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— Viens… s’il te plaît, le suppliai-je.

Dans la seconde, Marc m’obéit et nos lèvres se retrouvèrent pour mieux étouffer nos gémissements de plaisir. Faire corps avec lui… j’avais ma réponse ; je n’avais jamais ressenti une telle fusion. La jouissance me donna le vertige, il me suivit de peu. Il reprit sa respiration, le visage niché dans mon cou durant quelques secondes, tandis que je fixais le plafond. Mes mains encore accrochées à ses épaules retombèrent au ralenti le long de mon corps. Puis il se retira, je refermai mes jambes et ne bougeai plus, Marc remonta un drap sur moi avant de s’allonger à mon côté. Il restait parfaitement silencieux, je sentais qu’il me regardait, attendant certainement un geste, un mot de ma part, j’étais absolument incapable de parler, la gêne m’envahissant, la réalité refaisant surface. La descente était violente. J’étais venue pour régler le problème. Échec total. J’eus conscience de mon incapacité à réfléchir rationnellement avec lui à quelques centimètres de moi, le corps encore marqué de ses mains. Que venais-je de faire ? D’un mouvement brusque, je m’assis au bord du lit, dos à lui, les bras autour des seins.

— Je dois retourner au travail.

Il y eut de longues secondes, interminables, pendant lesquelles je sentis mon corps se contracter de plus en plus. Ce silence se solda par un profond soupir de Marc.

— Bien sûr, finit-il par lâcher d’un ton las.

Comment faire pour me lever et récupérer mes vêtements aux quatre coins de son appartement ?

— Ne bouge pas, je vais te chercher tes affaires.

Je soufflai de soulagement, il m’épargnait la honte de me rhabiller devant lui, en plein jour. Je me sentais tellement mal à l’aise, d’un coup. À croire qu’une autre avait pris possession de mon corps depuis que j’avais franchi le seuil de sa brocante. J’entendis le bruissement des vêtements qu’on renfile.

— Tout est là, m’annonça-t-il quelques minutes plus tard. Je t’attends à côté.

La porte de la chambre se ferma. Avec une lenteur infinie, je me levai. Puis j’enfilai ma lingerie en dentelle et mon top. Mes gestes étaient brusques ; je crus ne jamais réussir à remettre la fermeture Éclair de ma jupe. Je tanguai dangereusement une fois perchée sur mes escarpins. La main sur la poignée de la porte, je pris quelques secondes pour respirer calmement. Marc fumait une de ses roulées à la fenêtre du séjour, perdu dans ses pensées ; je toussotai :

— Je dois récupérer mon sac en bas.

— Je t’accompagne.

Il écrasa son mégot dans le cendrier. Je n’osais toujours pas le regarder dans les yeux. Il s’approcha de moi, posa délicatement sa main sur mes reins, je frémis. Puis il me guida sur le palier. Nous descendîmes côte à côte l’escalier. Après un temps d’arrêt, durant lequel je fixai le bout de mes chaussures, il ouvrit la porte de la brocante. Et là, j’eus envie de disparaître sous terre ; son grand-père était là et nettoyait les débris de l’objet que nous avions brisé plus tôt. Marc passa devant moi en se dirigeant vers lui.

— Abuelo, laisse, je vais le faire.

— Et puis quoi encore ? Laisse-moi donc rêver à ma jeunesse.

— Arrête.

Le rire était perceptible dans la voix de Marc. Pendant qu’ils se chamaillaient, je récupérai mon sac à main laissé à l’abandon et saisis l’opportunité pour m’enfuir.

— Au revoir, murmurai-je en m’échappant vers la sortie.

J’ouvris la porte de la brocante en me faisant discrète. Raté !

— Yaël ! Tu fais quoi ? me demanda Marc, sidéré.

À ton avis, je fais quoi, là, Marc ? Je me tire, je me casse, je m’enfuis. Je ne peux pas rester une minute de plus à côté de toi, sinon, je deviens folle. Ce n’est pas moi qui viens de faire ça, c’est une autre, une furie, une irresponsable, qui ne sait plus qui elle est.

— Je m’en vais, lui répondis-je d’un ton que j’espérais neutre.

— Attends deux secondes ! m’ordonna-t-il sèchement.

— Désolée, je suis attendue. Je n’ai pas le temps.

Je partis en courant et en priant le Bon Dieu pour ne pas me casser la figure. Dans ma tête, c’était la panique générale. Dans mon corps, c’était l’éruption volcanique, je sentais encore sur ma peau le parfum de Marc, et c’était intenable.

