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— Non ! Enfin j’espère.

— Tu fais quoi dimanche ?

Où voulait-il en venir ?

— Rien de spécial, je pense que j’irai nager… pourquoi ?

— Viens avec moi aux Puces.

— Et Abuelo ?

— Il peut s’en passer pour une fois et, si je lui dis que c’est pour t’y emmener, il va me dérouler le tapis rouge. Il faut que ça te fasse envie !

— Bien sûr ! lui répondis-je avec un sourire démesuré aux lèvres. Ça me fait trop plaisir. Je te promets, ça m’éclate d’y aller avec toi. Merci !

Tu fais quoi, là, Yaël ? J’étais au bord d’un précipice et un de mes pieds était déjà dans le vide. Il s’approcha de moi, m’attrapa par le cou, posa son front sur le mien en fermant les yeux.

— Tu m’as manqué, murmura-t-il.

Il ne me laissa pas la possibilité de lui répondre ou de réfléchir à sa déclaration ; il m’embrassa intensément, je tremblai des pieds à la tête, puis je nouai mes bras autour de son cou, cherchant à me rapprocher toujours plus de lui. Il me souleva et me porta jusqu’à ma chambre, sur mon lit. Il s’étendit sur moi, je rivai mon regard au sien. J’eus l’impression de n’avoir jamais fait l’amour de cette façon, lentement, doucement, attendant et donnant toujours plus de caresses et de baisers, nos peaux s’appelaient et restaient collées l’une à l’autre.

— Tu t’endors, chuchota-t-il plus tard alors que j’étais blottie contre lui. Je vais y aller.

— Reste.

Ça y était, j’étais dans le vide. Je sortis du lit, et fis le tour de mon appartement nue en éteignant chacune des lumières, sans oublier de couper mon téléphone. Près du lit, je remarquai sa montre sur ma table de nuit ; ce simple geste me bouleversa, il était chez lui chez moi. Je remerciai la pénombre de dissimuler mes yeux embués, puis me glissai sous la couette et retrouvai ma place, l’endroit que j’aimais, dans le creux de son épaule, il referma son bras sur moi, sa main se balada sur ma peau, nos jambes s’emmêlèrent.

Un baiser sur mon front, un deuxième, un troisième. Paupières closes, je souris. Je me réveillais dans la même position qu’au moment de m’endormir, blottie tout contre lui.

— Bonjour, murmura Marc.

— Bonjour.

Je frottai mon nez contre sa peau, et respirai profondément. Ses mains caressaient mon dos, mes jambes, tout mon corps. Ce qui arrivait était tout simplement inimaginable, débuter ma journée, un samedi, dans ses bras. Je quittai son cou en levant les yeux vers lui, les siens étaient encore pleins de sommeil, mais ils riaient.

— Je resterais bien là toute la journée, me dit-il. Mais il faut quand même que j’ouvre un peu aujourd’hui.

— Quelle heure est-il ? Tu es en retard ?

—  Ça, ce n’est pas grave, je n’ai pas d’horaires. Et je ne vais pas me priver d’un petit déjeuner au lit, avec toi.

Il embrassa le bout de mon nez.

— Tu ne bouges pas ? Je vais chercher des croissants.

— Tu m’autorises à faire un café ?

Il fronça les sourcils, fit une moue boudeuse, puis son visage s’éclaira.

— Pour une fois, je te laisse faire.

Il m’embrassa doucement, puis s’extirpa du lit. Sans bouger, la tête toujours sur l’oreiller, je le regardai pendant qu’il s’habillait. Avant de sortir de la chambre, il me lança un coup d’œil.

— Je reviens.

J’écoutai le bruit de ses pas sur le parquet, ma respiration se bloqua, de panique, de bonheur, d’incertitude, d’envie de plus. Je me jetai sur la place qu’il avait laissée vide, et inspirai son parfum profondément ; mon esprit s’apaisa. Je me levai et me rendis dans la salle de bains. Je pris de longues secondes pour m’observer ; mes cheveux en vrac, les prunelles brillantes, la bouche rougie. Ce reflet dans le miroir me rendit heureuse, j’eus l’impression de me ressembler, ça faisait bien longtemps que ça ne m’était pas arrivé.

