Выбрать главу

Ce serait mentir de dire que je vivais bien l’absence de téléphone, de connexion internet et de nouvelles de l’agence, mais je composais avec, me disant que d’ici peu je reprendrais mon rythme, mes habitudes, que le téléphone sonnerait à nouveau, que les mails s’accumuleraient. Quand des bouffées de stress me saisissaient à l’improviste, j’arrivais à les canaliser et à passer à autre chose. De la même manière, il m’arrivait de zapper totalement Paris et l’agence. Lorsque je le réalisais, mon esprit vagabondait, s’interrogeant sur ce qui m’attendait à mon retour de vacances, sur les conséquences de ma disparition de tout mode de communication. Marc m’empêcha in extremis de perdre mon pari. Durant un après-midi où tout le monde roupillait autour de la piscine, je tentai une percée sur la mezzanine où il avait planqué mon ordinateur, ayant dans l’idée de récupérer quelques numéros de téléphone dans le répertoire sauvegardé sur le Mac et d’utiliser le fixe de la maison, histoire de prendre des nouvelles de Paris. Ce fut un échec total : je n’eus pas le temps de grimper la moitié de l’échelle de meunier qu’il était en bas et me faisait redescendre. Il ne dit rien à personne, et Adrien n’apprit pas mon idée d’entorse au pari.

Ce matin-là, la fournaise dans ma chambre me réveilla. J’attrapai sur la table de nuit le vieux réveil, retrouvé dans la grange : il était à peine 8 heures. La terrasse semblait déjà fourmiller d’activité. J’ouvris mes volets et découvris Marc en train de mettre le couvert du petit déjeuner.

— Déjà debout, me dit-il.

— Qu’est-ce qu’il a fait chaud, cette nuit !

— Ne m’en parle pas, j’ai dormi sur le carrelage du salon avant de finir près de la piscine.

Avec la mezzanine, Marc avait hérité d’un sauna.

— Tu dois être claqué !

— Absolument pas, me répondit-il en bayant aux corneilles.

Tout le monde avait souffert de la température dans la maison. À table, les conversations allèrent bon train : qu’allions-nous faire ? Bouger ? Rester à la maison ? Sortir en petits groupes ou en troupeau ? Mener chacun sa vie sans s’occuper des autres ? Je n’entrai pas dans la mêlée, préférant les observer ; Adrien, Jeanne, Alice et Cédric ne s’écoutaient pas parler, changeant sans cesse d’avis, n’arrivant pas à trancher, se coupant la parole. C’était à mourir de rire, j’avais l’impression d’être au spectacle. Et la représentation avait lieu chaque jour. Marc, assis à côté de moi, ne disait rien non plus.

— Je descends faire un tour au village. Ça te dit de venir ? me proposa-t-il.

— Avec plaisir.

Je me préparai en moins de dix minutes et le rejoignis sur la terrasse. Les autres réagirent à peine en nous voyant partir, si ce n’est pour nous demander de ramener le pain et du rosé.

Nous nous débarrassâmes rapidement des courses pour flâner ; les souvenirs des heures passées dans ces ruelles pavées ressurgissaient, ça me faisait tout drôle, mais ça me faisait du bien. Gamines, nous y passions toutes les vacances d’été avec maman, papa nous y rejoignant uniquement pour trois semaines, Lourmarin était le point de repère dans l’année scolaire. À quel moment avais-je décidé de m’en passer ? Comment avais-je pu tourner le dos à cet endroit, à la douceur de vivre qu’il incarnait ? Marc s’arrêta dans plusieurs boutiques de déco, et fit ensuite le pied de grue pendant que je fouinais chez une créatrice de bijoux, Gris Piedra. J’avais dans l’idée d’amener les filles dans cette boutique, souhaitant leur offrir quelque chose pour les remercier de l’après-midi shopping ; je savais déjà ce que je voulais, un bracelet en argent pour Alice et des boucles d’oreilles pour Jeanne.

— Je vais prendre un café, finit par me dire Marc dont la tête émergea de la porte entrebâillée.

— Attends, je t’accompagne.

En promettant de revenir dans la journée, je lâchai tout pour le suivre. Marc s’installa à la terrasse du Café de l’Ormeau et nous commanda deux espressos avant de se tourner vers moi :

—  Ça fait du bien d’être au calme, tous les deux.

— Tu as raison… Je suis heureuse que tu sois là, les vacances n’auraient pas eu le même goût sans toi.

L’espace d’une seconde, il se figea.

— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? lui demandai-je face à son visage fermé.

Il souffla et reprit une expression normale.

— Te rends-tu compte que tu prononces le mot vacances sans t’évanouir ?

J’éclatai de rire.

— C’est vrai. Et je suis bien partie pour gagner mon pari !

— Je n’en ai jamais douté, me dit-il, sérieux.

— Merci…

Nous fûmes interrompus par le serveur. Marc sucra son café, le touilla et se roula une cigarette. Je m’enfonçai dans ma chaise après avoir bu le mien, et fermai les yeux en me tournant vers le soleil ; j’étais si détendue, apaisée, reposée, j’avais réussi à évacuer tout le stress qui bouillonnait en moi. Je soupirai de contentement, puis ouvris à nouveau les paupières. Marc me fixait, je lui souris.

— On va y aller, c’est plus raisonnable… soupira-t-il en secouant la tête.

— Pourquoi ?

— Ta sœur va encore criser, si on disparaît tous les deux, me répondit-il en sortant des pièces de sa poche.

À notre retour, la matinée était déjà plus qu’avancée et tout le monde était au bord de la piscine, les garçons jouaient aux cartes, les enfants pataugeaient et les filles bavardaient, comme toujours. Après avoir mis le rosé au frais, j’enfilai mon maillot et rejoignis Jeanne et Alice. Je n’eus pas le temps d’entamer la conversation avec elles, car Marius m’entraîna à l’eau, pour nager avec lui ; j’étais heureuse des progrès qu’il faisait chaque jour en natation. Un peu plus tard, Adrien décréta qu’il était l’heure de « l’apéro tous en maillot de bain au bord de la piscine » : il était presque midi ! Je sortis du bassin en promettant à mon neveu de continuer « l’entraînement » l’après-midi même. La discussion s’enflammait au sujet du menu du déjeuner : « Côtelettes ou brochettes ? » Marc et Adrien bataillaient pour que les brochettes remportent la victoire.

— Y a rien à bouffer, sur les côtelettes ! s’insurgea Marc.

— T’es mon pote, toi ! lui répondit son acolyte.

J’attrapai le verre de rosé qu’on me tendit et m’assis au bout d’une chaise longue, à côté de Marc. Mon attention se fixa soudain sur la proximité et la semi-nudité de son corps, sentant son bras contre le mien, sa jambe collée à la mienne. Je n’avais pas réfléchi en m’installant près de lui, c’était naturel, comme si c’était ma place attitrée. Ça faisait quoi, presque deux semaines que je le voyais à longueur de journée en maillot de bain, à moitié nu. Il se passait quoi, là ? J’eus des frissons, alors qu’il faisait une chaleur à crever. Je baissai mon visage — en feu —, en lançant un regard vers lui et remarquai sa montre, une fois de plus.