Avant de franchir le seuil de l’agence une demi-heure plus tard, je mobilisai toutes mes capacités de concentration, ayant en tête la matinée catastrophique ; je devais rattraper le coup et remettre à plus tard l’analyse de ce qui venait de se passer, sans oublier que j’étais censée revenir d’une pause déjeuner. J’allai voir mon assistante pour prendre connaissance de mes messages. Heureusement, Bertrand n’avait pas cherché à savoir où j’étais.

— Yaël, me rappela-t-elle alors que je m’apprêtais à rejoindre mon bureau.

— Oui.

— Vous êtes allée chez le coiffeur ? me demanda-t-elle d’un air joyeux.

— Non ! Pourquoi ?

— Vos cheveux… ils sont détachés.

Je les touchai ; elle avait raison : ils étaient sur mes épaules, je ne m’en étais pas rendu compte et j’avais dû perdre mes épingles dans la bataille.

— Merde, répondis-je spontanément.

— Tenez.

Elle me tendit un élastique et je m’empressai de rattacher ma crinière.

—  Ça va ? lui demandai-je. J’ai l’air de quoi ?

— Heureuse… mais professionnelle.

— Merci.

Elle arborait une expression amusée ; je lui rendis son sourire. Avant de me remettre au travail, je passai à la traduction et réglai le problème de contresens de Benjamin.

— C’est sympa d’être revenue me voir, me dit-il.

— Je t’en prie.

— Au fait, tu as réglé ton problème ?

— Quel problème… ? Ah oui ! On peut dire ça !

Ce fut presque en courant que je regagnai mon bureau pour ne plus décoller de l’écran et du téléphone jusque tard dans la soirée. Bertrand commanda des sushis, je ne touchai pas aux miens, et restai concentrée pour faire barrage au reste. À 22 heures, estimant que j’avais rattrapé une bonne partie du retard de la journée, je décidai de rentrer chez moi et passai saluer mon patron.

— Tout avance comme tu veux ? chercha-t-il à savoir alors que j’avais la tête dans l’entrebâillement de la porte.

— Oui.

— N’hésite pas à déléguer tes petits clients aux autres.

Il n’avait peut-être pas tort, il fallait que j’y songe. Mes collègues, depuis que je les connaissais mieux, ne me semblaient plus si nuls que ça.

— J’y penserai. À demain.

Trois quarts d’heure plus tard, j’étais enfin chez moi. Je me traînai jusqu’à la salle de bains, me déshabillai en laissant à même le sol mes vêtements, n’ayant plus de forces, totalement lessivée. Me voir nue dans le miroir me renvoya dans la chambre de Marc, le bouleversement suscité par nos ébats refit surface, avec un sentiment étrange d’apaisement. Comme si le fait de me lâcher, d’exprimer ma colère et ensuite mon envie de lui, m’avait libérée d’un poids ; à l’image de la disparition de mon téléphone durant les vacances. Marc avait fui après le baiser, je ne savais toujours pas pourquoi. Ça avait été à mon tour de fuir, paniquée et incapable de me confronter à la réalité. Une réalité dont je ne connaissais pas les codes, une réalité qui n’avait pas de place dans ma vie, qui n’en avait jamais eue depuis que je travaillais. Le simple fait de fermer les yeux me renvoyait dans ses bras, je pouvais encore sentir ses mains et sa bouche sur ma peau. Je m’appuyai sur le rebord du lavabo, le souffle court, je n’en avais pas eu assez. Cet après-midi, j’avais découvert un plaisir jamais égalé en dix ans. À croire que seul Marc connaissait la méthode pour que je m’abandonne, que je perde le contrôle. J’avalai mon somnifère et me glissai sous la couette, en proie aux questions. Étais-je prête à me laisser porter par les événements ? Certainement pas ! Rien ni personne, et surtout pas Marc, ne devait mettre en danger ma carrière sur le point de prendre le tournant tant attendu. Je vais réussir, je dois réussir, je veux l’association. J’avais tellement lutté pour y arriver. Si près du but, je n’avais d’autre solution que de tout verrouiller, mes désirs et mon cœur qui battait plus vite quand je pensais à lui ; je ne devais prendre aucun risque. Mais que se passerait-il la prochaine fois que nous nous verrions ? Je n’allais pas pouvoir l’éviter éternellement. Je venais de reprendre ma place dans notre groupe d’amis, je retrouvais ma sœur, j’avais appris à leur octroyer une place dans ma vie et à prendre la mienne dans la leur, je n’allais pas, sous prétexte de la présence de Marc, renoncer à ce nouvel équilibre qui m’avait tant fait défaut ces derniers temps.