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—  Ça ne t’embête pas que j’investisse ta cuisine ?

— Pour une fois, elle servira à quelque chose.

J’ouvrais la porte de l’immeuble quand mon téléphone vibra.

— Ce n’est pas vrai, ronchonnai-je.

— Quoi ? demanda Marc.

Je lui mis sous le nez mon portable.

— OK ! J’ai compris…

Il tint la porte et me laissa passer dans la cour intérieure.

— Oui, Bertrand, dis-je en décrochant.

Suivie par Marc, j’entamai la montée de l’escalier, tout en calant mon téléphone dans le cou pour extirper mes clés du fond de mon sac à main.

— Changement de programme. Comme je m’en doutais tout à l’heure, tu laisses tomber tout ce que tu as de prévu demain, m’annonça-t-il sans préambule.

Je m’arrêtai net, Marc me bouscula et eut tout juste le temps de me rattraper par la taille avant que je me prenne un gadin. Mon cerveau se coupa en deux ; d’un côté, celui qui gérait difficilement la sensation de la main de Marc sur moi, de l’autre, celui qui analysait tout aussi difficilement l’annonce de Bertrand.

— Pourquoi ? Mais ce n’est pas possible !

Marc me lâcha, et nous finîmes par arriver devant la porte de mon appartement. Il s’appuya au mur en me lançant un regard interrogatif, je haussai les épaules et introduisis la clé dans la serrure.

— Tu me remplaces demain matin pour une négo.

— Impossible. J’ai une réunion avec l’équipe pour les prospections. Je ne peux pas leur faire ça.

— Décale, tu n’auras qu’à les voir en fin de journée.

— J’ai une conf’ call tout l’après-midi à l’autre bout de Paris.

—  Écoute, Yaël ! Tu n’y mets aucune bonne volonté. Ce n’est pas bien compliqué, tu les convoques à 20 heures à l’agence et tu ne leur laisses pas le choix. C’est ça aussi être patron ! Il faut savoir ce que tu veux.

— Très bien, m’écrasai-je en pénétrant chez moi.

Marc referma la porte, et resta derrière moi, tout proche.

— Autre chose, Bertrand ?

— Viens tôt demain matin pour un briefing.

— Je serai là à 8 heures, sans faute.

— 7 h 30.

Il raccrocha. Avec une lenteur infinie, je baissai mon bras en éloignant Bertrand de mon esprit.

— Désolée, murmurai-je.

Je sentis sa main sur la mienne, celle tenant mon téléphone.

— Tu permets ?

Sans attendre ma réponse, il s’empara de mon portable, et le posa sur la console.

— Ne t’inquiète pas, je ne vais pas chercher à le balancer par la fenêtre. J’ai simplement envie qu’on soit juste tous les deux et que ton patron ne dîne pas avec nous.

Ses lèvres effleurèrent mon cou ; instinctivement, je lui offris davantage ma nuque, les sens déjà en ébullition.

— De qui me parles-tu ? soufflai-je.

Un peu plus tard, nous étions face à face dans mon lit, le drap nous recouvrant jusqu’à la taille, Marc caressait distraitement mon bras.

— Il serait peut-être temps que tu me fasses visiter ton appartement. Ce n’est pas que je n’aime pas ta chambre, ni ton lit… mais je suis curieux de voir le reste.

— Ce n’est pas ma faute si tu ne sais pas te tenir, lui rétorquai-je en riant.

Il grimpa sur moi, me cloua au matelas et me calma d’un baiser.

— Je vais me débrouiller tout seul.

