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— La glace, je ne l’explique pas pour le moment, mais mon hypothèse n’a rien à voir avec tes inventions macabres.

Fanny fit démarrer la voiture. Lilou analysa quelques secondes le profil concentré de sa belle-mère. Celle-ci avait enfilé un jean et un pull de laine, rassemblé ses cheveux dans une queue-de-cheval hâtive, pressée de partir poursuivre cette enquête. L’adolescente se demanda quand elle avait vu sa belle-mère autrement qu’impeccablement maquillée et coiffée pour la dernière fois.

— Pourquoi ça te tient tant à cœur de protéger Angélique ? demanda Lilou, ça fait des années que vous ne vous parlez plus, que tu la crois coupable d’un crime atroce, et que tu ne veux plus rien avoir à voir avec elle…

Fanny haussa les épaules, les yeux fixés sur la route.

— Angélique était une petite fille très différente de l’adulte qu’elle est devenue. Souvent, je pense que si… Si je n’étais pas partie à Paris faire mes études, elle n’aurait pas si mal tourné.

— En quoi elle a mal tourné ? Enfin, je veux dire, si on arrive à prouver qu’elle n’a pas transformé sa meilleure amie en surgelé Findus après l’avoir assassinée, elle a l’air plutôt heureuse. Elle adore sa fille et sa fille l’adore, ça se voyait à l’enterrement, elle a son restaurant, sa vie… C’est pas parce qu’elle n’est pas devenue comme toi qu’elle a « mal tourné ».

— Elle aurait pu faire tellement mieux… Et puis, elle avait toujours juré que jamais elle ne récupérerait le restau, qu’elle ne resterait pas coincée comme notre mère toute sa vie dans l’angoisse des comptes qui empirent chaque année. Elle rêvait de voyages autour du monde, et voilà où elle en est aujourd’hui…

— Ça veut dire quoi « tellement mieux » ? C’est son choix, c’est pas à toi de juger ou de décider ce qu’elle doit faire de sa vie.

— D’accord, elle est adulte, mais j’ai toujours pensé qu’il lui était arrivé quelque chose petite, il y a longtemps, la première année de mes études, quand je n’étais pas là. Elle ne s’est pas juste disputée avec Sarah, quelque chose l’a changée, l’a… cassée. Je ne l’ai pas protégée, je n’ai pas su lui parler.

— En fait, c’est ça, ton problème, FC, faut que tu ­comprennes que tu peux pas tout contrôler, tu n’es pas préposée à la gestion de l’univers, des gens et des ­conneries qu’ils sont susceptibles de faire.

— J’étais sa grande sœur…

Lilou songea à ce qu’elle serait capable de faire pour Oscar, pour qu’il réalise ses rêves, pour que personne ne lui fasse jamais de mal et elle comprit mieux Fanny.

— C’est pour ça que tu me fais chier tout le temps ? réalisa-t-elle soudain.

— Quoi ?

— Que tu veux toujours que je fasse bien les choses, que je m’habille correctement, que je travaille à l’école, que tu me saoules pour aller chez le gynéco ? Tu as peur que je devienne comme Angélique.

Fanny sourit.

— Tu lui ressembles sur bien des aspects et, oui, j’aimerais éviter que tu te retrouves, comme elle, coincée dans une vie d’adulte qui ne te correspond pas.

Lilou hocha la tête, bizarrement émue.

— Je suis désolée de t’avoir surnommée FC, déclara-t-elle avec solennité, je n’avais pas compris, maintenant je vais t’appeler Fanny.

— Comme tu le dis, ce sont mes initiales… Tu sais, je me suis habituée à ce surnom ; au final, il n’est pas si mal.

Lilou hésita.

— Je vois que tu n’as pas lu mon journal jusqu’au bout, ce ne sont pas vraiment tes initiales.

— Qu’est-ce que ça veut dire, si ce ne sont pas mes initiales ? interrogea Fanny avec méfiance.

