Выбрать главу

— Tu peux faire un truc pour moi ? Regarde si tu peux avoir la météo le jour de la disparition de Sarah, le 3 septembre 2001.

— C’est vraiment bizarre, cette obsession de la météo chez vous, je veux dire, un moment il faut accepter la réalité : il pleut tout le temps ici et il fait nuit à quatorze heures…

— Pas l’été, l’été, les jours sont plus longs dans le Nord que dans le Sud, figure-toi. Et pourquoi tu dis ça ? Je ne parle jamais de la météo.

Lilou fronça les sourcils, tentant de se rappeler quelque chose.

— Un truc que m’a dit le vieux René quand je l’ai interviewé, comme quoi il attendait le beau temps avec Sarah. Je ne sais plus exactement, je réécouterai l’interview si tu veux, je l’ai enregistrée.

Fanny se tourna vers sa belle-fille, l’air stupéfait et fit une embardée.

— Tu as interviewé le vieux René ?

— Oui, regarde la route ! Si je meurs pendant le stage d’observation de troisième, tout le collège se fichera de moi jusqu’à la fin des temps.

Lilou enfila ses écouteurs et tenta de trouver dans l’historique de Météo France la température du 3 septembre 2001. Fanny se gara devant la poissonnerie. Un homme d’une bonne cinquantaine d’années était justement en train de lever le rideau de fer.

— Bonjour, monsieur Roubier, vous vous souvenez de moi ? Je suis Fanny Courtin… La fille de Marie-Claire.

— Oh, bonjour, bien sûr, je t’ai vue à l’enterrement la semaine dernière, je n’ai pas eu l’occasion de te parler, mais toutes mes condoléances pour la perte de ta maman…

— Merci beaucoup… Monsieur Roubier, je peux vous poser quelques questions ? Ma belle-fille, ici, fait un exposé sur le lycée de Saint-Martin dans les années 2000, et comme vous connaissez tout le monde… Elle essaye de reconstituer l’été 2001 à partir de vieilles photos.

— Bien sûr, entrez donc à l’intérieur, vous voulez un café ?

— Avec plaisir.

Elles pénétrèrent à sa suite dans la poissonnerie et il les fit asseoir dans l’arrière-boutique.

— Je vais préparer les cafés. Vous voulez du sucre ?

— Moi, oui, déclara Lilou.

— Tu n’es pas trop jeune pour boire du café, toi ? chuchota Fanny les sourcils froncés.

— Fallait pas me faire sauter le petit déj ! Et là, l’odeur du poisson à l’aube, je sais pas toi, mais perso, je vais ­crever. Et d’ailleurs, je croyais qu’il ne fallait pas mentir aux gens qu’on interrogeait ? Que c’était contraire à l’éthique du journalisme… Alors en plus, utiliser ta pauvre belle-fille, mineure, comme couverture, tu n’as pas honte ?

Fanny rougit.

— C’est une urgence… Et puis, ce n’est pas du journalisme, je n’ai pas l’intention d’utiliser des informations mal acquises dans mon article.

— En tout cas, la prochaine fois que tu as ce cas ­d’extrême urgence non journalistique, je te conseille de préparer ton mensonge, parce que, là, c’était complètement incohérent… On aurait dit une gosse de six ans qui veut récupérer le mot de passe de l’iPad de sa mère.

Elles n’eurent pas le temps de poursuivre, M. Roubier revenait avec trois mugs fumant. Il déposa une cuillère et deux sucres devant Lilou.

— Merci, monsieur, déclara-t-elle avec un sourire poli, endossant son rôle d’écolière studieuse.

Fanny et Lilou étalèrent devant lui les photos qu’elles avaient apportées et lui montrèrent le sac blanc avec son logo.

— Ça vient de chez vous, ces sacs, non ?

— Oui, c’était notre logo à l’époque…

— Vous vous souvenez quand elles sont venues ? Ce qu’elles voulaient ?

— Angélique, ta sœur, elle récupérait souvent des livraisons pour le restaurant, surtout pendant la haute saison, ça doit être ça…

— Je ne crois pas que ce soit pour le restau. Regardez, là, le sac est dans notre cuisine, il n’a aucune raison d’être monté à l’étage de notre appartement, vous êtes sûr de ne pas vous rappeler autre chose ?

