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— J’ai cru ne jamais tenir ce matin, je n’en pouvais plus, je voulais vous voir toutes les deux.

— Prends-la.

— Tu es sûre ? Je ne veux pas la casser.

— Es-tu nouille ! À part Cédric et maman, tu es la seule à en avoir le droit. Alors, vas-y. Profites-en.

J’attrapai cette toute petite chose fragile, à la respiration rapide, dans mes bras et la collai contre moi, en penchant la tête vers elle ; je caressai la peau si délicate de son front avec le bout de mon nez.

— Welcome, baby Elie…

Alice se redressa et passa son bras autour de mes épaules, puis elle colla son visage contre le mien, et glissa un doigt le long de la minuscule joue de sa fille.

—  Ça va ? me chuchota-t-elle.

— Oui, soufflai-je.

— Pourquoi tu pleures, alors ?

— Je ne sais pas.

— Si tu sais, mais tu ne veux pas me le dire…

— Je suis heureuse, c’est tout… Je suis là, avec toi, avec vous… J’ai l’impression d’avoir raté tellement de choses… et…

Elle me serra plus fort contre elle.

— C’est fini tout ça, ne t’inquiète pas… et tu en auras aussi, un jour…

— Non… c’est foutu pour moi… le compteur tourne… Tant pis, je serai la meilleure tante du monde…

— Ne dis pas de bêtises. Tu as la vie devant toi…

Je déposai un baiser sur le front d’Élie.

— Je te promets que je serai là pour toi et pour ton frère et ta sœur aussi, toute la vie…

Alice m’embrassa sur les cheveux et se mit à pleurer à son tour.

— Tu es là… tu es vraiment là, chuchota-t-elle.

— On a l’air bêtes ! finis-je par lui dire. Je vais la recoucher.

Je reposai le bébé dans son lit, Alice se rallongea et nous passâmes l’heure suivante collées l’une à l’autre, parlant peu ou alors nous murmurant des secrets comme lorsque nous étions petites filles.

Nous entendîmes un grattement à la porte.

— Tu as de la visite, lui dis-je en me rasseyant correctement sur le lit.

— Entrez, annonça Alice.

La porte s’ouvrit et je vis sa montre avant de le voir, lui. Des frissons me parcoururent des pieds à la tête, mes mains tremblèrent, je sentis ma gorge se nouer et ma respiration se coupa. Dans la seconde qui suivit, il apparut et se figea. Nos regards s’accrochèrent. Près de quatre mois que je ne l’avais pas vu… le tourbillon d’émotions qu’il me provoquait ne s’était pas atténué, j’avais envie de courir me blottir dans ses bras, de sentir sur ma joue le velours de sa veste, d’entendre le tic-tac de sa montre dans mon oreille, de frémir grâce à ses caresses autour de mon cou. Tout remonta à la surface, pire qu’une déferlante. Comment avais-je pu croire il y a quelques semaines que je faisais une croix sur lui ? Je le voulais toujours autant, et plus que tout. Pourquoi avait-il fallu qu’on se croise dans une maternité ? On devait m’en vouloir quelque part pour m’imposer ça !

— Marc ! l’appela joyeusement Alice. C’est gentil d’être venu.

Il détourna le regard.

— J’en ai déjà raté deux, pas trois…

Je me levai, fis le tour du lit pour aller de l’autre côté près de la fenêtre, le plus loin possible de lui. Alice pendant ce temps-là avait attrapé sa fille dans les bras. Marc, sans plus se préoccuper de moi, s’approcha d’elles. Il se pencha sur ma sœur et embrassa sa joue, puis il lança un regard tendre au bébé. Je ne pouvais pas voir ça, je regardai par la fenêtre.

— C’est tout petit, dis donc.

Ils échangèrent un rire.

— Je suis honorée de te montrer ce qu’est un bébé, lui répondit ma sœur.

