Выбрать главу

— Angélique, Morgane, Jasmine. Un groupe de copines, inoffensif en apparence ; elles se faisaient appeler comme ça, personne ne savait trop pourquoi. Et puis, Sarah et Angélique, après leur dispute, elles se détestaient tellement… Je me suis toujours demandé si elles auraient été capables de…

Il s’interrompit, soudain agité, et se mit à tirer nerveusement sur les boutons de son gilet torsadé.

— Capables de quoi ? Et qu’est-ce que vous voulez dire par « cette histoire de cours particuliers » ?

M. Follet secoua la tête.

— C’est du passé. Ce qui est fait est fait.

Il fit un signe à l’attention d’un jeune homme en blouse qui s’avança aussitôt.

— Je suis fatigué, vous pouvez m’aider à remonter dans ma chambre, s’il vous plaît ?

— Pas de problème, je vous raccompagne.

Lilou récupéra son téléphone, éteignit l’enregistrement et observa l’ancien professeur alors qu’il se dirigeait vers l’ascenseur avec l’aide-soignant. À deux reprises, ses questions sur Sarah avaient mené à Angélique et aux Désenchantées. Qu’est-ce que c’était que ce groupe de filles ? Une secte ? Et si Angélique et Sarah avaient été si proches, pourquoi Fanny n’interviewait-elle pas sa sœur pour son article ?

Elle renfila son sac à dos et rentra dans le GPS de son téléphone l’adresse du collège-lycée Victor-Hugo. À son arrivée, elle demanda à l’accueil si elle pouvait accéder aux archives des photos de classe pour un projet scolaire. La secrétaire, une dame affable et très bavarde, lui expliqua qu’ils venaient justement de tout numériser. En quelques clics depuis un ordinateur du CDI, Lilou pourrait voir toutes les photos de classe depuis 1967.

Lilou sélectionna les années qui l’intéressaient, de 1996 à 2001, les photos avaient été numérisées avec la page sur laquelle on inscrivait les noms des élèves dans leur ordre d’apparition. Sur les pages de sixième, cinquième et quatrième, elle retrouva Angélique et Sarah. Elles n’étaient pas à côté, Sarah, plus grande, se tenait au dernier rang. Lilou, toutefois, ne put retenir un sourire. Sur toutes les photos de classe, Sarah et Angélique portaient la même marinière bleu et rouge. C’était discret, si cela n’avait été le cas que sur une des photos, Lilou aurait pu ne rien remarquer. Mais en passant toutes les années à la suite, c’était flagrant : Angélique et Sarah s’amusaient à s’habiller à l’identique le jour de la photo de la classe. C’était un détail, mais un détail qui confirmait leur complicité. À partir de la troisième, ce n’était plus le cas. Angélique arborait un air morne, elle flottait dans des sweat-shirts sombres et informes, tandis que Sarah, toujours au dernier rang, semblait plus féminine, plus apprêtée. Lilou repéra aussi les deux adolescentes dont M. Follet avait parlé : Morgane Richard et Jasmine Bensalah. Elle nota leurs noms.

Elle photographia les clichés avec son téléphone, puis elle rentra à l’hôtel. Fanny ne travaillait pas du tout sur son dossier, elle lisait un roman dans le petit salon, au coin du feu. Lilou observa sa belle-mère, prise d’un doute. Était-ce vraiment pour ne pas sombrer dans le journalisme à scandale ou y avait-il une raison personnelle au refus catégorique de sa belle-mère de se plonger dans cette affaire ? Dans tous les cas, l’attitude de Fanny attisait encore plus la curiosité de sa belle-fille.

Lilou débrancha son ordinateur et le glissa sous son bras.

— J’ai pas faim, tu peux dîner sans moi, lança-t-elle. Je peux t’emprunter ton chargeur d’iPhone ? Mon câble a un faux contact.

— Oui, dit Fanny en lui tendant sa clé, tu me le rapportes après, s’il te plaît.

