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— Tu n’aimes pas l’échec.

— Prise à mon propre piège, lui répondis-je en riant.

Un peu plus tard dans l’après-midi, après avoir renfilé mon maillot de bain, je croisai Jeanne sur la terrasse.

— Alice a très bien choisi, me dit-elle.

— Merci. Ça change du… Attends, tu permets que je secoue un peu Adrien ?

— Vas-y, fais-toi plaisir ! J’ai regretté de t’avoir confié sa remarque, c’était pas sympa.

— Pas de souci ! Tu as bien fait, je le méritais.

Je lui fis un clin d’œil, puis me frottai les mains.

— C’est parti !

Je passai la barrière de sécurité enfant de la piscine, suivie par elle. Alice feuilletait un magazine sur une chaise longue, Cédric et Marc discutaient les pieds dans l’eau, assis sur le bord, et ce cher Adrien faisait un petit somme sur un transat, il devait être bouillant.

— Adrien, lui murmurai-je à l’oreille.

— Mmm…

— Tu as gagné, j’ai craqué.

D’un bond, il fut debout, face à moi, dos à la piscine.

— Hein ! Quoi ! Déjà !

D’une pichenette, je le fis basculer dans l’eau. Il cracha tout ce que ses poumons contenaient d’air. Quand il remonta à la surface, je mis les mains sur mes hanches et pris mon air le plus sérieux et professionnel :

— Tu devrais savoir que la nageuse est-allemande a plus de cran que ça !

Cédric, Alice et Jeanne hurlèrent de rire. Marc, ne comprenant rien, demanda des explications à mon beau-frère, puis il me dévisagea avec son regard de cocker avant de suivre le mouvement.

— Oh, tu vas me le payer ! La p’tite Anglaise en bikini va morfler !

D’un bond, il s’extirpa de l’eau, je partis en courant et fis le tour de la piscine, en riant comme une folle, je pouvais presque sentir des ailes me pousser, tant je me sentais légère. Je pris de l’élan et fis une bombe ! J’éclaboussai tout le monde, pour mon plus grand bonheur.

Je passai tout l’après-midi dans l’eau avec Marius, qui avait sauté à son tour dès qu’il m’y avait vue. Léa, sitôt levée de sa sieste, enfila ses brassards et nous rejoignit. Elle passa tout son temps accrochée à mon cou. Emma craqua à son tour, c’était difficile pour elle de trouver sa place ; à douze ans, on n’est plus tout à fait une enfant, mais on n’est pas encore une ado. Je me souvenais d’elle à l’âge de Léa et, là, je la découvrais en deux-pièces, à peu de temps d’avoir ses premières règles, en réalisant que j’étais passée à côté de son enfance. Je me promis de ne pas faire la même erreur avec Léa.

Nous étions lundi, déjà une semaine que j’étais là, trois jours que j’étais déconnectée de ma réalité et de Paris, et, contre toute attente, je survivais. Après déjeuner, au lieu de profiter de la piscine, la demande de mon père me revint en mémoire, je décidai d’aller faire un tour dans la grange. C’était le seul bâtiment d’origine du terrain, en pierres de taille claires, polies par le soleil et le mistral. Elle devait atteindre les deux cents mètres carrés, en comptant l’étage au plancher troué. Durant la construction de la maison, après l’épisode de la roulotte, mon père y avait installé la famille. C’était un de mes endroits préférés, petite fille. Elle était un peu éloignée de la maison et pouvait tout à fait être indépendante. En y pénétrant, je compris pourquoi mon père m’y avait envoyée ; il comptait sur mes facultés d’organisation et de rangement, elle n’avait jamais été dans un tel état. Tous les meubles de l’appartement parisien avaient atterri là, sans compter tout ce que mes parents avaient entassé au cours des années : objets, papiers, vêtements, nos jouets d’enfant… Ils avaient même gardé le minitel ! En somme, tout ce qui fait une vie. Le chantier était impressionnant ; il me faudrait plus d’une journée, voire une semaine entière pour remettre un peu d’ordre toute seule dans ce bazar géant.

