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— On rentre ? me proposa-t-il en tendant la main pour m’aider à revenir du bon côté.

Je descendis de la Porsche pour ouvrir le portail de la Petite Fleur. Marc roula au pas, puis se gara. Je le rejoignis au moment où il sortit à son tour. Je restai là, sans bouger, tout près de lui, je savourais la bulle dans laquelle nous avions été toute la journée, lui ne disait rien non plus. Et le silence fut rompu. Je soupirai et fermai les yeux quelques instants.

— Où étiez-vous passés ? hurla Alice en accourant vers nous, complètement affolée.

—  À L’Isle-sur-la-Sorgue, répondit nonchalamment Marc.

— J’ai essayé de t’appeler dix fois ! continua ma sœur. Pourquoi tu ne m’as pas répondu ? Tu es toujours pendue à ton téléphone !

— Son portable est tombé dans la Sorgue, mentit Marc. Et je n’avais pas le mien.

Alice se pétrifia sur place, les autres me scrutèrent, stupéfaits.

— Comment ?

— Oh… bêtement… Je consultais mes mails en marchant, j’ai buté sur une pierre, et… et… plouf !

— Yaël, tu es en train de nous dire que tu as passé la journée sans téléphone ? Et tu es toujours vivante !? C’est une caméra cachée, beugla Adrien.

— Marc, dis-nous la vérité, lui demanda Jeanne. Elle a piqué une crise de nerfs, elle s’est roulée par terre, a couru comme une folle dans toute la ville pour s’en racheter un dans la minute.

— Même pas ! Elle…

— Stop ! hurlai-je en me mettant au milieu d’eux, les bras en l’air. J’en ai marre ! Arrêtez de parler de moi comme si j’étais malade. Ça vous fait rire, je sais que je le mérite… mais peut-on changer de sujet ?

Marc sourit le premier, puis baissa la tête. Adrien vint me prendre par l’épaule et m’entraîna vers la terrasse.

—  Ça mérite de boire un coup ! Les gosses sont couchés, c’est au poil ! La nuit est à nous.

Il me serra la nuque avec son bras et m’embrassa dans les cheveux.

— C’est cool, ça !

Je renonçai à emprunter celui d’Alice pour regarder mes mails, refusant de gâcher leur joie. La table était déjà mise, ils n’attendaient plus que nous. Rien d’étonnant à plus de 21 heures. Tout le monde trinqua, je bus quelques gorgées de mon rosé, et avec plaisir. Comme si mes papilles étaient à nouveau capables d’en apprécier la saveur. Alice vint s’installer à côté de moi, la mine contrite.

— Tu sais, l’autre jour, quand je te disais de lâcher ton téléphone, je ne te demandais pas de le lancer à la flotte.

Je ris légèrement, la tête me tournait déjà. Le petit verre de rosé avalé me mettait dans une brume, pas désagréable.

— Tu as quand même passé une bonne journée ?

— Oui…

J’étais sincère.

— Tu es sûre ? Tu as petite mine.

Elle passa délicatement sa main sur ma joue. Son geste me rassura. Si nous avions été seules toutes les deux, j’aurais laissé reposer mon visage dans sa paume, pour profiter de sa douceur, plus longtemps encore.

— Je suis fatiguée, mais c’était bien… lui annonçai-je en cherchant Marc du regard.

— Je t’ai préparé une tomate-mozza, j’ai pensé que ça te plairait.

— Merci, lui répondis-je en retenant les larmes qui montaient.

Sans savoir pourquoi, j’avais envie de pleurer. Les vannes s’ouvraient, et ça me soulageait. Les garçons revinrent avec les grillades. Une demi-merguez atterrit devant moi.

—  Ça devrait passer avec la tomate, me glissa Marc à l’oreille avant de continuer à servir.

Je réussis à finir mon assiette, c’était déjà extraordinaire. Les quelques gorgées de rosé me tapaient de plus en plus sur la tête, mes paupières étaient lourdes, mes yeux me piquaient, je n’avais plus de forces. Je quittai la table et commençai à débarrasser. En arrivant dans la cuisine, je pris appui sur le plan de travail, la tête bourdonnante. J’entendis la voix de Marc me souffler : « Va te coucher. » Je me retournai. Il arrivait à son tour, les bras chargés.

— C’est le vin qui ne passe pas.

— Non, tu as juste besoin de dormir.

— Je vais t’apprendre un nouveau truc sur moi pour compléter mon merveilleux portrait : je suis insomniaque ! lui annonçai-je en riant jaune.

— Quelque chose me dit que tu vas dormir, alors au lit, Yaël, l’insomniaque !

