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— Pourquoi c’est toi qui changeais les draps de ta sœur quand tu rentrais le week-end ?

— Parce que ma mère… Notre mère n’était pas très présente… Bref, sous le matelas, j’ai trouvé une série de photomatons d’Angélique et Benjamin, joue contre joue. Au dos, elle avait écrit la date et quelque chose comme « la plus belle journée de ma vie » suivi d’un cœur. Je me suis un peu moquée d’elle, gentiment. J’ai dû lui dire quelque chose comme « je ne savais pas que tu avais un amoureux »… Elle a éclaté en sanglots et elle m’a expliqué qu’ils ne seraient jamais ensemble parce que Sarah aimait Benjamin et qu’elle ne ferait jamais de mal à Sarah, et que même ce photomaton, c’était déjà une trahison…

— Et ?

— Je lui ai expliqué que c’était idiot, s’ils étaient amoureux, ils n’avaient qu’à sortir ensemble, si Benjamin n’aimait pas Sarah qu’est-ce que ça pouvait faire ?

Lilou enfourna un morceau de croissant dans sa bouche.

— Faut dire que c’est pas la solidarité qui t’étouffe, FC.

— J’ai eu raison, parce qu’au final, l’amitié entre Angélique et Sarah est partie en fumée quelques semaines plus tard.

— Parce qu’elle l’a fait ? Elle est sortie avec Benjamin ?

— Je ne sais pas… Mais quand je suis revenue la fois d’après, Angélique ne voulait plus entendre parler de Sarah, elle la détestait… Je crois que c’est arrivé lors de cette soirée bizarre…

— Quelle soirée ?

Fanny fronça les sourcils.

— Éric Chevalier avait organisé une grosse soirée pour son anniversaire, tout le lycée était invité et Angélique était surexcitée à l’idée d’y aller avec Sarah. Elle m’avait appelée pour me demander un conseil sur la tenue qu’elle devait porter, elle voulait m’emprunter un tee-shirt, bref, tu sais comment c’est… à cet âge-là, une soirée c’est l’événement du siècle.

— Et ?

— Angélique m’a appelée à cinq heures du matin, elle avait trop bu, je ne comprenais rien, elle pleurait. J’étais en semaine d’examens, elle m’avait réveillée et…

— Et tu as fait comme d’hab, tu l’as envoyée chier.

Fanny se mordit les lèvres, une ombre de tristesse passa dans son regard.

— Je lui ai dit de rappeler quand elle aurait dessaoulé, que c’était n’importe quoi de boire de l’alcool à son âge et que je ne comprenais rien à ce qu’elle me racontait.

Fanny aurait aimé ne pas se souvenir de cet appel avec autant de précision. Le cerveau enregistre parfois à notre insu dans les moindres détails un événement marquant. Elle aurait dû se fier à son instinct, même à moitié endormie, elle avait ressenti que quelque chose de grave était arrivé. Mais sur le moment, elle était en colère de se faire réveiller au milieu de la nuit, la veille d’un examen important, de se sentir coupable que sa petite sœur boive de ­l’alcool en quatrième et que leur mère, comme d’habitude, ne s’occupe pas d’elle. Fanny était fatiguée de tout gérer, le ménage, Angélique, les impôts et les papiers que sa mère laissait s’empiler au-dessus du micro-ondes. Elle n’avait pas insisté, elle n’avait pas été douce et compréhensive. Elle n’était pas sa mère, après tout. Elle avait raccroché.

— J’ai rappelé le lendemain après-midi, elle n’a pas décroché, ma mère non plus, c’était la haute saison, elle bossait tout le temps. Comme je n’arrivais pas à les joindre, j’ai fini par appeler chez Sarah, je suis tombée sur la belle-mère de Sarah, Iris Leroy, qui m’a dit qu’elle ne savait pas où était Angélique, qu’elle et Sarah n’étaient plus amies et qu’elle ne voulait plus entendre parler d’Angélique. Elle a été glaciale, c’était bizarre.

— C’est normal, les belles-mères, ça fait cet effet-là, ricana Lilou.