Je m’acharnais à faire bouger ne serait-ce que d’un millimètre un buffet en teck quand la porte grinça.

— Alice ! braillai-je. Viens m’aider à bouger cette horreur. Je te mettrais tout ça au clou !

— C’est moi, m’annonça Marc. Et ce que tu as devant toi n’a rien d’une horreur.

Je me redressai et essuyai mon front couvert de sueur et de poussière avec mon bras. Marc, quant à lui, était déjà à quatre pattes en train de détailler le buffet. Puis il se releva et fit un tour d’horizon de la grange, en prenant son temps, sifflant d’admiration, avant de revenir vers moi.

— C’est le paradis, ici ! me dit-il, les yeux pleins de malice.

— J’essaie de le rendre accessible, ce paradis ! Mais il faudrait d’abord bouger ce truc, lui répondis-je en tentant à nouveau de déplacer le meuble.

— Pas comme ça, tu vas l’abîmer. Regarde, tu fais travailler les pieds. Je vais te filer un coup de main, il faut tout faire pour que toutes ces merveilles ne se détériorent pas. Heureusement, ce n’est pas humide, mais il faut prendre certaines précautions.

Nous entamâmes un véritable déménagement, il était efficace, sauf lorsqu’il tombait sur une « pépite », occasion pour lui de me donner un cours. Ce qu’il fit par exemple lorsque je suggérai que les vieilles chaises en plastique — qu’on trouve aux kermesses d’école ou dans les salles des fêtes et que mon père traînait depuis des années — pouvaient prendre la direction de la déchetterie.

— Yaël, tu ne réalises pas, je crois ! Ces chaises que tu veux mettre à la benne sont emblématiques. Ce sont des Polyprop. Sais-tu que depuis la première sortie d’usine en 1963, 14 millions d’exemplaires de ce modèle ont été vendus ?

Je mis ma main sur la bouche pour éviter de lui rire au nez. Sitôt que j’eus tourné le dos, je craquai. Mes parents avaient dépassé la fin des années 70, Marc, lui, faisait tout pour y retourner, il était prêt à remonter le temps encore plus loin. En repensant à son appartement, ça n’aurait pas dû m’étonner.

Chaque meuble trouva sa place. Marc, après être allé fouiner dans le garage sur mes conseils, bâcha les plus fragiles, mit des cales en carton sous les pieds de chacun. Dès qu’il m’en donnait l’autorisation, j’utilisais la place disponible pour y ranger tout le reste : objet de déco, vaisselle, garde-robe de ma mère et de mon père. J’eus un énorme fou rire en tombant sur les vestiges de leurs années hippies avant notre naissance ; les pattes d’eph’ orange, les robes violettes de ma mère et les chemises col pelle à tarte de papa. Et un encore plus gros lorsque je tombai sur mes bulletins de terminale ! En anglais : « Yaël a un très grave problème avec l’autorité. Insolente !  » En français : « S’il y avait un bac option bavardage, Yaël l’obtiendrait avec les félicitations du jury.  » Et en éco : « Si elle n’ouvrait ne serait-ce qu’une fois par mois ses cours, Yaël serait promise à un grand avenir.  »

Quand ça commença à ressembler à quelque chose, Marc s’assit dans un fauteuil que j’avais toujours connu chez mes parents. Pour le plaisir, je lui demandai une dernière leçon.

— Tu n’as rien à dire là-dessus ?

— Tu te fous de moi, là ? me répondit-il, le sourire aux lèvres.

— Pas du tout ! J’ai toujours vu mon père se vautrer dedans, et je suis curieuse.

— Iconiques, ce fauteuil et son repose-pied ! C’est un Eames qui a été créé en 56. Tu vois, c’est du bois cintré et du…

— Cuir noir, le coupai-je. Je sais encore reconnaître le cuir !

— C’est bien ce que je disais, tu te fous de moi !

Je ris, puis lui tendis la main pour qu’il se lève.

— Viens voir l’étage. Il faut passer par l’échelle.