Un quart d’heure plus tard, alors que je posais deux tasses de café sur ma table de nuit, la porte d’entrée claqua. En moins de deux minutes, l’odeur de croissants chauds envahit ma chambre, ça n’était jamais arrivé. Je me glissai sous la couette, Marc lança le sachet de la boulangerie sur le lit, et s’allongea sur moi, en glissant les mains sous le tee-shirt que j’avais enfilé. Je poussai un cri.

— Tu es gelé !

Il me chatouilla, je ris de plus belle. Il finit par s’arrêter et s’installa à côté de moi, en me proposant un croissant. Je mordis dedans, puis lui tendis un café.

— Tu dors chez moi ce soir ? me demanda-t-il une fois le petit déjeuner fini alors que j’étais calée dans ses bras.

— Oui… Je peux venir à quelle heure ?

Il me retourna sur le dos, grimpa sur moi, et m’embrassa.

— Dès que tu veux, dès que tu es prête… je t’attends, me dit-il sa bouche contre la mienne.

Le dimanche matin, je redécouvris les Puces, j’y allais enfant avec mes parents, mais j’avais tout oublié ; les allées, les dédales, les passages secrets, couverts, les stands collés les uns aux autres à l’allure de cavernes d’Ali Baba. Le terrain de jeu des chasseurs de trésors. Les antiquaires assis dans un fauteuil vintage attendaient le chaland, discutaient à voix basse entre eux, leur conversation s’émaillant parfois d’un éclat de rire. À l’image de Marc, ils étaient tous calmes, patients, ni énervés ni excités pour deux sous, leur métier voulant ça. Cet état d’esprit était contagieux, j’avais envie de prendre mon temps, de regarder autour de moi. Un détail m’amusa : dès qu’ils étaient seuls, les brocanteurs étaient vissés à leur portable. J’en profitai pour charrier Marc, je n’étais donc pas la seule à souffrir de cette excroissance de la main. Nous venions de passer plus de deux heures à arpenter les allées du marché Paul-Bert et, aux dires de Marc, nous en avions à peine parcouru la moitié. Rien d’étonnant à ça, puisqu’il s’arrêtait à chaque stand… Il connaissait tout le monde, avait un commentaire pour chaque meuble, chaque nouvelle trouvaille, acceptant tous les cafés dans un premier temps, puis les coups de rouge et les tranches de saucisson quand midi approcha. Il me présentait à chacun, comme « Yaël… c’est Yaël », présentation qui suscita plusieurs bourrades sur l’épaule et des clins d’œil complices. Contrairement à notre virée à L’Isle-sur-la-Sorgue, Marc était chez lui à Saint-Ouen, son autre vie avec des amis que les autres et moi ne connaissions pas, qui voyaient en lui le dénicheur hors pair, le successeur de son grand-père : et, de fait, leur réputation dépassait les frontières de leur petite brocante parisienne. Marc était doué et il ne le montrait pas, n’étalait jamais ses « bons coups », les lots qu’il avait emportés face à tous les autres, ni l’article de presse qu’il avait eu dernièrement et dont je découvrais à l’instant l’existence.

— C’est quoi cette histoire ? lui demandai-je en l’entraînant à l’écart.

— Rien de particulier. Un journaliste de Côté Paris a débarqué à la brocante, on a discuté et, quelques mois plus tard, il y avait cet article.

— Côté Paris  ! m’écriai-je, folle de joie pour lui. Ça va t’attirer du monde et de la notoriété, c’est génial pour tes affaires.

— Oh tu sais… je n’en demande pas autant, ça marche et je ne veux pas plus…

— Ne fais pas le modeste, tu fais partie des meilleurs, à entendre tes amis, agrandis-toi !

Il eut une moue indulgente.

— Pourquoi vouloir plus ?

— Mais…

Il plongea ses yeux dans les miens en caressant délicatement ma joue.

— J’ai tout ce qu’il me faut.

Mon cœur eut un raté. Ça veut dire quoi, ça ? Il s’éloigna de moi et avança de quelques pas.