— Et les belles-filles ? Tu crois que c’est toujours marrant ? Bref, ce n’est pas le sujet, tout cela n’a rien à voir avec la disparition de Sarah, c’est arrivé plusieurs années avant… Mais quand Sarah a disparu, de vieilles histoires sont remontées, et comme Angélique et Sarah s’étaient battues un peu avant dans la cour de récréation, des gens se sont mis en tête qu’Angélique avait assassiné Sarah par jalousie. Angélique avait une sale réputation à cette époque-là…

— Et toi ?

— Et moi quoi ?

— Tu crois qu’elle aurait pu faire du mal à Sarah ?

Fanny sursauta.

— Non !

— Tu as hésité, fit remarquer Lilou en plissant les paupières.

— Non, bien sûr que non, répéta Fanny avec toute la conviction qu’elle put trouver en elle.

Elle maudissait Lilou qui venait de lancer à voix haute la question que Fanny évitait de se poser depuis vingt ans. La vérité, c’est que l’Angélique d’après la dispute avec Sarah, qui séchait les cours et s’était fait mettre enceinte par un garçon avec qui elle sortait depuis même pas deux mois, Fanny ne la connaissait pas.

— Mais tu étais vraiment avec Angélique, le jour de la disparition ?

— Bien sûr ! Nous sommes allées à Boulogne faire du shopping, elle était toute la journée avec moi et une copine qui a témoigné aussi. Tu crois quoi ? Que j’aurais menti à la police ?

Lilou réfléchit quelques secondes.

— Non, t’as raison, je t’imagine pas mentir à la police.

Fanny se resservit du café et, elle qui ne prenait jamais de petit déjeuner, saisit un croissant dans la corbeille et mordit dedans à pleines dents pour faire taire l’angoisse qui serrait sa poitrine. Le jour de la disparition de Sarah, un jour de septembre, juste avant la rentrée scolaire, Fanny s’était levée et elle était tombée sur Angélique dans la cuisine. Fanny avait râlé parce qu’il y avait du sable dans l’entrée et qu’Angélique avait oublié d’enlever ses baskets. Angélique, le regard fixe, les mains tremblantes, n’avait même pas réagi. Elle avait l’air tellement perdue que Fanny, inquiète à l’idée de la laisser toute seule, lui avait proposé de venir avec elle à Boulogne. Elle avait à peine vu Angélique de l’été. Toujours fourrée avec Morgane et Jasmine, sa petite sœur ne lui parlait plus et elle voulait passer du temps avec elle avant de repartir à Paris pour la rentrée. Angélique avait accepté, elle avait passé la journée comme un zombie, les yeux dans le vide, sursautant au moindre son. Et quand Fanny avait été convoquée au commissariat pour confirmer qu’Angélique était bien avec elle, elle avait validé la version d’Angélique. Oui, elles étaient parties juste après le petit déjeuner, non, elle n’avait rien vu d’anormal. Elle avait volontairement omis d’évoquer le fait qu’Angélique n’était pas rentrée de la nuit, elle avait passé sous silence les baskets pleines de sable, le bas du pantalon imbibé d’eau salée et le comportement étrange de sa petite sœur tout au long de cette journée. Et elle s’était surtout abstenue de préciser à la police que le jour de la disparition de Sarah, Angélique était revenue de la plage en tenant à la main la veste en daim blanc de son ancienne meilleure amie, cette fameuse veste tachée de sang qui avait été retrouvée quelque temps plus tard dans le sac de sport d’Éric Chevalier.

*

Document de travail

Affaire Sarah Leroy – année 2000

À la rentrée suivante, Jasmine, Morgane et Sarah étaient toutes les trois dans la même classe, en seconde A. Angélique et Benjamin se sont retrouvés ensemble en seconde B. Le premier jour, Angélique est allée voir M. Follet, qui n’était plus son professeur principal, mais le seul en qui elle avait confiance, et a demandé à changer de classe. Celui-ci a fait remonter sa requête à la direction, qui a refusé. Iris Leroy avait spécifiquement demandé qu’Angélique et Sarah ne soient plus dans la même classe.