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— Mais pas du tout, je ne la connaissais pas personnellement, j’étais même déjà partie de Bouville depuis un an au moment des faits !

— C’est ton bled, tout le monde se connaît dans les bleds. Et puis, personne n’ira vérifier ! Tu es journaliste, fais ton métier : raconte-nous une histoire.

Fanny se tut, incapable de prononcer une parole. Elle en avait oublié le décès de sa mère, curieusement hors sujet dans cette journée de plus en plus catastrophique. Catherine faisait des allers-retours dans le bureau, radieuse.

— Que tu viennes de là-bas, c’est inespéré ! Ce serait absurde de ne pas l’exploiter. L’avantage du online, c’est qu’on n’a pas de limite d’espace. Je vois bien un article hebdomadaire de mi-juillet à mi-août, des photos inédites, des témoignages de gens qui se souviennent en vidéo… Tu interviewes les profs, les anciens copains, les voisins. Tu as quartier libre, c’est l’opportunité pour toi de te faire remarquer, je te l’offre sur un plateau, tu n’as même pas à me remercier.

— Catherine, je ne suis pas sûre que je…

Catherine n’écoutait pas un mot de ce que Fanny lui disait, elle allait et venait dans son large bureau vitré, aussi fière que si elle venait d’inventer le grille-pain.

— Si, je connais mon métier : tu es la personne parfaite pour ce sujet. Tu pars lundi.

Fanny fronça les sourcils.

— Mais… où ça ?

— À Trucville-sur-Mer ! Dans ta famille ! C’est un sujet de terrain, toi qui rêvais de retourner sur le terrain !

— Ce sujet ne m’intéresse pas, rétorqua Fanny, et tu sais très bien que je ne parlais pas de ce terrain-là…

Avant d’avoir Oscar, Fanny était journaliste sportive, elle couvrait tous les événements sportifs majeurs en Europe. Ne voulant plus faire autant de déplacements, elle avait arrêté dès qu’elle était tombée enceinte et avait été embauchée chez Mesdames Magazine. Elle pensait souvent à son poste précédent avec nostalgie.

Catherine s’arrêta net, contrariée par cet acte de rébellion inattendu, elle plissa les yeux derrière ses lunettes en écailles et se planta devant Fanny, poings sur les hanches.

— Bon, Fanny, ce poste de directrice éditoriale du nouveau site de Mesdames, tu le veux, oui ou merde ?

Fanny déglutit. Bien sûr qu’elle le voulait. Mais pas comme ça, pas en faisant de la presse à scandale dans l’unique but de vendre du clic aux annonceurs sur le dos d’une gamine assassinée. Et tout particulièrement cette gamine-là.

— Il y a d’autres sujets…, commença-t-elle.

— D’abord on fait de l’audience, après on parlera des autres sujets. Tes trajets sont remboursés, ne me remercie pas. Shit, j’avais une réunion il y a quatre minutes. Je dois filer, fais un premier voyage, si tu as besoin d’un photographe, d’un vidéaste, envoie-moi un mail je te débloque le budget, OK ? Ta famille habite toujours là-bas ?

Le texto de sa sœur reçu le matin même revint brutalement à l’esprit de Fanny.

— Justement… Ma mère est décédée, il faudrait que je prenne quelques jours pour aller à son enterrement.

— Ah, zut, désolée. Mais vois le côté positif des choses : tu peux faire d’une pierre deux coups et on te paye le trajet !

Fanny, en état de choc, se demanda si Catherine s’atten­dait à des remerciements. Puis, juste au moment où elle pensait que la situation ne pouvait pas empirer, elle entendit Lilou, dont elle avait occulté la présence, lancer d’une voix claire :

— Excusez-moi, Catherine ? Je peux vous poser une question.

— Avec plaisir !

— Je dois faire un stage en entreprise, Fanny n’ose pas vous en parler, mais j’aimerais travailler avec elle sur ce projet. Vous pensez que c’est possible ?

— Mais bien sûr !

— Il faudrait signer ma convention de stage.