Il fronça les sourcils et reprit les photos pour les examiner en sirotant son café, son visage s’éclaira.

— Je n’avais pas fait attention, là, c’est la petite Jasmine ! Elle avait été première du département au concours Kangourou et elle donnait des cours particuliers à mon fils. Un petit génie des maths, cette fille.

— Oui, c’est elle, en effet…

— Vous savez quoi ? En fait, je me souviens de ce qu’il y avait dans ces sacs : de la glace. C’était bien l’été 2001, parce que c’était l’été où la fille du maire, Sarah Leroy, a été tuée par son frère, comment oublier un truc pareil ? Jasmine Bensalah venait deux fois par semaine donner des cours de maths à mon fils pour le remettre à niveau et, chaque fois, elle repartait avec deux ou trois grands sacs de glace.

Lilou ouvrit de grands yeux.

— Des sacs de glace ?

— Oui, la glace pilée que j’utilise pour exposer les poissons sur mon étalage. Elle me disait qu’elle organisait des soirées avec ses copains, c’était pour garder des bières au frais, ou faire des cocktails, je crois. Elle était même prête à payer, mais comme elle aidait mon fils, je lui donnais cette glace avec plaisir.

Fanny fronça les sourcils et reposa la tasse qu’elle s’apprê­tait à porter à ses lèvres.

— Deux ou trois sacs pleins, ça fait beaucoup de glace pour garder quelques bières au frais, vous ne pensez pas, monsieur Roubier ?

Il haussa les épaules.

— Je ne sais pas… Je vous avoue que je ne me suis pas posé pas la question, c’était une gentille fille, intelligente et bien élevée… C’est pour quoi, déjà, toutes ces questions ? Quel est le rapport avec le lycée Victor-Hugo dans les années 2000 ?

Fanny et Lilou s’empressèrent de changer de sujet et de prendre congé, non sans avoir remercié avec effusion pour le café. De retour dans la voiture, Lilou examina à nouveau la photo de Sarah sur la plage du cap Gris-Nez, puis leva la tête vers Fanny.

— Tu peux me parler de ton hypothèse, FC ? Je ­comprends rien, là ; c’est quoi, cette histoire de sacs de glace ?

— Les sacs de glace je n’en sais rien, j’avoue, ça me perturbe un peu.

— Franchement, je veux pas avoir l’air glauque, mais personne ne fait des cocktails avec de la glace pilée qui pue le poisson. La seule explication sensée que je vois, c’est que Jasmine faisait des réserves pour conserver un cadavre. Elle était comment, Jasmine ?

Fanny réfléchit quelques secondes.

— Elle était tellement discrète, c’était difficile de cerner sa personnalité. Morgane prenait beaucoup de place, elle parlait fort, exprimait ses opinions, à côté on remarquait à peine Jasmine. Mais c’était la fille de la femme de ménage des Leroy, peut-être qu’elle connaissait Sarah…

— Mais oui ! En plus, si sa mère avait les clés des Leroy, Jasmine pouvait carrément aller planquer la veste de Sarah dans le sac d’Éric Chevalier. Jasmine a tué Sarah, l’a coupée en morceaux et a gardé ses membres dans de la glace le temps de pouvoir se débarrasser du corps discrètement, au moment où plus personne ne regardait ! Si ça se trouve, elle l’a planquée dans les grands congélateurs du restaurant d’Angélique, peut-être même qu’elle y est encore ! Bravo, FC, tu as bien résolu le mystère Sarah Leroy, mais ça va être compliqué de prouver que ta sœur est innocente si on retrouve des morceaux de Sarah dans votre congélo vingt ans après sa mort.

Fanny tourna vers Lilou un visage horrifié.

— Mais ça ne va pas bien, d’imaginer des trucs pareils ? Il faut vraiment que tu arrêtes les films d’horreur !

Lilou éclata de rire.

— OK, ça va peut-être un peu loin, mais comment tu expliques toute cette glace autrement ? C’est quoi, ta fameuse hypothèse ? Ou alors, c’est la quatrième désenchantée qui est responsable et les autres l’ont couverte par solidarité ?