Выбрать главу

— OK ! Je vous laisse !

Il secoua la tête, quitta son fauteuil et déposa un baiser sur les lèvres de sa femme. Il tapota mon épaule en passant à côté de moi, et souffla « bon courage ». Puis il disparut dans la maison, non sans agrémenter son départ d’un éclat de rire libérateur. Alice se pelotonna sur le canapé, se calant un coussin dans le dos, son mug de thé à la main.

— Vous êtes bien rentrés avec Marc, hier soir ?

— Oui, oui… tu racontes quoi, toi ?

Elle avala une gorgée de thé et me regarda avec indulgence.

— La dernière fois, tu n’as pas remarqué parce que tu étais trop obnubilée par ton boulot. Ce coup-ci, c’est à cause de Marc que tu n’as rien vu hier, je préfère ça, tu me diras…

— Sois plus claire, je ne comprends rien. Tu veux jouer aux devinettes ?

— Indice : on va devoir pousser les murs de la maison…

Je fronçai les sourcils ; maison trop petite, Alice sourire radieux, Cédric encore plus aux petits soins que d’habitude… ma sœur était…

— Enceinte ! Tu es enceinte !?

— Tu as été plus rapide que d’habitude !

Je bondis sur elle en la serrant fort contre moi, faisant taire le pincement au cœur qui m’étreignit un bref instant.

— Dis-moi tout ! C’est pour quand ? Tu vas bien ? Tu n’es pas trop fatiguée ? Vous savez ce que c’est ?

— Retourne t’asseoir, tu m’étouffes !

— D’accord, d’accord…

Une fois à ma place, je me donnai des claques mentalement ; comment avais-je pu passer à côté de ça ? Alice était mère dans toute sa splendeur, épanouie, surpuissante, comme à chacune de ses grossesses, toute en rondeurs et délicatesse.

— C’est pour fin avril ou les premiers jours de mai, je suis en pleine forme et on garde la surprise, comme d’habitude.

— Dis-m’en plus…

— On est fous de joie, que veux-tu que je te dise d’autre…

— Les parents sont au courant ?

— Non, je leur dirai à Noël, sinon maman va débarquer demain !

J’éclatai de rire, notre mère était pire qu’une louve protégeant ses louveteaux quand Alice était enceinte.

— Bon, maintenant, à toi !

Oh non… pas déjà. Pour la forme, j’allais tenter de botter en touche, bien que je sache pertinemment que ça ne servirait à rien.

— Moi… tout va bien… le boulot… la routine…

— Crache la Valda ! Que se passe-t-il avec Marc ? Ne t’avise pas de me répondre rien, parce qu’après votre sketch d’hier soir, ça serait ridicule. Soit dit en passant, qu’est-ce qu’on a ri !

— Bon, soupirai-je. Je reprends depuis le début !

Alice m’écouta attentivement pendant que je lui racontais ce qui s’était passé entre Marc et moi depuis le dernier jour de vacances à Lourmarin jusqu’à la nuit précédente.

— Vous vous revoyez quand ? me demanda-t-elle sitôt que j’eus fini.

— Aucune idée.

— Comment ça ?

— Bah… non.

— Attends, Yaël, il y a un truc que je ne comprends pas… vous êtes quoi au juste l’un pour l’autre ?

— Je n’en sais rien…

— Ne me dis pas que c’est juste pour le… plaisir ? s’étrangla-t-elle en haussant un sourcil.

— Euh… je ne vais pas te cacher que c’est plus que bien…

— Stop ! Pas de détails sur ta vie sexuelle, s’il te plaît !

Je pouffai. Cependant, mon rire s’évanouit rapidement en voyant ma sœur se décomposer.

—  Ça te pose un problème ? lui demandai-je.

—  Écoute… Marc vient de divorcer, je crois que ça n’a pas été facile pour lui, il en a parlé à Cédric pendant les vacances… il n’a jamais été du genre à s’amuser avec une femme, mais après tout, il a pu changer en dix ans, on n’en sait rien… J’espère que tu ne lui sers pas simplement à passer le temps…

Je n’avais pas pensé à ça. Si ma sœur avait pu éviter de le faire, ça n’aurait pas été plus mal… Mais bon, après tout…

— Et alors ? Je n’attends rien de mon côté.