— Envoie-moi tout ça par mail ! Tu vois, Fanny, je t’offre même une stagiaire, allez, au travail, les filles !

Catherine attrapa son iPhone et sortit en trombe, faisant cliqueter ses bracelets qui annonçaient son arrivée partout où elle allait.

Fanny, horrifiée, resta quelques instants figée.

— Bon, on se casse où on plante la tente ? finit par sortir Lilou en bâillant.

— On va dans mon bureau, murmura Fanny, je vais te commander un Uber.

Tant pis, Lilou serait seule cet après-midi, il fallait absolument que Fanny trouve un nouveau sujet pour le lancement du site. La simple idée de taper « Sarah Leroy » dans un moteur de recherche la rendait malade.

— Je croyais que tu étais née à Paris…, fit remarquer Lilou en se laissant tomber dans le fauteuil de bureau de Fanny.

Fanny ne répondit pas et sortit son téléphone pour ­commander une voiture.

Lilou reprit :

— Tu veux que j’aille chercher Oscar à la sortie de l’école ? Vu que tu dois faire ta valise. Je peux l’emmener faire du vélo aux Buttes-Chaumont.

— Je ne dois pas faire de valise, je ne ferai pas ce reportage. Et si tu crois que tu vas régler ton problème de stage comme ça, tu te trompes. Il est hors de question que tu viennes avec moi !

— Où ça ? Je croyais que tu n’y allais pas ? ironisa Lilou.

— Mais comment tu fais pour être aussi exaspérante ?

— C’est toi qui m’as tout appris, FC. Je peux aller chercher Oscar quand même ?

Lilou et Oscar s’adoraient. Cela n’avait jamais semblé logique à Fanny, puisque sa relation avec Lilou s’était clairement détériorée à la suite de la naissance d’Oscar, mais Lilou semblait n’en avoir jamais tenu rigueur à son petit frère. Elle s’était toujours occupée de lui, inventant des jeux sans fin, lui lisant des histoires avec une patience infinie qui ne se manifestait en aucune autre circonstance. D’ailleurs, elle disait toujours « mon petit frère », il n’avait jamais été question de « demi » fraternité entre eux. Oscar, quant à lui, regardait sa demi-sœur avec une telle adoration qu’elle effrayait parfois Fanny. Il fallait toutefois bien admettre que prendre soin d’Oscar était la seule chose pour laquelle elle se fiait à sa belle-fille. Par ailleurs, quand Lilou était avec son frère, au moins, elle ne se livrait pas à une de ces idioties dont elle seule avait le secret.

— Oui, tu peux y aller, mais ne rentrez pas après dix-huit heures.

— Tu me files des thunes pour le goûter ?

Fanny fouilla dans son sac et lui tendit dix euros.

— Pas de produits transformés, tu n’as qu’à acheter une banane et des galettes de riz sans sucre.

— Fun… Il n’y a pas à dire, tu sais faire plaisir aux enfants. Au fait, c’est vrai que tu connaissais cette fille qui s’est fait assassiner ?

— Non, pas du tout, mentit Fanny.

Lilou ouvrit la bouche, sembla hésiter et la referma.

— Quoi encore ? soupira Fanny.

— Je savais pas… Pour ta mère… Je suis désolée. C’est dur de perdre sa mère, même quand on est vieux.

La tristesse subite de la voix de Lilou prit Fanny par surprise. Elle secoua la tête et répondit :

— Merci. Mais ce n’est pas… Ce n’est pas comme toi, quand tu as perdu ta maman. Ma mère et moi, on ne s’entendait pas.

— Ah oui ? Et sinon, pourquoi tu parles jamais de ta sœur ? J’ai toujours pensé que t’étais aussi relou parce que t’étais fille unique.

— On ne s’entend pas non plus, répliqua Fanny sans relever l’insulte.

— C’est fou, le nombre de gens avec qui tu t’entends pas, FC... Tu t’es jamais dit que peut-être tu avais un problème ? T’as déjà pensé à aller voir un psy ?

Fanny prit une grande inspiration pour contrôler son énervement.