Выбрать главу

— Vous avez… vous avez changé d’autres choses ?

Angélique sortit trois tasses d’un placard.

— Tu peux visiter si tu veux.

Sa sœur sortit pour faire le tour de l’appartement. Lilou s’était assise près d’Obi-Wan et le caressait prudemment. Le jeune chien lui lécha les mains et un sourire vint illuminer la mine renfrognée de l’adolescente.

Angélique sortit le café du placard.

— Tu veux un chocolat chaud ? Un jus d’orange ?

Lilou, qui faisait rouler son stick à lèvres à la cerise sur le carrelage pour amuser Obi-Wan, releva la tête, hésitante.

— Un verre d’eau, merci.

— Tu es en vacances ?

Lilou saisit le verre qu’Angélique venait de remplir.

— Je me suis fait virer du lycée.

Angélique haussa un sourcil amusé.

— Ah oui ? Pourquoi ?

— Parce que j’ai fait la caricature d’un connard.

— Ça devait être ressemblant, alors.

— Oui, je suis plutôt douée en dessin.

— Il avait fait quoi ?

— C’est marrant, t’es la première adulte qui me pose cette question… Il appelle ma meilleure copine « la chinetoque » depuis le début de l’année. Elle lui a demandé dix fois d’arrêter et il continue, ce blaireau… En plus, c’est complètement con, vu qu’elle est vietnamienne.

Angélique sourit et retint son envie de passer une main dans les cheveux de Lilou. Elle alluma la bouilloire électrique, un cadeau de Noël de Mia, et conclut :

— Le lycée, il n’y a pas pire repaire de connards.

Lilou approuva et lui rendit son sourire, un vrai sourire cette fois, franc, comme celui qu’elle avait accordé à Obi-Wan quelques minutes plus tôt.

— C’est vrai. Mais là de toute façon, je suis en stage avec FC, Fanny, je veux dire, donc je n’ai pas à y retourner tout de suite.

— Un stage de quoi ?

— De journalisme, on doit écrire un dossier pour la sortie du nouveau site de Mesdames, ça va faire un énorme buzz. C’est sur Sarah Leroy, tu la connaissais, non ?

Angélique sursauta et la tasse encore vide qu’elle tenait vint se briser sur le carrelage orange.

— Arrête avec ça, Lilou ! s’exclama Fanny, de retour dans la cuisine.

Pour cacher son malaise, Angélique sortit une balayette et une pelle de sous l’évier et entreprit de ramasser les morceaux de porcelaine.

— Arrêtez, vous allez vous couper ! ordonna-t-elle d’une voix blanche à Fanny et Lilou qui s’étaient penchées pour l’aider.

Elle jeta les débris dans la poubelle et lança :

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire, tu n’es pas ici pour l’enterrement de Maman ?

— Si, bien sûr, mais c’est vrai que je dois écrire un article sur Sarah Leroy, pour le magazine…

Angélique versa l’eau chaude sur le café filtre. C’était étrange, cette façon de toujours dire « Sarah Leroy ». Avant, on disait juste « Sarah ». Dès le moment de sa ­disparition, son nom de famille était devenu indissociable de son nom. Plus personne ne l’avait appelée juste Sarah.

— Ma boss sait que j’ai grandi ici, elle ne m’a pas laissé le choix…

— Pas la peine de te justifier, coupa sèchement Angélique, je sais que ta carrière passe avant tout… À vrai dire, je suis juste surprise que tu n’aies pas exploité le filon plus tôt…

Angélique servit deux tasses de café et remplit à nouveau le verre de Lilou. Puis elle s’assit à la table de la cuisine et trempa les lèvres dans sa tasse. Le café avait le goût de la déception. Un instant, elle avait espéré que sa sœur était là pour recoller les morceaux, pour l’enterrement, pour leur famille.

— À quelle heure est l’enterrement ? s’enquit Fanny.

— La messe est à quatorze heures.

— Elle… elle est morte de quoi ?

— Un cancer de la gorge qui s’est généralisé en quelques mois. Elle ne te l’a pas dit ?

Fanny fixa Angélique d’un air horrifié.

— Bien sûr que non ! Si j’avais su qu’elle était malade… je serais venue.

