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— Elle a quoi ?

— Elle a pété un plomb. Je ne l’ai jamais vue comme ça, elle s’est mise à me frapper. Pas juste une gifle, elle m’a rouée de coups, j’en suis tombée par terre, elle m’a donné des coups de poing, des coups de pied. Elle m’a traitée de pute, de menteuse, elle a vociféré que je ne valais pas mieux que toi ou que la traînée qui avait fait virer son fils chéri de sa prépa avec ses calomnies et qu’elle ne voulait plus jamais entendre des horreurs pareilles.

Horrifiée, Angélique a pris ma main et l’a serrée dans la sienne.

— Et ton père ? Tu ne pouvais pas lui demander de l’aide ?

Vu sa réaction quand j’avais essayé de lui parler d’Iris, je n’aurais jamais osé évoquer Éric devant mon père. Après l’histoire du hangar à bateaux, Benjamin avait mentionné Angélique, un soir à table. Il croyait son frère, mais il était persuadé qu’il y avait une sorte de malentendu. Il était lucide quant au fait que cette histoire relevait de la juridiction des adultes plus que de celle des potins du collège, mais pas encore conscient que la grande majorité des adultes sont bien trop lâches pour prendre le risque de se mêler de ce genre de choses. Il s’inquiétait pour Angélique parce qu’elle n’était pas revenue au ­collège après la soirée. Il voulait qu’Iris et mon père aillent voir sa mère, qu’on mette tout ça à plat pour que nous puissions nous réconcilier. « Arrête avec ces obscénités ! avait coupé mon père d’une voix glaciale. Nous n’avons pas l’intention de discuter de la vie sexuelle de ton frère, c’est privé. Monte dans ta chambre. » Puis, il s’était resservi et avait complimenté Iris sur sa blanquette de veau. La semaine suivante, il avait oublié cette conversation et l’existence d’Angélique.

— Mon père ne veut pas savoir. Il y a eu une histoire avec une fille dans la prépa d’Éric. C’est pour ça qu’il s’est fait virer. Mon père et Iris sont allés le chercher et quand ils sont rentrés, il a tapé sur l’épaule d’Éric et lui a dit : « Ne t’en fais pas, fiston, ce sont des choses qui arrivent, ce n’est pas si grave… »

— Oui, mais toi, tu es sa fille, c’est pas pareil…

J’ai haussé les épaules.

— Il considère Éric comme son fils, Iris lui aurait monté la tête, il ne m’aurait jamais crue. J’aurais été la fautive, celle qui cause les problèmes, qui brise la famille. Et puis, mon père et moi, on n’a jamais rien partagé, je n’aurais pas trouvé les mots pour lui raconter ça.

Angélique a hoché la tête.

— Je comprends… Et après le pétage de plombs d’Iris ?

— Elle est venue dans ma chambre le lendemain, très calme, presque douce. Elle s’est excusée de s’être emportée. Elle m’a emmenée chez le médecin. On lui a dit que j’étais tombée dans l’escalier. J’étais couverte de bleus, mais je n’avais rien de cassé. Ensuite, elle m’a conduite à Lille pour l’IVG. Elle était tellement calme, elle était flippante.

— Et toi ? C’est ce que tu voulais ? Avorter ?

— Oui, je ne l’aurais jamais gardé, imagine, élever l’enfant de ce porc… Jamais. Mais évidemment, elle ne m’a pas demandé mon avis, pour elle ça n’a jamais été ma décision. À la sortie de l’hôpital, elle m’a fait promettre de ne jamais aborder tout ça, c’était du passé, c’était oublié. Des histoires de famille, personne ne devait savoir. Si je parlais, je détruirais la famille, et la famille, c’était plus important que tout. Je lui ai répondu que c’était son fils qui détruisait la famille, moi, je n’avais rien demandé. Elle m’a filé une gifle.

Avec un frisson, j’ai revu le regard méprisant d’Iris ce jour-là, j’ai repensé à son raisonnement tordu : je venais allumer des garçons et je m’étonnais des conséquences ? Et puis, entre une gamine moche et dernière de sa classe et son fils si beau, si brillant que tout le monde adorait, on croirait qui ? Quelles preuves avais-je de ce que j’avançais ?