Et s’il avait raison…

— Je capitule, si tu me dis pourquoi tu as menti pour mon téléphone ?

— Pour nous éviter une prise de tête avec les autres.

Je lui fis un petit sourire.

— Tu peux me rendre un dernier service et leur dire que je suis allée me coucher ?

— Compte sur moi.

Les volets étaient restés fermés toute la journée, il faisait assez frais dans ma chambre. En me brossant les dents, la mollesse envahit mon corps et mon cerveau. Mes yeux se fermaient tout seuls, au point que je renonçai à une douche. Je me déshabillai, enfilai un pyjama léger, éteignis la lumière, et m’assis sur mon lit, laissant ma tête s’écrouler sur l’oreiller. Je remontai le drap, le tissu me sembla doux sur ma peau. Il y eut un grattement sur la porte.

— Yaël ? Tu dors ? Je peux venir chercher ma trousse de toilette ?

— Bien sûr.

La lumière du couloir suffit à l’éclairer jusqu’à la salle de bains ; je le distinguai tandis qu’il récupérait ses affaires.

— Bonne nuit, murmura-t-il.

— Marc ?

Il s’approcha du lit. Je trouvai la force de le regarder.

— Merci pour la journée. Merci…

— Dors.

Il sortit. Je l’entendis répondre aux questions des autres sur ma disparition, il rassura Alice qui s’inquiétait pour moi, mais lui interdit de venir me voir. Progressivement, les voix s’étouffèrent, et je m’enfonçai dans le sommeil, incapable de lutter.

Mes yeux restaient désespérément fermés, je les frottai avec mes poings comme un enfant, en bâillant. Puis, j’étirai mes muscles ankylosés. Je me redressai péniblement dans le lit, le drap glissa, il n’avait pas bougé depuis la veille. Mes paupières clignèrent ; à travers les persiennes, le soleil filtrait, déjà haut. Aucun bruit, le silence le plus parfait régnait dans la maison. Debout, il me fallut quelques instants pour trouver un semblant de stabilité, je fis craquer mon dos. En traînant les pieds, je me rendis dans la salle de bains pour me regarder dans le miroir : j’étais bouffie de sommeil et j’avais la marque de l’oreiller sur la joue. Je m’aspergeai le visage d’eau froide ; rien à faire, cette sensation d’engourdissement ne disparaissait pas. Je retournai m’asseoir sur le lit, il fallait réagir, sinon j’étais capable de me rendormir. Je cherchai mon téléphone sur la table de nuit. Et je me souvins… Je serrai les poings en m’enjoignant de ne pas m’énerver. Pas déjà, pas tout de suite une boule dans le ventre. Je voulais encore un peu la paix. Je me relevai et fouillai dans la commode, je tombai en premier sur le maillot de bain que les filles m’avaient trouvé ; il ferait l’affaire. Puis j’attrapai ma serviette, ouvris les volets et fonçai à la piscine ; elle n’était plus bâchée, ça tombait bien, il devenait urgent que je nage. Débarrassée de mon drap de bain, je pris ma respiration et plongeai la tête la première. La fraîcheur de l’eau mordit ma peau, particulièrement celle de mon ventre, qui n’avait plus l’habitude d’être à découvert, même mon décolleté le ressentit, mes seins étant toujours enfermés jusqu’au cou dans le carcan de mon maillot de nageuse. Je fis une première longueur sous l’eau, remontai à la surface où j’entamai un crawl, plus lent que d’habitude. Suivirent plusieurs longueurs avant que je marque un arrêt. Je repoussai mes cheveux en arrière, ils avaient recouvré leur liberté, je pouvais les sentir dans ma nuque, l’eau dégoulinant sur mes épaules. Accrochée au rebord, je penchai la tête en arrière pour les remettre sous l’eau, le clapotis chatouilla mes oreilles. Je posai mes pieds contre la paroi de la piscine et, au lieu de me propulser en arrière pour démarrer un dos crawlé, comme d’habitude, je m’arrêtai et fis la planche. Je restai parfaitement immobile, les bras légèrement écartés du corps, les yeux fermés, le soleil chauffant ma peau, et je souris. Je n’étais pas loin de rire, et de pleurer aussi, tant je sentais un sentiment de plénitude enfler en moi. Je me remis à la verticale et descendis au fond, où je regardai les bulles remonter à la surface, vers la lumière. Puis je les suivis et sortis de l’eau. Je récupérai ma serviette pour m’essuyer, m’en entourai le corps, puis regagnai la terrasse en essorant mes cheveux. Ce n’est qu’à cet instant que je découvris Marc assis là, un bouquin entre les mains, les yeux cachés derrière ses lunettes de soleil.