Angélique ouvrit la bouche, comme pour dire quelque chose, puis se ravisa.

— Elle a reçu son diagnostic juste avant de partir pour l’anniversaire d’Oscar, expliqua-t-elle. Elle m’a dit qu’elle t’en avait parlé…

— Pas du tout… Je ne l’ai pas trouvée particulièrement en forme, mais…

Fanny secoua la tête, désemparée. Elle aurait dû comprendre que quelque chose ne tournait pas rond. Elle n’avait fait aucun effort quand sa mère leur avait rendu visite. Fanny ne l’avait pas laissée une seconde seule avec Oscar et sa mère lui avait violemment reproché de ne pas lui faire confiance, ce qui, quand on savait la façon dont Marie-Claire Courtin s’était occupée de ses filles, était plutôt comique.

— On s’est disputées le dernier jour… Je… Les mois ont passé vite, elle était en tort, alors je me suis dit qu’elle n’avait qu’à rappeler. Ce n’est pas comme si c’était la première fois que ça arrivait, mais jamais je n’aurais pensé…

Fanny sentit malgré elle ses yeux se remplir de larmes. Angélique soupira et tendit un morceau de Sopalin à sa sœur.

— Elle avait changé, tu sais. Si tu l’avais vue avec Mia, je crois que tu lui aurais pardonné. Enfin, je comprends mieux maintenant, elle ne m’a pas avoué que vous vous étiez disputées. Elle me donnait des nouvelles de temps en temps comme si elle t’avait eue au téléphone. Si j’avais su que tu n’étais pas au courant, je t’aurais prévenue.

Fanny se leva brusquement.

— On va y aller, on se retrouve à l’enterrement, souffla-­t-elle, j’imagine qu’elle sera enterrée dans cet affreux cimetière sur la falaise.

— Qu’est-ce que tu racontes, il est magnifique, ce cimetière !

Même si l’endroit était inextricablement lié au souvenir de Sarah, Angélique avait toujours aimé ce cimetière. Elle n’avait jamais quitté Bouville-sur-Mer et elle espérait, elle aussi, être enterrée ici un jour, en haut de la falaise battue par le vent, avec vue sur la mer.

— À tout à l’heure, lança Angélique comme Fanny ne répondait pas.

Lilou suivit sa belle-mère, non sans adresser un petit signe de la main à Angélique. Celle-ci souleva le rideau de la cuisine et observa sa sœur alors qu’elle remontait dans sa voiture. Elle sentit monter en elle un sentiment de culpabilité familier. Elle avait cru leur mère quand celle-ci affirmait avoir des nouvelles régulières de Fanny. Néanmoins, elle aurait dû vérifier, prévenir Fanny quand elle avait été hospitalisée. À vrai dire, elle n’y avait pas pensé. Cela faisait tellement longtemps qu’elles ne se parlaient plus, que même ce texto pour annoncer le décès de leur mère avait été envoyé plusieurs heures après les faits.

Angélique laissa retomber le rideau et entreprit de ranger les tasses dans le lave-vaisselle. Elle ne pouvait pas penser maintenant à cette histoire d’article sur Sarah Leroy… C’était peut-être bien la vraie raison de la présence de Fanny, on ne pouvait jamais savoir avec elle. La police qui interrogeait le vieux René, et à présent Fanny qui voulait publier un article sur le sujet dans le plus gros magazine féminin de France… Angélique hésita, puis, à contrecœur, elle sortit son téléphone et tapa « Sarah Leroy » dans le moteur de recherche. Elle classa les résultats du plus récent au plus ancien et fit rapidement défiler la première page. Rien de récent. Si l’enquête avait été rouverte, l’information n’était pas publique. Était-il possible que Fanny ait eu l’info malgré tout ? Elle soupira et se prit la tête dans les mains. Pourquoi fallait-il que cela remonte aujourd’hui ? Il fut un temps où la vérité l’aurait libérée. Mais aujourd’hui, elle avait peur d’un seul jugement : celui de sa fille. Mia, qui avait toujours été une enfant douce et sage, serait-elle capable de comprendre les choix radicaux que sa mère avait faits vingt ans plus tôt ?