— Faisons comme s’il ne s’était jamais rien passé, le coupai-je dans son élan.
— Tu te fous de moi, là ?
Je tripotai mes mains, la tête baissée.
— Regarde-moi, m’ordonna-t-il. Yaël, regarde-moi et dis-moi que tu n’y as pas repensé, que tu te moques de ce qui s’est passé entre nous.
Je pris une profonde inspiration avant de l’affronter, persuadée de réussir à mentir. Être si près de lui, sentir qu’il respirait rapidement me fit flancher.
— Je suis paumée, Marc. J’ai trop de choses en tête, si peu de temps pour… je ne sais pas comment faire avec ça…
— Tu crois que je ne suis pas perdu ? s’énerva-t-il. Je vous ai retrouvés, ça m’a complètement chamboulé… et puis, merde ! Yaël, ça fait à peine deux mois que je suis divorcé… je n’avais pas vraiment en tête de me retrouver si vite dans cette situation…
Je déglutis en détournant le regard ; il secoua la tête et démarra la voiture, le bruit du moteur résonnant dans le parking me fit sursauter.
— Je n’ai pas ton adresse, marmonna-t-il.
Je la lui donnai, et tout le trajet se déroula sans que ni l’un ni l’autre n’essaie de dire un mot de plus. Je restai collée contre ma vitre, yeux braqués vers la rue, telle une gamine boudeuse. Plus je sentais le poids de son regard sur moi, plus je me recroquevillais. Par je ne sais quel miracle, il réussit à se garer devant mon immeuble et coupa le moteur. Effrayée à l’idée d’une nouvelle conversation qui ne mènerait à rien, je ne lui laissai pas le temps d’en placer une et ouvris ma portière.
— À bientôt, chuchotai-je.
Je sortis de la voiture et me précipitai dans l’entrée de mon immeuble sans me retourner. Je grimpai quatre à quatre l’escalier et me barricadai à double tour chez moi. Sans allumer une lumière, je traversai l’appartement et regardai la rue à travers la fenêtre du séjour ; la Porsche n’avait pas bougé, Marc oui. Il était dehors et fumait une cigarette, assis sur le capot. J’attrapai mon téléphone, cherchai son numéro, gardant le doigt suspendu de longues secondes sur la touche appel. Et puis, sans le quitter des yeux, j’appuyai dessus. Je souris en le voyant chercher son portable dans toutes ses poches.
— Deuxième étage, porte droite, 27A13, pour le code, lui dis-je simplement quand il décrocha.
Je m’éloignai de la fenêtre et posai le téléphone sur la table basse. Qu’est-ce que je venais de faire ? Je balançai mes chaussures en m’approchant de la porte d’entrée, l’appartement uniquement éclairé par les lumières de la rue ; je respirai plus vite. Le temps me parut long : un instant, je commençai à me dire que j’avais fait une erreur, pourtant je crevais d’envie d’être avec lui. Et puis il y eut deux petits coups frappés, j’ouvris ; Marc, le visage fermé, avança vers moi en refermant la porte d’un coup de pied ; je reculai, prisonnière de son regard chargé de questions. Il attrapa mon poignet, m’attira à lui et m’embrassa sans attendre plus longtemps. J’avais attendu ça toute la soirée.
— Ça va être encore plus compliqué, me dit-il, sa bouche contre la mienne en me suivant à travers le séjour.
— Juste encore une fois, une dernière fois, murmurai-je alors que nous arrivions au seuil de ma chambre.
Il esquissa un sourire, le premier depuis que nous venions de nous retrouver en tête à tête.
— Le principal, c’est que tu y croies…
— Pas toi ? lui répondis-je avec le même sourire.
Il m’embrassa lentement, intensément, ses mains se baladaient déjà sur moi, pendant que moi, je me débattais pour lui retirer sa veste. Nous basculâmes sur le lit.
— Si, bien sûr, me dit-il, ses lèvres dans mon cou. On ne recommencera plus.
