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— Bonjour, j’ai téléphoné, ce matin, j’ai rendez-vous avec M. Roussel.

— Oui, son bureau est au premier, indiqua la fille de l’accueil.

Lilou monta à la suite de Fanny dans l’escalier.

— Tu peux me dire ce qu’on fout ici ? grommela-t-elle.

— Toi qui es si cultivée, tu penses que Folcoche confierait une telle information à sa belle-fille ?

Lilou leva les yeux au ciel.

— T’es toujours là-dessus ? C’est bon, c’est de l’humour, ta psy ne te conseille pas de travailler sur ta susceptibilité ?

Sans répondre, Fanny frappa à la porte ouverte d’un bureau sur lequel était écrit « Adam Roussel ».

— Monsieur Roussel ? C’est moi qui vous ai écrit ce matin.

— Ah oui, bonjour, entrez. Vous voulez un café ?

— Avec plaisir.

Il semblait à Lilou que cet enchaînement de cafés était peu recommandable compte tenu de l’état déjà avancé de tension et d’énervement dans lequel se trouvait Fanny, aussi préféra-t-elle refuser. Il fallait bien que l’une d’elles reste raisonnable.

Le bureau surplombait la piscine. Une large vitre étouffait le son de l’eau, des cris enfantins et des coups de sifflet du maître nageur. De la chaise en plastique où elle s’était assise, Lilou pouvait voir une classe d’élèves s’exercer au plongeon et une femme enceinte faire des longueurs.

M. Roussel revint avec un gobelet de café.

— Dites-moi tout.

— Ma belle-fille ici présente rêve de traverser la Manche à la nage, elle a quatorze ans, bientôt quinze et elle fait beaucoup de natation. J’essaye de la convaincre que c’est impossible, mais vous savez à quel point ils sont bornés et pénibles à cet âge, surtout Lilou. Comme vous avez coaché il y a trois ans un nageur qui a effectué cette traversée, je voulais en parler avec vous.

Lilou, vexée de cette description peu flatteuse, jeta un coup d’œil furieux et stupéfait à sa belle-mère. Adam Roussel considéra Fanny avec sévérité.

— C’est très bien d’avoir de grands objectifs à cet âge et le soutien des proches est capital dans la réussite d’un projet. Sachez que tout record sportif est considéré comme impossible jusqu’à ce que quelqu’un qui voit les choses en suffisamment grand ait le courage de le réaliser.

— OK, qu’est-ce que ça impliquerait, ce projet, pour Lilou ? Est-ce qu’elle serait trop jeune physiquement ?

Lilou, qui jusqu’ici se demandait si Fanny n’était pas en train de faire un AVC étant donné l’incohérence totale de ses propos, comprit d’un coup où elle voulait en venir. Fanny pensait que Sarah avait fugué en Angleterre en traversant la Manche à la nage. Que cet adversaire, qu’elle fixait avec un mélange de terreur et de détermination sur la photo, n’était pas un ennemi caché, mais la mer qu’elle s’apprêtait à franchir.

— Physiquement, c’est très ambitieux, mais c’est possible, répondit M. Roussel en se tournant vers Lilou avec un sourire, un garçon de onze ans l’a traversée en 1986. Légalement, Lilou, tu devras toutefois attendre tes seize ans, mais de toute façon tu as besoin de ce temps pour t’entraîner convenablement. C’est un véritable exploit sportif, qui demande une discipline, une endurance et un entraînement extrême. Très peu de gens y arrivent.

— Comment ça, « extrême » ?

— Il te faudrait deux ou trois ans d’entraînement, je dirais quatre fois par semaine, entre deux et quatre heures, en piscine, mais aussi en eau libre, évidemment. Il faudrait travailler à la fois ta vitesse et ton endurance.

— En eau libre ? demanda Lilou avec curiosité.

Sa question d’amatrice sembla le surprendre un peu.

— Dans la mer ou dans un lac par opposition à nager dans une piscine. Tu t’es un peu renseignée sur cette traversée ? On parle de quinze heures d’efforts continus, en termes d’endurance, c’est l’équivalent de trois marathons d’affilée, dans une mer glacée.

— Oui, bien sûr, il faudrait que je fasse quoi d’autre ?

— Eh bien, il est essentiel de maintenir le corps à trente-sept degrés pour éviter l’hypothermie. Il est donc impératif de supporter le froid, et il te faudra constituer une couche de gras protectrice avec un régime alimentaire approprié. À vue de nez, je dirais qu’il faudrait que tu prennes une bonne quinzaine de kilos et que tu t’entraînes à supporter des températures très basses.

— Et comment on fait ça ?

— En nageant dans de l’eau très froide ; l’homme que j’ai entraîné nageait dans la Manche toute l’année. J’ai connu un Anglais qui empruntait la chambre froide de son cousin boucher, certains nageurs prennent carrément des bains de glaçons dans lesquels ils s’entraînent à rester le plus longtemps possible.

— Des bains de glaçons, répéta Lilou en se tournant vers Fanny, voilà l’explication de la glace ! Et donc, une fois que je suis prête, ça se passe comment ? Je me lève un matin et j’y vais ?

— Bien sûr que non ! Déjà, la traversée est désormais interdite depuis la France, donc tu serais obligée de partir de l’Angleterre. Ensuite, il faudrait t’inscrire un an à l’avance, payer trois mille euros pour réserver un bateau qui t’accompagnera, sous réserve que les conditions climatiques le permettent…

— Et si je voulais le faire toute seule, sans bateau, depuis la France ?

M. Roussel éclata de rire.

— C’est impossible. D’une part, c’est totalement illégal et d’autre part, tu n’aurais aucune chance d’y arriver.

— Pourquoi ? C’est plus difficile ?

— C’est impossible de traverser sans bateau, personne ne l’a jamais fait.

— D’accord, mais imaginons que j’envisage de le faire, qu’est-ce que ça impliquerait ?

M. Roussel fronça les sourcils et réfléchit.

— Ce serait suicidaire. Enfin, théoriquement, si tu pars depuis la France, tu aurais peut-être une chance de voir les falaises blanches de Douvres tout le long à condition de faire la traversée de jour et que la mer soit calme, ce qui te permettrait de te diriger sans bateau, mais ça me paraît hautement improbable… Et ça veut dire que ton heure de départ se décide en fonction du lever du jour, et non des marées, ce qui constitue une difficulté supplémentaire… Pour l’équipement, j’imagine qu’avec un de ces sacs imperméables qui flottent, tu peux emporter ton ravitaillement…

— Donc c’est hautement improbable, mais c’est possible ?

— La Manche est l’un des détroits les plus fréquentés au monde. Sans bateau, le risque de passer sous un ferry, un porte-conteneurs ou un navire pétrolier est extrêmement élevé. À tout ça, tu peux rajouter les bancs de méduses, le froid, les éventuels œdèmes pulmonaires, les crampes, l’épuisement… Franchement, tu mourrais en chemin.

Lilou croisa les bras sur la poitrine.

— Je croyais que le principe d’un exploit sportif, c’était que tout le monde pensait que c’était impossible jusqu’à ce que quelqu’un d’un peu plus courageux et déterminé que les autres y parvienne ?

Sarah

Quelques jours après notre conversation au cimetière, Angélique est venue m’attendre à la sortie de la piscine. Je n’ai pas été surprise, c’était l’endroit où elle avait le plus de chances de me croiser sans se faire remarquer. J’avais les cheveux encore mouillés, et je me souviens qu’il faisait un froid hivernal humide et transperçant. Iris ne voulait pas que je porte de bonnet, elle trouvait que ça me donnait l’air stupide.