— C’est rien du tout, répondit Lilou avec un sourire mystérieux. Viens, Oscar, on va voir la mer, j’ai trouvé un cerf-volant ! Et après je vais te présenter au vieux René, il a promis de nous emmener ramasser les moules !
— C’est un secret entre belle-mère et belle-fille, c’est ça ? s’amusa Esteban.
— Entre belle-mère et fille tout court, cria Lilou avant de claquer la porte, son petit frère sur les talons.
Esteban prit Fanny dans ses bras.
— On va avec eux ?
— Vas-y, toi, je voudrais travailler un peu.
— Ça marche.
Il déposa un baiser sur ses lèvres et partit rejoindre ses enfants. Fanny sortit de sa valise la pile de carnets que lui avait confiés Morgane quelques mois plus tôt. Fanny avait catégoriquement refusé de modifier ne serait-ce qu’un mot du dossier qu’elle avait envoyé à Catherine. La promotion qu’elle convoitait depuis si longtemps lui était passée sous le nez et elle avait démissionné. Elle avait décidé de devenir journaliste indépendante, pour pouvoir choisir ses sujets et écrire ce qu’elle voulait, comme elle l’entendait. N’était-ce pas pour ça qu’elle avait choisi ce métier au départ ?
En attendant, à partir des journaux intimes que lui avaient confiés les Désenchantées, elle avait décidé d’écrire leur histoire, la vraie. Angélique, Jasmine et Morgane en feraient ce qu’elles voudraient par la suite. Ce n’était pas à Fanny de décider pour elles, mais la vérité devait exister quelque part.
Fanny avait lu les journaux des Désenchantées en long et en large, elle avait pris des notes, elle avait marqué des passages à l’aide de Post-it colorés. Elle avait ressorti du grenier ses propres journaux intimes. Elle aussi avait eu M. Follet comme professeur de français, quelques années avant les autres.
Elle posa son ordinateur sur la toile cirée de la cuisine où elle avait tant de fois préparé le petit déjeuner d’Angélique. Elle ouvrit son ordinateur et commença à écrire :
Document de travail
Affaire Sarah Leroy – année 1992
Nous avons toutes une part de responsabilité dans ce qui est arrivé à Sarah Leroy. J’y ai moi-même participé, même s’il m’a fallu vingt ans pour comprendre et accepter le rôle que j’ai joué dans cette histoire…
Aujourd’hui,
Sarah
Je sors de l’autoroute, sur le siège arrière, ma fille dort paisiblement dans son siège auto. Quand apparaissent les trois lettres géantes « LAX » indiquant l’entrée de l’aéroport de Los Angeles, je ne peux m’empêcher de ressentir une légère appréhension.
Je n’ai jamais voulu prendre le risque de sortir des États-Unis. Angélique n’a jamais voulu prendre l’avion. Nos échanges se sont espacés. Sa fille et le restaurant accaparaient tout son temps. Je lui proposais de venir, mais elle n’avait pas l’argent ou pas le temps. Je crois surtout qu’elle avait peur de monter dans un avion, mais qu’elle était trop fière pour l’admettre. Quand elle m’a écrit le jour de l’accident, nous ne nous étions pas parlé depuis plus de trois ans. Ce silence ne changeait rien à notre amitié. Suite à mon accident, j’ai rappelé Angélique après des années sans contact pour comprendre son message. Elle m’a expliqué qu’il s’agissait d’une fausse alerte, l’enquête n’avait pas été rouverte. Je lui ai annoncé que je venais d’avoir un bébé et que je lui avais donné son nom. Elle a eu l’air très émue et elle m’a demandé :
— Je peux venir la voir ?
J’ai répondu :
— Bien sûr.
Sans croire une seconde qu’elle viendrait réellement. Et pourtant, quelques semaines plus tard, elle m’envoyait des dates et des horaires de vols.
