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— Tu es avec moi ? l’entendis-je me dire.

— Oui… oui…

Je me relevai, posai ma tasse sur la table basse, et me tournai vers lui ; il me fixait, d’un air heureux, détendu. J’allais profiter de ce qu’il me donnait en essayant de me protéger avec les moyens à ma disposition. Et puis je verrais bien ce qui se passerait. Ne m’avait-il pas dit que nous devions prendre les choses comme elles venaient, sans réfléchir ? Ça voulait bien dire qu’il n’attendait peut-être rien de particulier, rien de plus que ça… En dix ans, j’avais changé, j’étais plus forte. Je m’assis à califourchon sur lui, retirai mon pull et l’embrassai avec tout ce qui bouillonnait en moi.

— Yaël…

Nous nous étions endormis sur le canapé sous une couverture de flanelle. Je n’avais aucune idée de l’heure.

— Viens, on va aller se mettre au lit, on sera mieux que là…

J’ouvris difficilement mes paupières, et attrapai son poignet pour découvrir qu’il était 2 heures du matin.

— Je vais appeler un taxi.

— Pour te conduire jusqu’à ma chambre !

— Pour rentrer chez moi, je me lève tôt demain matin.

Marc s’éloigna de moi et posa le bras au-dessus de sa tête, en soupirant. Je m’extirpai du canapé et allai récupérer mon téléphone dans mon sac. Une fois le taxi commandé, je me rhabillai. Marc ne bougea pas, se contentant de me suivre du regard, d’un air particulièrement contrarié.

— Je peux te prêter une brosse à dents.

Je m’assis sur le bord du canapé, mes chaussures à la main.

— Bertrand m’a convoquée à 8 heures demain matin pour une réunion, je ne peux pas me permettre d’être en retard. C’est plus raisonnable que je m’en aille.

Pour de multiples raisons, eus-je envie d’ajouter… La colère traversa son visage. Il se leva brusquement, enfila son caleçon et se roula une cigarette. Il fuma en faisant les cent pas dans la pièce, sans dire un mot. Mon téléphone bipa, signe que la voiture m’attendait en bas de l’immeuble. Il m’accompagna jusqu’à la porte d’entrée et, contre toute attente, me prit dans ses bras.

— Je me dis simplement que ça pourrait être bien de passer quelques nuits entières ensemble, c’est tout…

Et moi donc.

— Une prochaine fois…

— File, le chauffeur ne va pas t’attendre.

Nous échangeâmes un baiser et je partis.

En arrivant à l’agence le lendemain à 7 h 58, je fus décontenancée de ne pas y trouver Bertrand. À 8 h 30, étant toujours la seule pauvre idiote dans l’agence, crevée de surcroît, je bouillais de l’intérieur en regrettant amèrement de ne pas être restée dans les bras de Marc. Étais-je bête ! Je voulais être raisonnable ! Pour me défouler, j’envoyai quelques mails en tapant comme une furieuse sur mon clavier. À 9 heures, je n’étais pas loin de partir pour débarquer avec les croissants à la brocante, il me manquait du cran pour braver Bertrand. À 10 heures, monsieur débarqua la bouche en cœur.

— Bonjour, Yaël, me dit-il en arrivant devant mon bureau.

— Bonjour. On avait rendez-vous à 8 heures ou j’ai mal compris ?

— J’ai eu un petit déjeuner qui s’est greffé à la dernière minute.

C’était la meilleure ! Il aurait pu me prévenir ! Et les excuses, c’est pour les chiens ?

— Je n’ai pas oublié que nous devions faire un point ensemble. On se cale ça ce soir, je serai ici vers 19 h 30, 20 heures. Ça ne te pose pas de problème, j’espère ?

Bah, non, Bertrand, ça ne me pose pas de problème ! Yaël est toujours là, toujours disponible. Tu m’emmerdes à la fin ! Je n’en peux plus d’être ton larbin, à qui tu refiles le sale boulot !

— Aucun.

Son téléphone sonna à cet instant, il tourna les talons, sans plus se préoccuper de moi, et s’enferma dans son bureau. Je partis dans la kitchen  : j’avais besoin d’un café, pas raisonnable vu mon état de nerfs, mais je devais faire quelque chose de mes mains. J’étais folle de rage. Mon patron me sortait par les yeux, j’avais eu envie de le baffer, je devais en permanence être à sa disposition, ne pas avoir de vie privée. Et lui, pendant ce temps-là, que faisait-il ? Voilà des jours qu’il faisait le beau en paradant et qu’il partait en rendez-vous extérieurs sans que personne à l’agence ait la moindre idée de ce qu’il traficotait. Ce qui était désormais certain, c’était que je savais faire tourner la boutique sans lui. J’allais passer la journée à courir d’un dossier à un autre tout en sachant très bien comment les choses allaient se dérouler ce soir : Bertrand n’arriverait pas avant 20 heures, notre débrief’ s’attarderait, il finirait par commander ses sushis, qui même à moi maintenant me donnaient la gerbe, en me demandant de bosser, de vérifier un dossier, ou encore un client débarquerait de je ne savais où, et je devrais jouer à la baby-sitter !

