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Plus jeune, Fanny se rappelait avoir ressenti de la jalousie pour la beauté d’Angélique et les compliments qui pavaient le chemin de sa petite sœur, comme un tapis de lumière. Aujourd’hui, si elle était honnête avec elle-même, elle n’enviait pas tant la beauté de sa sœur, mais plutôt son indifférence manifeste face à ces questions de physiques. Fanny était la grande sœur à l’apparence quelconque, boulotte et sérieuse, Angélique était la petite sœur solaire devant qui tout le monde s’extasiait. Une fois, Fanny avait entendu sa mère dire que la fée qui s’était penchée sur leur berceau avait donné la beauté à l’une, l’intelligence à l’autre. Cela l’avait doublement blessée, parce que non seulement c’était méchant, mais surtout c’était faux. En plus d’être la plus jolie, Angélique avait d’étonnantes facilités en classe, elle s’en sortait très bien en faisant le strict minimum, tout du moins jusqu’à la fin de la quatrième. Si leur mère y avait prêté la moindre attention, Angélique aurait pu faire des études. Mais personne ne s’était soucié d’Angélique une fois sa grande sœur partie. Fanny avait paniqué quand Angélique, en terminale, était tombée enceinte. Elle était rentrée, elle avait essayé de la convaincre de ne pas garder l’enfant, puis de poursuivre malgré tout ses études, soudain consciente que quelque chose avait gâché le potentiel de sa petite sœur. Angélique n’avait rien voulu entendre. Fanny était persuadée ­qu’Angélique voyait dans cette grossesse une excuse officielle pour arrêter les cours, qu’elle séchait déjà dans leur quasi-totalité. Elles s’étaient disputées. Fanny n’était pas venue voir Mia à la maternité, elle avait cessé de répondre à sa petite sœur, et au fil des années, le lien s’était rompu.

— On peut aller boire un café ? proposa Angélique, je voudrais te parler de quelque chose.

Fanny hocha la tête. Elle se sentait soulagée. Sa mère, contre toute attente, avait pris le temps de faire un testament. Elle n’y disait pas grand-chose, si ce n’est que ses filles pouvaient vendre le restaurant pour payer les dettes qu’elle leur laissait. Elle n’attendait pas d’elles qu’elles le gardent. Les deux sœurs s’attablèrent dans un café. Fanny commanda un thé et Angélique un café allongé.

— Je voudrais te racheter ta part du restaurant, expliqua Angélique, mais je n’ai pas l’argent pour le moment. J’ai fait des calculs, je pourrais te verser une rente, tu serais en quelque sorte actionnaire du restaurant le temps que je puisse te rembourser.

Elle posa devant Fanny un tableau récapitulant sur dix ans les bénéfices qu’elle espérait faire et les versements qu’elle prévoyait de faire à sa sœur. Fanny analysa le document.

— C’est quoi cette ligne ?

— Je pensais louer l’appartement l’été entre juin et septembre, ça ferait un revenu supplémentaire.

— Et tu habiteras où ?

— Je louerai un studio.

— Et qu’est-ce qui te fait croire que Le Comptoir du Fort deviendra rentable ? Maman a bossé toute sa vie comme une folle et tu as vu les dettes qu’elle nous laisse…

— Je changerai des choses, je pensais faire quelques travaux, moderniser, créer un site Internet, peut-être faire des plats à emporter et pourquoi pas inviter un groupe de musique le samedi soir en été ou louer pour des mariages ? Ça permettrait d’augmenter les prix. J’ai lu les commentaires que les gens laissent en ligne, ils disent que la nourriture est très bonne, les prix très bon marché, mais le cadre vieillot.

Fanny observait sa sœur tandis qu’elle lui exposait ses plans. Angélique avait les sourcils froncés, elle semblait sérieuse, appliquée, mais pas particulièrement enthousiaste.