Le quart d’heure suivant, je me demandai où Alice piochait son énergie. Elle assura la conversation avec Marc, trouvant même le moyen de le relancer quand il devenait brusquement silencieux. Nous la mettions dans une situation intenable, et elle gérait ça de main de maître. J’aurais bien été incapable de dire de quoi ils parlaient. Je n’ouvrais pas la bouche. Je fixais le dos de Marc, c’était tout ce qu’il me montrait de lui — les quelques fois où je crus qu’il allait se tourner dans ma direction, il finit toujours par renoncer. Je sentais sur moi le regard bienveillant et rassurant d’Alice. Mais ça ne changeait rien, j’étais toujours aussi mal. Je me noyais. Il était là, à moins de deux mètres de moi, et je ne pouvais pas m’en approcher, il y avait comme une frontière infranchissable entre nous. J’avais envie de lui crier : « J’existe ! Je suis là ! Regarde-moi ! » Certes, le voir remplissait un tout petit peu le vide qu’il avait laissé en sortant à nouveau de ma vie, mais cela n’atténuait en rien la douleur. Je crois même que c’était pire ; mes regrets et mes désirs se percutaient.

— Bon, je vais vous laisser entre filles, annonça-t-il en se levant. Prenez soin de vous.

Non ! Ne pars pas ! Et puis, si, va-t’en, ça fait trop mal !

— Fais-nous confiance, lui répondit Alice.

Il fit un dernier sourire à ma sœur et tourna les talons, sans un regard pour moi. Au même moment, la porte s’ouvrit sur Cédric et les enfants. La pièce me parut étrangement grande. Je vis Alice souffler de soulagement, son mari allait prendre toute la tension sur ses épaules. Marc et lui échangèrent une accolade, les enfants se précipitèrent en direction de leur petite sœur.

— Tu viens ce soir dîner à la maison ? lui proposa mon beau-frère. Adrien et Jeanne passent ici en fin de journée et ils viennent eux aussi, on fait ça à chaque fois.

— Je viendrai.

— Encore heureux, lui répondit Cédric.

— Et qui est la pauvre nouille qui reste toute seule à la maternité ? C’est bibi ! intervint Alice.

— Je peux rester avec toi, lui répondis-je d’une toute petite voix.

— Ah non… je croyais que tu t’occupais de mes enfants ! me répondit-elle en me tirant la langue.

Je lui rendis la pareille en souriant. Puis nos regards se croisèrent avec Marc ; il secoua la tête, fit un dernier signe de la main à ma sœur et prit la direction de la sortie, mon beau-frère sur les talons.

— Il fallait bien que ça finisse par arriver, dit Alice en voyant ma tête. Ce n’est peut-être pas plus mal que ça ait eu lieu ici…

— Le plus tard possible m’aurait arrangée. C’est une vraie torture de le voir. Comment vais-je faire ? pignai-je en enfouissant mon visage dans mes mains.

Ma sœur me répondit en gloussant.

Quelques heures plus tard, je me posais toujours la même question, sans y avoir trouvé de réponse, alors que j’étais dans la cuisine de ma sœur avec Jeanne. Cédric et Adrien accueillaient Marc, qui venait d’arriver à son tour. Je n’avais plus l’excuse de m’occuper des enfants puisqu’ils étaient déjà profondément endormis.

— Tu viens ? me demanda Jeanne. Ça va aller, t’inquiète.

Effectivement, ça allait, dans la mesure où nous avions trouvé le moyen de nous asseoir à table le plus loin possible l’un de l’autre. Chaque seconde représentait une lutte contre moi-même pour ne pas lui jeter un coup d’œil, surtout que lorsque je craquais, je croisais immanquablement son regard. Et puis Adrien me demanda des nouvelles des travaux de la grange, j’allais réussir à faire abstraction de lui. J’étais prête à lui répondre quand un portable sonna. Ce n’était pas le mien, puisqu’il était enfoui au fond de mon sac, dans l’entrée. C’était pire, c’était celui de Marc. Marc, l’homme qui oublie son téléphone, qui perd son téléphone, qui s’en moque royalement. Mais le pire restait à venir… il se leva, s’excusa et décrocha, un grand sourire aux lèvres avant de se mettre à l’écart. Jeanne piqua du nez dans son assiette, Cédric resservit un verre de vin. Et Adrien me relança sur les travaux de la grange. Je lui lançai un regard chargé de gratitude, il fallait que je pense à autre chose qu’à la scène qui venait de se dérouler. Mon enthousiasme immodéré n’était pas que feint. Heureusement, sinon, j’aurais vraiment eu l’air d’une pauvre cloche !