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Dans un autre carton, Lilou trouva une boîte à chaussures remplie de photos. Il devait y en avoir une centaine, elles dataient de toutes les époques, certaines avaient encore un peu de Scotch ou de Patafix au dos, signe qu’elles avaient été affichées sur un mur.

Lilou étudia longuement une photo sur laquelle on voyait Angélique, Morgane et Jasmine, riant devant la mer. Elles avaient l’air très proches, heureuses. Angélique retourna la photo et lut « Désenchantées… 2001 ». L’été de la disparition de Sarah.

La boîte contenait aussi une feuille pliée en quatre. Lilou l’ouvrit et lut :

« Serment des Désenchantées : nous promettons de rester amies à la vie, à la mort, pour le meilleur et pour le pire, nous resterons toujours solidaires, quelle que soit la situation et nous nous soutiendrons toujours. Nous sommes les Désenchantées. »

Le texte était signé par Morgane, Angélique et Jasmine.

L’adolescente pensait avoir passé en revue tout le contenu de la boîte à chaussures, quand elle s’aperçut qu’il restait un cliché, plaqué à l’envers contre le fond du carton, caché sous le papier de soie qui protégeait les autres. Lilou le retourna et il lui fallut quelques secondes pour reconnaître Sarah. Il faisait presque nuit. Sarah se tenait debout sur la plage, le visage fermé, concentrée sur quelque chose au loin qu’on ne voyait pas. Elle ne semblait pas consciente qu’elle était prise en photo. Elle devait avoir une quinzaine d’années, mais paraissait différente de la fille douce au sourire un peu éteint que Lilou avait vue sur ses photos de classe. Ses cheveux étaient coupés au carré, bien plus courts que sur les photos diffusées dans la presse et ils étaient châtain foncé. Elle avait une tache noire au-dessus du sourcil gauche, comme une croûte. Ses jambes et ses bras portaient de longues traces blanches de crème solaire mal étalée. Les épaules redressées, le menton levé, elle avait l’air fort et déterminé de quelqu’un qui s’apprête à attaquer un adversaire. Il y avait cependant une étincelle dans son regard qui contrastait avec son attitude bravache et qui fit frissonner Lilou. Sarah avait peur. Lilou en était certaine. Au dos de la photo étaient inscrits en bleu des chiffres mystérieux : « 13-28 ».

Lilou aurait bien continué sa fouille, mais l’heure tournait. Elle ne voulait pas prendre le risque de se faire surprendre par Angélique. Elle hésita, puis s’empara de la boîte à chaussures. Elle replaça soigneusement tous les cartons comme elle les avait trouvés. Elle fit à Obi-Wan le câlin qu’elle lui avait promis, remplit d’eau son écuelle vide et repartit à l’hôtel, la boîte à chaussures remplie de photos volées sur son porte-bagages.

*

Document de travail

Affaire Sarah Leroy – année 2000

Le lendemain du jour de la bagarre et de sa visite chez les Leroy, Angélique a passé le cours de maths à regarder par la fenêtre, plongée dans ses pensées. À la récréation, Morgane et Jasmine parlaient d’un concert à Lille où elles envisageaient d’aller, mais Angélique semblait ailleurs. Un peu avant que la sonnerie annonçant la fin de l’interclasse ne sonne, Benjamin s’est approché du groupe.

— Salut, a-t-il lancé à l’intention d’Angélique.

Les trois adolescentes l’ont dévisagé avec surprise. Benjamin portait comme d’habitude un jean délavé, son blouson aviateur et le casque de son Walkman autour du cou. C’était la mode des cheveux décoiffés, dressés sur la tête au gel ou à la cire, et il ne faisait pas exception à la règle. Dieu merci, cette mode n’a pas survécu au passage au xxie siècle.

— Tu me cherchais ? a demandé le jeune homme.

Morgane et Jasmine se sont alors tournées vers Angélique, attendant une explication. Angélique s’est mordu la lèvre, subitement gênée.

— On m’a dit que tu étais passée à la maison pour me voir, a poursuivi Benjamin, soudain moins sûr de lui face au silence embarrassant qui s’était installé.

— Qui ça « on » ? a interrogé Angélique, Éric ou Sarah ?

— Sarah. Pourquoi tu es venue ?

— J’ai entendu une chanson à la radio, je n’arrive pas à la retrouver. Je voulais juste savoir si tu connaissais le groupe qui la chante.

Après quelques secondes de stupéfaction face à cette requête, pour le moins surprenante, Benjamin a demandé :

— C’était quoi la chanson ?

Angélique a fredonné :

— « Puisqu’on est jeunes et cons, puisqu’ils sont vieux et fous, puisque des hommes crèvent sous les ponts, mais ce monde s’en fout… »

— Saez, « Jeune et con », a reconnu Benjamin, laconique.

— OK, merci.

Angélique a ramassé son sac Eastpak qu’elle avait laissé par terre, et juste avant de s’éloigner, elle s’est retournée vers le jeune homme.

— Oh, au fait, tu pourras donner un truc de ma part à Sarah ?

Benjamin a légèrement froncé les sourcils.

— Ça dépend, c’est quoi… ?

Angélique a sorti son agenda et arraché une page au hasard, ce qui en disait long sur l’importance qu’elle accordait à ses devoirs. Elle y a griffonné quelque chose à l’aide d’un quatre-couleurs mordillé. Benjamin a lu le message, perplexe.

— Ça veut dire quoi ? Parce que si c’est encore pour vous insulter ou vous mettre des claques, je préférerais que tu te trouves un autre intermédiaire.

— Elle comprendra, a dit Angélique en refermant sa trousse, et ne lui donne qu’à elle, n’en parle à personne et surtout pas à ton connard de frère.

Sur ces mots, elle a tourné les talons, suivie par Morgane et Jasmine, plantant là Benjamin, le mot à la main.

— Tu peux nous expliquer ce qui se passe ? a exigé Morgane. Tu es allée chez eux après t’être battue avec Sarah ? Tu cherches les problèmes ou quoi ?

— Je ne peux pas vous en parler pour le moment, a simplement répondu Angélique, c’est compliqué.

Aujourd’hui

Fanny

Fanny et Angélique sortirent de chez le notaire vaguement sonnées, comme si ces dernières procédures administratives entérinaient définitivement le décès de leur mère. Fanny examinait sa petite sœur dans la lumière de fin d’après-midi. Les cheveux d’Angélique étaient attachés à la hâte en une queue-de-cheval floue dont s’échappaient quelques mèches plus claires, souvenir d’une couleur qu’elle avait dû faire deux ans plus tôt et jamais entretenue par la suite. Elle portait un jean usé, une polaire bleue du genre premier prix chez Décathlon ; quant à la parka militaire qui lui faisait office de manteau, Fanny savait qu’elle avait appartenu trente ans plus tôt à leur père. Aucun maquillage, aucune altération de ses traits harmonieux, de ses lèvres aux proportions parfaites, si bien dessinées, rarement souriantes et perpétuellement gercées en hiver.