Radicz s’arrête de parler. Il voudrait bien demander des choses à Lalla, au sujet de l’enfant qui est dans son ventre, mais il n’ose pas. Il a allumé une autre cigarette, et il fume, et de temps en temps, il donne la cigarette à Lalla pour qu’elle aspire une bouffée. Tous les deux, ils regardent la mer si belle, les îles noires comme des baleines, et les bateaux jouets qui avancent lentement sur la mer pleine de lumière. De temps en temps, le vent souffle si fort qu’on dirait que le ciel et la mer vont basculer.
Maintenant, Lalla regarde ses photos sur les feuilles des magazines, sur les couvertures des journaux. Elle regarde les liasses de photos, les planches de contact, les maquettes en couleurs où son visage apparaît, presque grandeur nature. Elle feuillette les magazines d’arrière en avant, en les tenant un peu de travers et en penchant la tête de côté.
« Elles te plaisent ? » demande le photographe, avec un peu d’inquiétude dans la voix, comme si cela avait de l’importance.
Elle, ça la fait bien rire, de son rire sans bruit qui fait étinceler ses dents très blanches. Elle rit de tout cela, de ces photos, de ces journaux, comme si c’était une plaisanterie, comme si ce n’était pas elle qu’on voyait sur ces feuilles de papier. D’abord, ce n’est pas elle. C’est Hawa, c’est le nom qu’elle s’est donné, qu’elle a donné au photographe, et c’est comme cela qu’il l’appelle c’est comme cela qu’il l’a appelée, la première fois qu’il l’a rencontrée, dans les escaliers du Panier, et qu’il l’a amenée chez lui, dans son grand appartement vide, au rez-de-chaussée de l’immeuble neuf.
Maintenant, Hawa est partout, sur les pages des magazines, sur les planches de contact, sur les murs de l’appartement. Hawa, vêtue de blanc, une ceinture noire autour de la taille, seule au centre d’une aire de rochers, sans ombre ; Hawa, en soie noire, un foulard apache autour du front ; Hawa debout dans le dédale des rues de la vieille ville, ocre, rouge, or ; Hawa debout au-dessus de la mer Méditerranée, Hawa au milieu de la foule du cours Belsunce, ou bien sur les marches de l’escalier de la gare Hawa vêtue d’indigo, pieds nus sur l’asphalte de l’esplanade grande comme un désert, avec les silhouettes des réservoirs et les cheminées qui brûlent ; Hawa, en train de marcher, en train de danser, Hawa en train de dormir, Hawa au beau visage couleur de cuivre, au corps long et lisse, qui brille dans la lumière, Hawa au regard d’aigle, aux lourds cheveux noirs qui cascadent sur ses épaules, ou bien lissés par l’eau de mer comme un casque de galalithe.