Un peu plus tard, j’étais calée dans ses bras, apaisée, somnolente, marquée par ses caresses sur chaque centimètre de ma peau, sur chaque partie de mon corps. Je redécouvrais que mon épiderme était doté de sensibilité. J’aurais voulu que cette douceur et cette sensation ne cessent jamais ; j’oubliais tout le reste, c’était apaisant et c’était agréable de ne pas avoir l’esprit occupé par mille choses, mais uniquement tourné vers ce bien-être. Et je n’avais aucune envie que ça soit la dernière fois.
— Nous voilà bien, me dit Marc.
Je levai le visage vers lui ; il souriait en me regardant.
— Rappelle-moi, enchaîna-t-il, tu m’as bien dit « juste une dernière fois », c’est ça ?
Je ris, puis retrouvai mon sérieux. Rien n’avait changé et c’était de plus en plus compliqué. Je m’éloignai de lui et m’assis en remontant la couette sur mes seins.
— Ça reste compliqué. Je ne sais pas… je n’ai pas le… Qu’allons-nous faire ?
Il se leva et se rhabilla. Quand il fut prêt, il s’assit sur le lit à côté de moi et caressa ma joue.
— Ne cherchons pas à comprendre ce qui se passe et prenons les choses comme elles viennent, d’accord ?
Je hochai la tête. Il se leva, j’en fis de même et attrapai un tee-shirt long dans le dressing. Une fois devant la porte d’entrée, Marc m’embrassa du bout des lèvres.
— On s’appelle ? me demanda-t-il.
— Oui.
Il partit. Je fis le chemin inverse d’il y avait deux heures et me retrouvai devant la fenêtre du séjour. Quelques secondes plus tard, Marc ouvrait sa portière. Avant de monter dans sa voiture, il leva la tête ; en m’apercevant derrière la vitre, il me sourit avant de disparaître.
Alice fut ravie de me voir dévorer son poulet petits pois et chiper la peau grillée du volatile dans les assiettes de ses enfants. M’étant réveillée en retard, j’avais sauté le petit déjeuner et, en arrivant chez eux, je mourais de faim. Ma sœur me laissa manger sans rien demander ; elle me lançait des coups d’œil toutes les deux minutes en assurant la conversation, en parlant des parents et de la pluie et du beau temps avec moi. De toute façon, si elle passait à l’attaque, je m’y mettais aussi. Et je doutais que la table de la salle à manger entourée de ses enfants et Cédric lui convienne pour des confidences. Je savais où tout ça se terminerait ; soit dans la cuisine la tête au-dessus de l’évier, soit dans le canapé après le café. Une vingtaine de minutes plus tard, elle me fit comprendre son choix :
— Je vais coucher Léa pour une sieste et on se retrouve dans le salon.
Sans me laisser la moindre chance de remettre en cause sa décision, elle attrapa Marius, lui proposant de regarder un DVD dans leur chambre ; elle était donc déterminée à avoir la paix la prochaine heure et demie ! Je finis de ranger la cuisine en compagnie de Cédric, qui avait bien du mal à contenir son fou rire.
— Elle est en forme, lui dis-je en mettant la pastille dans le lave-vaisselle.
— Ah ça ! Elle est déchaînée, c’est toujours la même chose !
— Qu’est-ce qu’elle a ?
Il leva les mains en l’air.
— Ne compte pas sur moi pour jouer les balances. Et je serais toi, je préparerais vite fait ce que je compte lui dire ! Elle continuait encore à causer sur ce qu’elle supposait la nuit dernière alors que je ronflais. Et j’étais à peine réveillé ce matin que c’était reparti !
— Oh non…
— Et si, me dit-il en riant.
Le voir remplir la bouilloire et préparer une théière pour Alice me confirma à quel point le moment était sérieux. J’exigeai un espresso et il m’accompagna dans mon choix. Nous étions dans le séjour en train de le boire lorsqu’elle arriva. Elle se planta non loin de son mari, les mains sur les hanches en le fixant.