— Je pense qu’il faut vendre, décréta Fanny, vendre tout, le restaurant, l’appartement, rembourser les dettes et ce serait réglé.

La mâchoire d’Angélique se crispa.

— Écoute, je n’ai jamais quitté la région, ce restaurant c’est ma vie, mon travail, mon quotidien… Si tu veux l’argent tout de suite, je peux essayer de faire un prêt, ou je peux augmenter les versements, si je ne prends pas de studio, je peux dormir dans l’arrière-salle l’été et…

Angélique examinait ses calculs à la recherche d’une solution. Fanny secoua la tête.

— Laisse tomber, Angélique, je n’ai pas besoin de cet argent et c’est ta décision, mais je pense que tu ferais mieux de t’en débarrasser.

— Je ne me vois pas faire autre chose. Et je te rendrai ton argent, je te le promets, j’ai juste besoin d’un peu de temps.

Fanny eut un geste indifférent de la main.

— C’est toi qui t’es occupée de Maman, qui était proche d’elle, qui l’a aidée avec Le Comptoir du Fort toutes ces années, c’est juste…

Fanny s’interrompit et Angélique haussa les sourcils.

— C’est juste que quoi ?

— Pourquoi tu restes ? Mia est partie, tu as trente-six ans, tu peux refaire ta vie. Avec l’argent, tu serais libre, tu pourrais voyager, aller où tu veux, je ne sais pas… C’est une telle contrainte, ce restaurant, ça l’a toujours été, il a gâché notre enfance.

— Où veux-tu que j’aille ? Je n’ai jamais pris l’avion de ma vie… Je sais que, pour toi, ce ne sont que de mauvais souvenirs. Mais Mia a grandi ici, c’est chez moi.

— Quand tu étais petite, tu avais plein de rêves, tellement différents de ta vie actuelle… Je comprends que tu sois restée pour Mia, mais maintenant, qu’est-ce qui te retient ? Je me souviens, tu parlais de partir à l’étranger, tu apprenais même l’anglais avec Sarah pour aller un jour à New York…

À l’évocation de Sarah, le visage d’Angélique se ferma.

— Pourquoi tu parles de Sarah ? demanda-t-elle d’une voix sèche. Pourquoi faut-il que tu viennes déterrer tout ça ?

— Je ne déterre rien, je disais juste…

— Il faut que tu arrêtes avec cette histoire d’articles sur Sarah, ça n’apportera rien de bon, à personne !

— Mais de quoi tu parles ?

— Ton enquête sur Morgane, Jasmine et moi ! Tu crois que je ne suis pas au courant ?

Le ton agressif d’Angélique énerva Fanny.

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

— Lilou est passée me voir ce matin, elle m’a révélé ce sur quoi tu bossais. À quoi ça sert ? Sarah est morte, elle ne reviendra pas, OK ?

Fanny fixa Angélique avec stupéfaction.

— Mais je n’enquête pas sur vous, je ne sais pas d’où Lilou sort ça, c’est faux !

— Elle n’a pas inventé ces prénoms, que je sache ! Tu pourrais au moins avoir la décence d’assumer !

— Assumer quoi au juste ?

— De faire passer ton ambition avant tout, une fois de plus, en écrasant tout le monde sur ton passage ! D’être prête à n’importe quoi pour cette promotion débile sans réfléchir une seule seconde aux conséquences de tes actes !

Fanny sortit dix euros de son sac à main et les balança sur la table.

— Ça te va bien de me dire d’assumer, murmura-t-elle d’une voix glaciale, toi qui justement n’as jamais rien assumé. Je vais t’envoyer mon dossier sur Sarah Leroy, je l’ai terminé ce matin. Ne t’inquiète pas, tu verras bien qu’il n’y a rien ni sur toi ni sur tes copines. Tu crois quoi ? Que j’ai menti il y a vingt ans pour te balancer maintenant, alors qu’un innocent a passé plus de la moitié de sa vie en prison à cause de vous ?