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— J’ai tranché cette nuit pour les salons, se contenta de m’annoncer Bertrand avant même que je sois assise dans son bureau.

— Je n’ai pas fini la prospection, me permis-je de lui répondre.

— Je l’ai fait à ta place, ça prenait trop de temps, et je veux avancer. Il faut être réactif, maintenir l’équipe dans le jus.

Il exagérait tout de même, ça faisait deux semaines qu’il m’avait donné le feu vert et quatre jours que l’ensemble de l’agence avait été informé du projet. Ça sentait mauvais, tout ça.

— Il te reste peu de temps pour obtenir les accréditations.

— Pourquoi ?

— Nous serons présents au Salon nautique pour proposer nos services aux participants.

Il se moque de moi, là !

— Quoi ? Mais Bertrand ! C’est dans à peine deux mois, je l’avais exclu d’emblée. Je visais le printemps.

Il arqua un sourcil, et se carra dans le fond de son fauteuil.

— Tu ne t’en sens pas capable ? Préviens-moi si c’est le cas et je mets quelqu’un d’autre sur le coup.

— Non, non ! Ce n’est pas ce que j’ai dit. Je voulais simplement éviter à tout le monde de trop travailler sous pression, mais je vais très bien m’en sortir.

— Je préfère ça. Autre chose maintenant. Choisis deux personnes pour le salon, tu n’iras pas. J’ai d’autres missions à te confier. Tu vas récupérer certains de mes clients, dont je n’ai plus le temps de m’occuper, et concentre-toi sur le reste.

Il se redressa et son attention se dirigea vers son écran ; il en avait donc fini.

— Yaël, entendis-je mon assistante m’appeler. Vous voulez déjeuner ? Il est 13 h 30.

— Quoi ? Déjà !

Je soupirai et me calai au fond de mon fauteuil en la regardant, dépitée.

— Vous n’irez pas chez le coiffeur ce midi ? me demanda-t-elle d’un air complice.

Tout sauf ça ! Aurais-je perdu tout mon crédit la veille ? Je n’avais ni le temps ni l’énergie à consacrer au souvenir du 5 à 7 avec Marc. Elle voulait être gentille, aussi ne m’énervai-je pas après elle. Malgré tout, elle n’avait pas intérêt à prendre trop de liberté, on n’était pas copines, loin de là !

— Je n’ai pas le temps, Bertrand veut que les choses avancent, lui répondis-je en me redressant.

— Venez grignoter quelque chose avec nous dans la kitchen, alors.

— J’arrive, merci.

Elle tourna les talons. Et je marquai un temps d’arrêt. Était-ce vraiment moi qui avais dit « j’arrive, merci » ? À première vue, oui, puisque je pris ma tablette et la suivis. Une grande partie de l’équipe déjeunait là, dans une ambiance détendue, joviale, même. À ma grande surprise, ça sentait la cuisine, les épices. Et le gras ! Personne ne mangeait les plats livrés par les traiteurs de Bertrand. Dès qu’ils remarquèrent ma présence, les rires cessèrent. En silence, ils me firent une place autour de l’îlot. Sans que je sache qui me l’envoyait, un plateau de sushis glissa jusqu’à moi. J’en attrapai un avec des baguettes, et continuai mes recherches sur le net. Comment allais-je faire pour m’en sortir ?

— J’ai besoin de vous, annonçai-je brusquement à mes collègues.

Ils me regardèrent bouche bée. Au point que je fus à deux doigts de me retourner pour voir si quelque chose ou quelqu’un se cachait dans mon dos.

— On t’écoute, me répondit Benjamin.

— On finit de déjeuner tranquillement, et on s’installe après en salle de réunion, pour ceux qui n’ont rien de prévu, évidemment. Ça vous va ?

J’eus droit à des hochements de tête en guise de réponses. Au moment de quitter la kitchen, j’eus envie de rire, en les voyant sortir un vaporisateur de Febreze pour camoufler les odeurs de cuisine. Je découvrais dans cette agence des habitudes dignes d’une double vie.

Lorsqu’un peu plus tard toute l’équipe fut réunie autour de la table, je leur annonçai la décision de Bertrand et le délai très court qu’il nous restait pour déterminer un nouveau plan d’attaque. Des murmures de mécontentement s’élevèrent. Ensuite, je fis ce que j’avais toujours refusé, tant c’était inconcevable pour moi :

— Voilà mes rendez-vous de cette semaine, comme vous le constatez, il y en a beaucoup : une vente aux enchères, une négo, une conf’ call, etc. En sachant que Bertrand va me transférer plusieurs des siens. Qui peut prendre en charge les miens ?

Mes collègues me fuyaient du regard, aucun ne se proposant.

— Vous êtes tous pris ?

Silence…

— Tout le temps ? paniquai-je.

Benjamin soupira profondément et s’accouda à la table en jetant des regards à droite et à gauche, avant de me scruter.

— Non, écoute, ce n’est pas ça, me dit-il.

— C’est quoi alors ?

Il lança un dernier coup d’œil aux autres, qui le fixaient l’air l’affolé, comme s’il relevait de l’hôpital psychiatrique.

— OK, je m’y colle. Je vais te dire ce qui nous retient de te rendre service… On va t’avoir sur le dos si on te remplace, tu vas nous faire vivre l’enfer.

C’est de bonne guerre.

— Je comprends. Mais je vous jure que c’est fini, ça. Consultez le fichier clients pour connaître leurs habitudes et demandez-moi s’il vous manque des infos, je serai disponible. Et après, je vous promets de vous laisser travailler en paix et de ne pas vous emmerder… S’il vous plaît ?

— Incroyable, tu as dit le mot magique, se moqua gentiment Benjamin. Allez, balance !

Il tendit la main, je lui passai mon emploi du temps, et il fit signe à tous les autres de regarder de plus près. Timidement, ils se dévouèrent chacun à son tour.

— Merci beaucoup…

Quel soulagement ! Je n’en revenais pas d’avoir fait ça, et sans trop de difficulté.

— Maintenant, passons à la prospection. Ça a beau être mon projet, je ne le mènerai pas à terme sans la mobilisation de chacun, j’ai besoin de vous et je souhaite que cela soit un travail collectif. J’attends vos idées, vos connaissances, bref tout ce que vous pouvez apporter ! Commençons par le salon. Ça vous parle, le nautisme ?

— Je fais de la voile depuis que je suis gamine, j’aurais deux ou trois petites choses à vous apprendre, nous déclara l’interprète de russe, visiblement satisfaite et fière d’elle.