Il sauta dans son jean et partit explorer mon chez-moi. Je m’étirai avant de me mettre sur le ventre, les mains sous l’oreiller, l’entendant siffloter dans le séjour, à côté, tout près. Moi qui ne supportais aucune intrusion dans mon appartement, j’aimais le savoir là, en train d’observer mes affaires, de les toucher, d’investir les lieux. Jamais personne n’avait eu ce droit-là, et ça me semblait naturel que ce soit lui. Mais Yaël, tu es malade. Je ne devais pas trop ouvrir la porte, ni laisser enfler une quelconque dépendance affective avec lui, ça me rendrait fragile. En culotte et pull long, je rejoignis Marc dans la cuisine. Je me figeai sur le seuil et ne pus retenir un rire. Ma cuisine, rutilante, immaculée, impeccable, ordonnée, s’était transformée en champ de bataille. Il y en avait partout, à croire qu’il avait vidé les placards. À l’instant, il venait de balancer dans l’évier une cuillère pleine de crème fraîche qui fit des projections sur la crédence en inox. Quel bordélique ! Mais impossible de lui en vouloir alors qu’il fredonnait — toujours faux — du Gainsbourg en surveillant les plaques de cuisson : Écoute ma voix, écoute ma prière. Écoute mon cœur qui bat, laisse-toi faire. Je t’en prie, ne sois pas farouche, quand me vient l’eau à la bouche. Je te veux confiante, je te sens captive. Je te veux docile, je te sens craintive… Il faisait tout pour m’achever. Je m’avançai et me postai à côté de lui. Il avait l’air amusé par quelque chose, mais je ne savais pas quoi. En tout cas, ça sentait merveilleusement bon ; il nous concoctait des pâtes fraîches aux légumes râpés, qu’il faisait revenir à la poêle.

— Alors ? me demanda-t-il en me faisant goûter sa sauce.

Je fermai les yeux de plaisir, c’était à la hauteur du parfum qui s’en dégageait.

— Divin !

—  Ôte-moi d’un doute, t’es-tu déjà servie de tout ça ? chercha-t-il à savoir en désignant ma batterie de cuisine.

— Jamais ! C’est toi qui inaugures !

— Rappelle-moi depuis combien de temps tu vis là ?

— Quatre ans, pourquoi ?

— Tu es incroyable !

— Je dois le prendre comment ?

Il effleura mes lèvres des siennes.

— C’est vrai que c’est pas mauvais… tu me fais rire, ajouta-t-il.

Lorsque ce fut prêt, je m’assis en tailleur sur le canapé, mon assiette sur les jambes, Marc, quant à lui, s’installa sur le parquet et utilisa la table basse, après avoir maugréé que mon canapé n’en était pas un. Le repas se déroula au rythme de notre conversation et de quelques baisers échangés. Je finis sans même m’en rendre compte l’énorme portion de pâtes que Marc m’avait servie. Mon appartement ne s’était jamais retrouvé dans un tel foutoir : bizarrement, je m’en moquais. Étais-je soudainement tombée dans une dimension parallèle ?

— Tu sais que je n’ai jamais vu un appart aussi bien rangé et si propre, me dit Marc en penchant la tête sur mes jambes. Rien ne dépasse !

— Tu rigoles ? J’étais en train de me dire qu’il fallait que la femme de ménage fasse du rab demain !

— De mieux en mieux ! s’esclaffa-t-il. Quand es-tu devenue maniaque ? C’est clinique chez toi. Tout est blanc, aseptisé, tu n’as pas de meubles, rien de perso. À se demander si quelqu’un vit là. Non, sérieux, je te jure, ça pourrait être un appartement témoin ! Je comprends mieux pourquoi les autres l’appellent le labo.

— Tu as fini de te foutre de moi ?

Il rit de plus belle, se hissa sur le canapé et s’allongea sur moi.

— En même temps, pour le peu que j’y suis, me défendis-je. J’ai déjà songé à dormir au bureau certains soirs. Ça me faciliterait les choses !

Il se redressa en prenant appui sur ses mains, et me fixa d’un air inquisiteur.

—  Ça a déjà dérapé avec ton patron ?

Je fronçai les sourcils quelques secondes avant de percuter.

— Non ! lui répondis-je, une moue dégoûtée aux lèvres. Tu n’es pas bien ?

— Vu le temps que vous passez ensemble…

— Jamais ça ne m’a effleuré l’esprit. Pourtant, il est pas mal, pour son âge…

Je me tus et l’observai plus attentivement ; sans être complètement sérieux, sa mine n’était pas loin d’être contrariée. Incroyable.

— Tu es jaloux !?

— Pas du tout !