— En fait… On a lu ce livre en classe, Vipère au poing, d’Hervé Bazin.

— Je l’ai lu il y a longtemps, mais quel est le rapport ?

— Laisse tomber, c’est pas grave.

— Si, je veux savoir, maintenant !

Lilou se racla la gorge.

— Bon, n’en fais pas tout un drame, d’accord ? C’est une petite blague… dans le livre, il surnomme sa mère qui le bat, l’humilie sans cesse et qui est probablement la pire mère au monde « Folcoche », c’est un mélange de « folle » et de « cochonne », ça fait référence à une truie qui dévore ses petits. Pour moi, c’est ça que « FC » voulait dire.

Fanny ne répondit pas et sa belle-fille lui jeta un regard inquiet.

— Ce n’était pas très sympa… Mais faute avouée, faute à moitié pardonnée ?

Les yeux fixés sur la route, Fanny garda une expression impénétrable. Lilou, ne sachant plus où se mettre, examina une énième fois la photo de Sarah pour se donner une contenance.

— En tout cas, je ne comprends pas pourquoi cette photo de Sarah Leroy pleine de crème solaire au crépuscule t’a fait changer d’avis. Je l’ai étudiée des heures, j’ai même retrouvé l’endroit où elle avait été prise et je n’en ai rien appris d’intéressant…

Au bout de quelques secondes de silence, comme si Lilou ne venait pas d’admettre qu’elle l’avait insultée continuellement depuis des années, Fanny répondit d’une voix parfaitement neutre :

— Ce n’est pas de la crème solaire, c’est de la graisse, et ce n’est pas le crépuscule, c’est l’aube. Tu as avancé sur la question de la météo ?

Aujourd’hui,

Jasmine

Fascinée, Jasmine fixait l’écran sur lequel son bébé venait d’apparaître.

— Regardez, là, c’est son pied.

Elle fronça les sourcils et tenta de discerner le membre en question que le médecin lui désignait dans le magma noir et blanc.

— Oh, oui ! Je le vois ! s’exclama-t-elle en battant des mains comme une petite fille.

Ce pied, flou et furtif, était parfait. Est-ce que les maths, qui expliquaient tout, savaient expliquer cela ? Si on lui avait posé la question, elle aurait répondu « évidemment » du ton tranquille et assuré qu’elle utilisait avec ses investisseurs, les employés de sa start-up et globalement tous ses interlocuteurs dans la vie professionnelle. Elle aurait expliqué la biologie, les lois de la reproduction, la survie de l’espèce. Tout est mathématique, scientifique, rationnel. La musique, les fleurs, les marées, la façon dont une vitre se brise ou la chute des grains de sable dans un sablier… L’univers tout entier repose sur des lois mathématiques. Mais ce petit cœur qui clignotait sur l’écran, il fallait bien l’admettre, constituait quelque chose de magique.

— Voilà un bébé très dynamique qui nous tourne le dos, commenta le gynécologue en passant la sonde sur son ventre encore plat.

Jasmine sentit son dos se relâcher.

— À ce stade, quels sont les risques de fausse couche ?

— On considère généralement qu’à douze semaines vous pouvez annoncer votre grossesse sans risque et vous êtes à quinze.

— D’accord, mais quel pourcentage des grossesses arrivées à ce stade s’arrêtent quand même avant la fin ?

Le médecin sourit.

— Tout va bien, Jasmine, vous n’êtes jamais arrivée aussi loin, cette PMA est en excellente voie.

— Oui, mais statistiquement, quel…

— Je n’ai pas le chiffre exact, coupa le gynécologue en riant, et même si je savais, vous me demanderiez d’où je tiens mes données, si les échantillons étaient représentatifs et si l’étude tient compte des biais par pays… Votre bébé est en parfaite santé et vous êtes sortie de la période à risque. Maintenant, est-ce que vous voulez connaître le sexe ?