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Mais aujourd’hui il n’y a personne, personne au bout de l’étendue de sable blanc, et le ciel est encore plus grand, plus vide. Lalla est assise au creux de la dune, le corps plié en deux, la tête enfouie entre ses genoux. Elle sent la brûlure du soleil sur sa nuque, là où les cheveux se divisent, et sur ses épaules, à travers le tissu cassant de sa robe.

Elle pense à Es Ser, celui qu’elle appelle le Secret, et qu’elle a rencontré sur le plateau de pierres, dans la direction du désert. Peut-être qu’il voulait lui dire quelque chose, lui dire qu’elle n’était pas seule, lui montrer le chemin qui va vers Oummi. Peut-être que c’est encore son regard qui brûle maintenant ses épaules et sa nuque.

Mais quand elle rouvre les yeux, il n’y a personne sur le rivage. Sa peur s’est effacée. L’arbre sec, le serpent, le grand champ de pierres rouges et de poussière se sont effacés, comme s’ils n’avaient jamais existé. Lalla retourne vers la mer. Elle est presque aussi belle que le jour où Lalla l’a vue pour la première fois, à travers l’ouverture de la bâche du camion, et qu’elle s’est mise à pleurer. Le soleil a nettoyé l’air au-dessus de la mer. Il y a des étincelles qui dansent au-dessus des vagues, et de grands rouleaux d’écume. Le vent est tiède, chargé des senteurs des profondeurs, algues, coquilles, sel, écume.

Lalla recommence à marcher lentement le long du rivage, et elle sent une sorte d’ivresse au fond d’elle, comme s’il y avait vraiment un regard qui venait de la mer, de la lumière du ciel, de la plage blanche. Elle ne comprend pas bien ce que c’est, mais elle sait qu’il y a quelqu’un partout, qui la regarde, qui l’éclaire de son regard. Cela l’inquiète un peu, et en même temps lui donne une chaleur, une onde qui rayonne en elle, qui va du centre de son ventre jusqu’aux extrémités de ses membres.

Elle s’arrête, elle regarde autour d’elle : il n’y a personne, aucune forme humaine. Il y a seulement les grandes dunes arrêtées, semées de chardons, et les vagues qui viennent, une à une, vers le rivage. Peut-être que c’est la mer qui regarde comme cela sans cesse, regard profond des vagues de l’eau, regard éblouissant des vagues des dunes de sable et de sel ? Naman le pêcheur dit que la mer est comme une femme, mais il n’explique jamais cela. Le regard vient de tous les côtés à la fois.

Alors, à ce moment-là, il y a un grand vol de mouettes et de sternes qui passe le long du rivage, couvrant la plage d’ombre. Lalla s’arrête, les jambes enfoncées dans le sable mêlé d’eau, la tête rejetée en arrière : elle regarde passer les oiseaux de mer.

Ils passent lentement, remontant le courant du vent tiède, leurs longues ailes effilées brassant l’air. Leurs têtes sont un peu tendues de côté, et leurs becs entrouverts laissent passer de drôles de gémissements, de drôles de grincements.

Au milieu du vol, il y a une mouette que Lalla connaît bien, parce qu’elle est toute blanche, sans une seule tache noire. Elle passe lentement au-dessus de Lalla, ramant lentement contre le vent, les plumes de ses ailes un peu écartées, le bec entrouvert, et quand elle passe comme cela, elle regarde Lalla, sa petite tête inclinée vers le rivage, son œil rond brillant comme une goutte.

« Qui es-tu ? Où vas-tu ? » demande Lalla. La mouette blanche la regarde et ne répond pas. Elle s’en va rejoindre les autres, elle vole longuement le long du rivage, à la recherche de quelque chose à manger. Lalla pense que la mouette blanche la connaît, mais qu’elle n’ose pas venir jusqu’à elle, parce que les mouettes ne sont pas faites pour vivre avec les hommes.

Le vieux Naman dit quelquefois que les oiseaux de mer sont les esprits des hommes qui sont morts en mer dans une tempête, et Lalla pense que la mouette blanche est l’esprit d’un pêcheur très grand et mince, avec le teint clair et les cheveux couleur de lumière, et dont les yeux brillaient comme une flamme. C’était peut-être un prince de la mer.

Alors elle s’assoit sur la plage, entre les dunes, et elle regarde la troupe des mouettes qui vole le long du rivage. Elles volent facilement, sans faire beaucoup d’efforts, leurs longues ailes courbes appuyées sur le vent, la tête rejetée un peu de côté. Elles cherchent à manger, parce que non loin de là il y a la grande décharge de la ville, là où viennent les camions. Elles crient toujours, en faisant leur drôle de gémissement ininterrompu où éclatent tout à coup, sans raison, des cris aigus, des glapissements, des rires.

Et puis, de temps en temps, la mouette blanche, celle qui est comme un prince de la mer, vient voler auprès de Lalla, elle trace de grands cercles au-dessus des dunes, comme si elle l’avait reconnue. Lalla lui fait des signes avec les bras, elle essaie de l’appeler, elle cherche tous les noms, dans l’espoir de dire le vrai, celui qui peut-être lui rendra sa forme première, qui fera apparaître au milieu de l’écume le prince de la mer aux cheveux de lumière, aux yeux brillants comme des flammes.

« Souleïman ! »

« Moumine ! »

« Daniel ! »

Mais la grande mouette blanche continue à tournoyer dans le ciel, vers la mer, frôlant les vagues de la pointe de son aile, son œil dur fixé sur la silhouette de Lalla, sans répondre. Quelquefois, parce qu’elle est un peu dépitée, Lalla court derrière les mouettes, en agitant les bras, et elle crie des noms au hasard, pour énerver celui qui est le prince de la mer :

« Poulets ! Moineaux ! Petits pigeons ! »

Et même :

« Éperviers ! Vautours ! » Parce que ce sont des oiseaux que les mouettes n’aiment pas. Mais lui, l’oiseau blanc, qui n’a pas de nom, continue son vol très lent, indifférent, il s’éloigne le long du rivage, il plane dans le vent d’est, et Lalla a beau courir sur le sable dur de la plage, elle ne parvient pas à le rejoindre.

Il s’en va, il glisse au milieu des autres oiseaux le long de l’écume, il s’en va, bientôt ils ne sont plus que d’imperceptibles points qui se fondent dans le bleu du ciel et de la mer.

C’est l’eau qui est belle, aussi. Quand il commence à pleuvoir, au milieu de l’été, l’eau ruisselle sur les toits de tôle et de papier goudronné, elle fait sa chanson douce dans les grands bidons, sous les gouttières. C’est la nuit que la pluie vient, et Lalla écoute le bruit du tonnerre qui roule et qui grandit sur la vallée, ou bien au-dessus de la mer. À travers les interstices des planches, elle regarde la belle lumière blanche qui s’allume et s’éteint sans arrêt, qui fait tressauter les choses à l’intérieur de la maison. Aamma ne bouge pas sur sa couche, elle continue à dormir la tête sous le drap, sans entendre le bruit de l’orage. Mais à l’autre bout de la pièce, les deux garçons sont réveillés, et Lalla les entend qui parlent à voix basse, qui rient sans faire de bruit. Ils sont assis sur leur matelas, et ils cherchent eux aussi à voir au-dehors, par les interstices des planches.