Dans la chambre de Fanny, Lilou débrancha le chargeur branché à côté du lit et son regard tomba sur un dossier bleu, posé sur le petit bureau de bois. Les deux lettres « S. L. » étaient écrites en noir sur la couverture et Lilou ne put s’empêcher d’y jeter un œil. Sa belle-mère n’avait pas chômé : elle avait déjà écrit six articles sur l’affaire Sarah Leroy. En les parcourant, Lilou put voir que tous les éléments de l’affaire étaient abordés avec clarté. Lilou prit le temps de tout lire. Quand elle eut terminé, elle referma le dossier, songeuse. Sa belle-mère n’avait pas pu, en si peu de temps, pondre quelque chose d’aussi précis et détaillé et faire les recherches nécessaires. Fanny connaissait l’affaire Sarah Leroy par cœur, cela ne faisait aucun doute. Et il était clair qu’elle ne voulait pas qu’on en parle, elle ne voulait pas qu’on remette en question la version de la police. Pourquoi ? Pourquoi avait-elle à ce point minimisé l’amitié entre Angélique et Sarah ? Pourquoi avait-elle si mal réagi quand Lilou avait évoqué le sujet devant sa sœur ?

Lilou retourna dans sa chambre et alluma son ordinateur. C’était trop intrigant, elle trouverait le fin mot de cette histoire. Elle tapa « Sarah Leroy – Angélique Courtin » dans Google. Il ne lui fallut pas très longtemps pour tomber sur un fait d’importance qui, pourtant, ne figurait nulle part dans les articles de Fanny :

« Angélique Courtin, 16 ans, a été placée en garde à vue, avant-hier par la police dans le cadre de l’affaire Sarah Leroy. Leur haine réciproque était notoire et au cours d’une dispute, quelques mois avant les faits, Angélique Courtin avait frappé et menacé Sarah Leroy dans la cour de récréation du collège-lycée Victor-Hugo devant une bonne dizaine de témoins. Par ailleurs, un témoin oculaire a affirmé qu’il avait vu Sarah et Angélique se disputer violemment sur la plage la veille de sa disparition. »

Lilou copia l’extrait et le colla dans un document Word. Quelques articles plus loin, elle put lire :

« Angélique Courtin, la lycéenne soupçonnée dans le cadre de l’affaire Sarah Leroy, a été relâchée le jour même de sa mise en garde à vue. Le jour de la disparition de Sarah Leroy, elle a passé toute la journée à Boulogne-sur-Mer avec sa sœur, Fanny Courtin, et une amie de cette dernière, qui ont toutes deux confirmé son alibi. »

Lilou copia cet extrait et se recula dans le dossier du fauteuil. Elle repensa à la pâleur brutale de Fanny quand sa supérieure avait évoqué l’affaire Sarah Leroy, à sa volonté farouche de ne pas toucher à ce sujet. Fanny, d’une manière ou d’une autre, paraissait impliquée. Lilou ne savait pas comment, mais sa belle-mère avait menti à plusieurs reprises et dissimulé dans son article son implication dans la libération d’Angélique. Lilou frissonna. Elle tapa « meurtrier Sarah Leroy » et fit défiler les photos du jeune homme au sourire charmeur qui venait d’apparaître. Il était beau, il avait l’air ouvert et sympathique et il n’avait jamais cessé de clamer son innocence. Il avait été condamné en grande partie parce que la veste en daim blanc de Sarah avait été retrouvée, tachée de sang, dans son sac de sport. Fanny aurait-elle menti à la police pour protéger Angélique, qui semblait vouer à Sarah Leroy une haine inquiétante ? Était-il possible qu’Éric Leroy, qui avait pris vingt ans de prison pour le meurtre de sa demi-sœur, ait été condamné à tort ?

*

Document de travail

Affaire Sarah Leroy – année 1999

Jasmine a pris l’habitude d’aller chez les Leroy deux fois par semaine. En dehors de sa mère qui y faisait le ménage, la maison aux volets bleus était vide la plupart du temps. Éric Chevalier était en classe préparatoire à Lille, il rentrait occasionnellement le week-end. Iris passait la journée dans son institut de beauté et Bernard Leroy était toujours fourré à la mairie ou en train de passer de la pommade à un préfet quelconque, potentiellement utile pour sa carrière. Sarah rentrait tard de la piscine et Benjamin n’avait jamais prononcé plus qu’un « Salut » inaudible, quand il la croisait, ce qu’il semblait éviter. Si d’aventure elle rencontrait un autre membre de la famille, c’était comme si elle était invisible.