélique dès qu’elle n’allait pas à la piscine, malgré les commentaires désapprobateurs de sa belle-mère. Quant à Angélique, elle s’est retenue de dire du mal de Benjamin, même si elle devait partager un peu son amie avec lui.

Aujourd’hui,

Fanny

Après le petit déjeuner, que Lilou avait passé à consulter son portable, Fanny appela Esteban qui préparait sa valise pour son voyage aux États-Unis. Elle discuta ensuite quelques minutes avec Oscar, qui lui raconta avec moult détails une histoire compliquée de sirène en pâte à modeler détruite par une camarade peu sensible. Il avait pleuré, mais comme Mamie lui avait fait un câlin, tout allait bien. Après avoir raccroché à regret, Fanny expliqua à la gérante de l’hôtel qu’elle devait travailler, et celle-ci mit à sa disposition un petit salon au rez-de-chaussée. Les murs étaient tapissés de livres et la pièce avait vue sur la mer. Elle installa son ordinateur face à la fenêtre, ouvrit un document Word et entreprit d’établir une chronologie rapide des événements liés à la disparition de Sarah Leroy. Aujourd’hui, elle bâclait ça, demain, elle allait à l’enterrement, et après avoir réglé l’administratif avec Angélique, retour à Paris illico.

À onze heures et demie, Lilou débarqua en jogging.

— Tu bosses déjà ? râla-t-elle en bâillant. Tu aurais pu m’attendre.

Sans demander l’autorisation, elle se pencha sur l’écran de Fanny et lut par-dessus son épaule. Puis, elle brancha son propre ordinateur portable et s’affala sur le canapé.

— OK, tu veux que je fasse quoi ? soupira-t-elle.

— C’est bon, tu n’es pas obligée de m’aider, je signerai ton papier de stage. Tu n’as qu’à aller te balader en ville.

Lilou fronça les sourcils.

— Comment veux-tu que j’arrive à avoir quinze à mon rapport de stage si je fais rien ? Après, Papa va me sucrer les vacances chez Kim, soit le moment que j’attendais le plus dans cette année de merde.

Fanny se mordit les lèvres. Pourquoi fallait-il qu’Esteban ait trouvé l’unique argument susceptible de motiver Lilou à prendre cette histoire de stage au sérieux ?

— Tu n’as qu’à faire comme tous les stagiaires, le café, marmonna-t-elle.

— Je suis pas ta bonniche, t’as deux mains, tu peux te faire un café toute seule.

— Ça commence bien… Tu verras ce qui se passera en entreprise si tu réponds comme ça à ta cheffe le premier jour.

— T’es pas ma cheffe.

— Techniquement, je suis ta maîtresse de stage, donc tu fais comme tu veux, mais sache que je suis supposée écrire un rapport sur tes performances à ton professeur principal, et j’ai l’intention d’être parfaitement honnête et objective.

Lilou jeta un regard noir à Fanny et partit en claquant la porte. Fanny sourit et se remit au travail. Lilou étant du genre rancunière, Fanny allait pouvoir travailler tranquillement au moins jusqu’au soir.

Cinq minutes plus tard, cependant, la porte s’ouvrit et Lilou réapparut. Elle tenait dans une main un mug de café fumant qu’elle posa sans la moindre délicatesse à côté de l’ordinateur de sa belle-mère.

— Voilà. Maintenant je fais quoi ? Des photocopies ? Le ménage dans les chiottes ?

Fanny fixa quelques secondes la tasse avec stupéfaction, puis elle déclara :

— Retrouve sur Internet les articles qui ont été écrits sur Sarah Leroy, lis-les et fais un résumé des événements tels qu’ils ont été rapportés dans la presse.