Elle tapa sur l’accoudoir du canapé, interloquée.

— Oh, ce n’est pas vrai, Yaël… Quand vas-tu ouvrir les yeux ?

— Sur quoi ?

— Mais enfin ! Tu es bête, ma parole ! Tes sentiments pour lui.

Je me contractai :

— De quoi parles-tu ?

— Tu as toujours été amoureuse de Marc, reconnais-le…

La grossesse rendait Alice complètement cinglée. C’était du délire ! Pourtant, plus je la regardais plus elle me faisait peur, avec son regard déterminé. Elle était sûre d’elle, visiblement convaincue par les âneries qu’elle s’apprêtait à me débiter.

— Non ! Pas du tout !

Elle semblait accablée, j’avais vraiment l’impression d’être une simplette.

— Tu veux que je te rafraîchisse la mémoire ?

Je croisai les bras et détournai la tête pour ne plus la voir.

— Ne boude pas et écoute-moi !

— Je boude si je veux et je ne t’écoute pas !

— Mais quelle sale gosse quand tu t’y mets !

Je ne voulais pas entendre ce qu’elle avait à me dire.

— On a tous été bouleversés par sa disparition, mais toi plus que nous tous réunis…

— Ce n’est pas vrai, la coupai-je en piquant du nez. Et je ne supporte pas de parler de cette période.

Elle ricana.

— Tiens, comme c’est étrange ! Mais ne compte pas sur moi pour te ménager ! Ça suffit, les conneries ! Tu veux que je te rappelle qui a pleuré sur notre clic-clac des nuits entières parce qu’il n’était plus là ? Qui a attendu devant la sortie de la fac tous les soirs ? Qui a failli ne pas dépasser sa période d’essai parce que Marc avait disparu ?

Je lui fis face brusquement.

— N’importe quoi !

— J’aurais donc rêvé qu’un jour ton patron t’a convoquée parce que tu ne t’étais pas présentée à un rendez-vous tout ça parce que tu faisais le pied de grue devant l’appartement du grand-père de Marc ?

— Peut-être, mais tout ça, c’était il y a longtemps ! On était amis, c’est tout ! J’étais folle d’inquiétude et basta !

Elle se leva du canapé, et vint vers moi, me dominant de toute sa hauteur tandis que je me ratatinais dans mon fauteuil.

— Tu as de la merde dans les yeux dès qu’il s’agit de Marc ! Et ça depuis toujours ! Pour nous tous, ça a toujours été évident, ce truc entre vous. Vous étiez pires que des siamois ! Dès qu’il y en avait un qui bougeait, l’autre en faisait autant, vous…

— Et après ! On était des gamins, on avait vingt-cinq ans !

— Franchement, Yaël ! Il ne vous a pas fallu longtemps pour que ça recommence !

Je me mis debout à mon tour et lui adressai un sourire mauvais.

—  Ça n’a rien à voir. Aujourd’hui, on se fait du bien, c’est tout !

Je faisais exprès de la mettre mal à l’aise, mais ça ne marchait pas, elle enfonça le clou :

— Arrête de faire l’autruche… Fais attention à toi et un peu à lui aussi, c’est tout ce que je te demande…

— Tu fais dans la psychologie de comptoir, maintenant ? ironisai-je.

— Je fais peut-être dans la psychologie de comptoir. Mais au moins, moi, je vis, je ressens, j’aime et je l’assume.

J’eus un mouvement de recul. Alice me planta là, et alla voir ce que traficotait sa petite famille. Je saisis l’occasion pour m’éclipser. La piscine me permettrait de me défouler : trop de choses en tête. Pour commencer la grossesse d’Alice qui, même si elle me rendait très heureuse pour eux, me renvoyait à quelque chose de plus en plus éloigné de ma vie et de mon avenir. Il fallait être honnête ; tout portait à croire que je ne connaîtrais jamais cette lumière, cet état de grâce de l’attente d’un bébé, ni la protection quasi animale de ma mère. Quand trouverais-je le temps d’en faire un ? Et avec qui ? Et comment l’élever ? Est-ce que je saurais faire, d’ailleurs ? Non, bien évidemment. Ensuite, son discours sur Marc, mes prétendus sentiments pour lui et ma déprime après sa disparition m’embrouillait : de qui devais-je me protéger ? De Marc ? De moi-même ?