— Machine de merde ! m’énervai-je lorsque la capsule me résista.

— On se calme ! s’exclama Benjamin. Ce truc ne t’a rien fait de mal.

Il prit ma place et, tout en douceur, me lança un café.

— Qu’est-ce qui t’arrive ? Un problème avec un client ?

— C’est Bertrand.

— Toi !? Tu as un problème avec le boss ?

— Ne te moque pas de moi ! Il m’a posé un lapin ce matin et me fait rester ce soir, je te jure, il croit quoi ? J’ai une vie à côté !

Il explosa de rire, plié en deux. Tout le monde devenait dingue à l’agence !

— Excuse-moi, Yaël ! Mais c’est l’hôpital qui se fout de la charité ! Non, je te jure, c’est hilarant !

— Si c’est pour te payer ma tête, c’est pas la peine.

— Surtout pas ! Reste comme ça ! Ne change rien ! Je vais aller mettre un cierge à Notre-Dame pour remercier Dieu et tous les saints pour ce miracle !

— Que veux-tu dire par là ?

—  À l’agence nous avons tous subi ce genre de réunion improvisée et, bien souvent, c’était toi la responsable !

L’espace de quelques secondes, je me revis les mois précédant les vacances harceler mes collègues, leur imposer de rester plus tard, de venir plus tôt, leur faire suivre des mails à n’importe quelle heure, le week-end, durant leurs congés, en pleine nuit… Pas plus tard qu’il y avait quelques jours pour satisfaire Bertrand.

—  Ça fait bizarre quand on devient la victime, me fit-il remarquer en me sortant de mes pensées. Hein ?

— Je suis désolée, je ne me rendais pas compte…

— Donne-moi l’adresse de ton mec, on va faire une cagnotte avec le staff pour lui envoyer une caisse de vin, me dit-il avec le sourire.

—  Ça se voit tant que ça ? m’exclamai-je, sidérée.

— Plus encore… Allez, au boulot ! finit-il avec un clin d’œil.

Le partenariat entre Gabriel et Sean avançait à la perfection et, à trois semaines du Salon nautique, l’organisation était presque au point. Ça bossait dur, mais ça roulait. À ma grande satisfaction, j’avais une niaque d’enfer, avec parfois l’impression d’être plus réactive, de savoir aller à l’essentiel, sans me perdre dans les détails. Comme si, désormais, j’étais capable de transformer la pression en énergie positive. J’avais régulièrement Alice au téléphone, pour prendre de ses nouvelles. Elle semblait décidée à ne pas m’embêter avec Marc, elle me laissait venir à elle si j’en avais envie, c’était son fonctionnement, je la sentais pourtant ronger son frein, je ne cédais pas, me posant déjà bien assez de questions existentielles pour que ma sœur en rajoute une couche. Ça ne m’empêcha pas d’accepter une nouvelle invitation pour un poulet petits pois du dimanche midi, surtout qu’Adrien et Jeanne étaient de la partie, Marc ayant décliné pour cause de balade à Saint-Ouen avec Abuelo. Avec lui, nous passions des bouts de soirée ensemble plusieurs fois par semaine ; nous dînions chez lui, chez moi, au resto, même une fois avec Abuelo, avec qui de nouveau je m’amusai beaucoup ; il y eut aussi un pique-nique à la brocante, un midi. Notre relation évoluait ; nous ne nous sautions plus dessus comme les premières fois, prenant plus notre temps, chaque moment, chaque étreinte partagée avec lui me faisait toujours plus découvrir l’homme qu’il était devenu, et la femme que j’étais moi aussi devenue. Cependant, parfois, je trouvais qu’il se fermait, et était à deux doigts de se braquer quand je refusais de rester la nuit ou quand je sortais tard du travail. Il m’arrivait d’avoir l’impression d’être pressée de tous les côtés, coincée, avec la désagréable prémonition que cette situation me sauterait un jour à la figure. Je ne contrôlais plus rien, n’étant plus capable de refréner mes désirs.