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Si elle n’était un jour plus là pour le faire, Lilou aimerait que quelqu’un s’occupe de la tombe de sa mère. Alors, elle s’accroupit et entreprit de nettoyer la dernière demeure de Claudette Leroy. Elle gratta la mousse avec ses ongles, retira les mauvaises herbes comme elle le put et replaça soigneusement la rose où elle l’avait trouvée. Puis, elle sortit son carnet et un crayon et dessina la stèle et la fleur, l’envol des mouettes et l’écume des vagues qui se brisaient au loin. Sarah était venue dans ce cimetière petite, elle avait enterré sa mère comme Lilou avait enterré la sienne, à peu près au même âge. Lilou avait le sentiment qu’elle était liée à Sarah par un même chagrin, que si elles s’étaient rencontrées, elles se seraient comprises. Sarah Leroy avait sans doute grandi comme elle, avec un manque au creux du cœur, une douleur fantôme qui se faisait plus forte les jours de chagrin et les dimanches soir. Puis quelqu’un avait fait du mal à Sarah. Quelqu’un l’avait fait disparaître et ne lui avait même pas laissé la possibilité d’être enterrée à sa place, ici, aux côtés de sa maman, avec vue sur la mer. Pour Lilou, avoir séparé la mère et l’enfant pour l’éternité était presque aussi grave que d’avoir tué Sarah. Elle hésita, puis rajouta sur son dessin, sous le nom de la mère, celui de la fille : « Sarah Leroy ; 1985-2001 » pour qu’au moins, dans son univers de fiction, les deux soient enfin réunies. Elle rangea son carnet. Si elle ne découvrait pas ce qui était vraiment arrivé à Sarah, qui le ferait ?

Décidée à poursuivre ses recherches, elle monta sur son vélo et se rendit dans le centre de Bouville. Quand elle sonna à l’interphone de l’appartement d’Angélique, au-dessus du restaurant, elle n’obtint pas de réponse. Peut-être Angélique sortait-elle tous les matins pour promener Obi-Wan. Lilou s’assit sur le muret qui bordait la digue de béton et attendit en envoyant des photos des vagues à Kim. Soudain, un aboiement joyeux lui fit lever la tête. Obi-Wan courait vers elle avec enthousiasme. Lilou sourit et rangea son téléphone pour accueillir le jeune chien qui lui lécha affectueusement le visage.

— Salut, dit Angélique en s’approchant, qu’est-ce que tu fais là ?

— Je me baladais, je me suis dit que je pouvais passer te voir.

— OK, monte.

Lilou suivit Angélique, qui, comme la fois précédente, sortit la clé du pot de fleurs pour ouvrir la porte.

— Tu veux un chocolat chaud ? Tu as l’air d’avoir froid.

— Oui, je veux bien, merci.

Quelques minutes plus tard, Lilou était installée sur le canapé du salon, la tête d’Obi-Wan sur les genoux et une tasse fumante à la main.

— Tu fais du rangement ? demanda-t-elle en désignant l’échelle qui montait au grenier. Elle n’avait pas remarqué la trappe dans le plafond du salon la fois précédente.

— Oui… Vu que Fanny est là, ce serait bien qu’elle récupère ses affaires, ma mère gardait tout, elle détestait jeter. On a un monceau de vieilleries qui prennent une place folle et j’envisage de louer l’appartement. Enfin, on verra, on va chez le notaire cet après-midi avec Fanny justement.

— Ah, je savais pas, dit Lilou, c’est à quelle heure ?

— Seize heures, à Boulogne.

Lilou calcula mentalement, au moins vingt minutes de route à l’aller et au retour, peut-être une heure de rendez-vous, ce qui voulait dire presque deux heures de tranquillité. Lilou cherchait un moyen de mener habilement la conversation sur le sujet qui l’intéressait, quand Angélique la devança :

— Elle en est où, Fanny, dans son article sur Sarah Leroy ?

Angélique avait posé la question avec nonchalance, comme on parle de la météo. Simple curiosité ou peur de ce que sa sœur pourrait révéler ? Lilou sauta sur l’occasion.

— Elle fait des recherches, expliqua l’adolescente d’un ton énigmatique. C’est dingue, cette histoire, tu ne trouves pas ? Comment vous avez appris la nouvelle au lycée ?

Angélique but une gorgée de café et haussa les épaules.

— Elle a disparu quelques jours avant la rentrée scolaire. Le premier jour, on nous a juste demandé de contacter le proviseur si on avait des informations sur Sarah, ensuite pas mal d’élèves ont été interrogés par la police.

Lilou ouvrit de grands yeux innocents.

— C’est pour ça que tu as été interrogée, toi aussi ? Parce que tu étais proche d’elle ?

Angélique eut un mouvement de surprise.

— C’est Fanny qui t’a dit ça ? Non, j’avais été amie avec elle dans le passé, ce n’était plus le cas depuis longtemps, mais des élèves ont rapporté qu’on s’était battues dans la cour, plusieurs mois avant sa disparition, et les flics ont voulu en savoir plus.

— Vous vous étiez disputées pourquoi ?

Angélique fronça les sourcils, comme si elle tentait de rassembler ses souvenirs.

— À vrai dire, je ne me souviens même plus… Des bêtises de gamines sans doute. Mais pourquoi tu me poses ces questions ? Fanny parle de moi dans son article ?

Lilou ignora la question.

— Tu imagines, si FC trouve la vérité ? Après toutes ces années, ce n’est pas une promotion qu’elle aura pour ce dossier, ce sera carrément une consécration.

Angélique fronça les sourcils.

— Quelle vérité ? Il y a eu un procès. La vérité, tout le monde la connaît.

Lilou prit un air innocent.

— Moi, j’en sais rien, Fanny, elle a l’air de croire que la vérité, la vraie, personne ne la connaît. Tu en penses quoi, toi ?

Lilou était incapable d’interpréter l’expression impénétrable d’Angélique. Était-elle inquiète ou indifférente ? L’adolescente décida de bluffer un bon coup. Elle avala trois gorgées de chocolat avant de dire :