Voilà comment je me retrouve, un samedi ensoleillé, mon bébé en écharpe, à attendre dans le hall des arrivées de LAX, mon amie d’enfance que je n’ai pas vue depuis vingt ans. Comment vais-je bien pouvoir la reconnaître, puisque ni elle ni moi, pour des raisons différentes, ne nous sommes jamais inscrites sur aucun réseau social. Les gens se pressent ou déambulent, tirant enfants et valises vers des destinations inconnues. Les passagers du vol en provenance de Paris-Charles-de-Gaulle ont déjà débarqué. Le temps de passer l’immigration et de récupérer ses bagages et Angélique sera là. Je scrute les visages. Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir se dire ? Nos retrouvailles vont être atrocement gênantes. Est-elle cette blonde qui porte des lunettes de soleil ? La brune au téléphone, un sac en bandoulière ?
Non, la première me dépasse sans me jeter un regard. La seconde se jette dans les bras d’un homme grisonnant qui attendait juste à côté de moi.
Et puis, d’un seul coup, je la vois.
Bien sûr que je l’aurais reconnue.
Même sans ce tee-shirt délavé des Power Rangers absolument ridicule qu’elle arbore avec une classe infinie. Même à quatre-vingts ans dans une foule de cent mille personnes, sans mot de code, sans photo. Même si je ne vois plus rien à cause de ces larmes idiotes qui ont envahi mes yeux sans prévenir.
Elle sourit, elle court vers moi, elle nous serre, moi et ma fille, dans ses bras. J’ai huit ans. Elle n’a plus son ciré jaune, mais elle sent toujours la mer et le chocolat chaud.
Je l’aurais reconnue n’importe où. Ça ne s’explique pas, c’est comme ça.
Parce qu’un jour, quand tous les emmerdeurs seront morts, on se retrouvera dans la même maison de retraite et les autres se demanderont qui sont ces deux petites vieilles qui se tordent de rire du matin au soir et trichent à tous les tournois de bridge.
Parce qu’entre elle et moi, ce sera toujours comme si on s’était quittées la veille. Il suffira de reprendre la conversation là où on l’avait laissée.
Parce qu’on se connaît comme seuls ceux qui se sont connus enfants se connaissent, et vingt ans et neuf mille kilomètres, face à ce qui nous lie, c’est une goutte d’eau dans l’océan qu’est notre amitié.
Parce que Montaigne et La Boétie.
Parce que c’était elle, parce que c’était moi…
Remerciements
(Si vous faites partie de ces lecteurs qui lisent les remerciements avant de lire le reste, sachez que ceux-là révèlent le dénouement de mon intrigue…)
MERCI…
À mes filles et à mon mari qui, tous les ans pendant mes phases d’écriture, endurent avec une infinie patience mon épuisement chronique, mes plaintes, mon incapacité à écouter qui que ce soit, le grand huit imprévisible de mes émotions et mes errances en pyjama ou en jogging, les cheveux gras et le regard hagard. Je n’ai pas de soutien plus précieux dans l’écriture que ceux qui me supportent au quotidien.
À mes parents pour leur soutien et leur enthousiasme sans faille au fil des années, pour leurs retours toujours honnêtes et bienveillants, souvent les plus précieux pour améliorer mes manuscrits et leur foi en ma capacité qui me donnent des ailes, depuis que je suis toute petite.
À mes frères, Olivier, Clément et Paul, les meilleurs frères du monde, les plus cool, les plus gentils, les plus tout (j’ai enquêté, c’est officiel) et qui prennent le temps de me lire, même quand ils ne l’ont pas.
Et bien sûr, pour ce roman de la sororité, à mes (belles-)sœurs :
À Camille Vareille qui réussit tout, qui n’a peur de rien et qui m’inspire l’envie de faire toujours mieux et plus, plutôt que de regarder Netflix sur le canapé,
À Inès Vareille, dont la gentillesse et la générosité n’ont d’égales que la force de conviction qu’elle met à obliger chaque personne qu’elle rencontre à lire la totalité de mes romans et pour avoir été l’une des premières personnes à lire et à commenter ce livre,