Elle était si sûre d’elle, si certaine qu’il ne risquait rien, c’en était glaçant. Je me suis souvenue de la façon dont elle m’avait convaincue qu’Angélique était folle à l’époque du hangar à bateaux, qu’elle essayait de nous détruire, parce qu’elle était jalouse, qu’elle avait tenté de séduire Benjamin puis Éric, qu’elle était hystérique. Je l’avais crue. Moi, la meilleure amie d’Angélique, j’avais avalé toutes ses bêtises. Alors qui me croirait, moi ?

— Je pourrais la tuer, a marmonné Angélique.

— Après l’IVG, c’est idiot, mais j’étais presque soulagée. Je me disais qu’avec toute cette histoire, Éric n’oserait plus m’approcher, et malgré tout, je pensais qu’Iris lui passerait un savon, ne serait-ce que pour éviter un drame, mais il a recommencé, comme si rien n’était arrivé.

— Tu n’as jamais essayé… de te débattre ?

— Quand je résiste, c’est pire. Je préfère encore attendre que ça se passe, le plus vite possible, en pensant à autre chose.

— Et Benjamin ? demanda Angélique, Benjamin, il sait ?

J’ai secoué la tête.

— Non, et je ne veux pas qu’il sache, il est suffisamment triste de t’avoir perdue, je crois que ça le détruirait.

— Qu’est-ce que tu vas faire ?

Je l’ai dévisagée sans comprendre.

— Qu’est-ce que tu veux que je fasse ?

— Tu ne peux pas continuer à subir ça !

— Tu crois que je n’y ai pas réfléchi ? J’ai zappé une heure de piscine ce soir pour venir te voir, mais Iris contrôle toutes mes sorties, elle sait où je suis, tout le temps. Si je me plains à qui que ce soit, elle me détruira, ou Éric me tuera, à ce stade, je ne sais pas qui serait le plus rapide. Avec les contacts que mon père a dans la police, si je fugue, ils me retrouveraient aussi sec et elle me le ferait payer au centuple.

— On n’est pas si loin de la Belgique… ils iraient te chercher à l’étranger ?

— En Belgique, oui. Parfois, je rêve que je pars au Japon ou en Australie… Tellement loin qu’ils ne me retrouveront jamais. Mais c’est impossible, tu ne prends pas l’avion quand tu es mineure sans te faire remarquer, sans compter que je n’ai nulle part où aller et pas un sou… Bref, j’attends d’être majeure, je trouve un boulot et je déménage, à Lille ou à Paris. Il faut juste que je tienne jusque-là.

— Comment tu peux tenir quasiment trois ans dans ces conditions ? a murmuré Angélique.

— Parce que je n’ai pas le choix.

Angélique fixait l’horizon que la nuit avait englouti, là où les falaises blanches de Douvres apparaissaient dans la brume les jours de beau temps. Elle a hoché la tête, a écrasé son mégot dans un pot de fleurs et a déclaré très calmement :

— On a toujours le choix. On va te sortir de là.

Aujourd’hui,

Lilou

Fanny se gara devant la piscine municipale. Elle n’avait pas dit un mot du trajet et Lilou sentait que cette histoire de « Folcoche » n’était pas très bien passée.

— J’ai trouvé l’historique de la météo, annonça-t-elle. C’était un peu galère d’accéder aux archives de Météo France, mais tu peux télécharger les données sur le site.

— Dis-moi qu’il faisait beau le 3 septembre 2001 !

Lilou jeta un regard surpris à sa belle-mère, elle avait les mains toujours crispées sur le volant alors qu’elle venait d’éteindre le contact, comme si la question était absolument cruciale.

— Ciel dégagé, vent faible, grand soleil, vingt et un degrés, déclara Lilou.

— Je le savais ! s’exclama Fanny d’un ton triomphal.

Lilou examina sa belle-mère d’un air circonspect. Qu’est-ce qu’ils avaient tous, avec cette histoire de météo ? Elle suivit Fanny qui s’engouffra d’un pas décidé dans la piscine de Bouville. L’odeur de chlore et la forte chaleur contrastaient avec la fraîcheur de la boutique du poissonnier.