Un délit comme ça, si je le payais le tarif, ça irait chercher les assiettes[2], vite fait !
Et pour peu que le tribunal soit mal luné, j’irais écraser des cancrelats pendant plusieurs piges à la Santé, parole !
Comment je vais m’en débarrasser, de l’Édith ? Parce qu’il n’est pas question de la garder au frigo… Comment elle va prendre la chose ? D’abord, elle cavalera au Vésinet. Là, elle retrouvera son jules, elle l’affranchira sur mon numéro. L’autre, qui doit se demander ce qui lui arrive, gaffera que c’est un coup des Secrets. Et comme ce coup est foireux, il rigolera tellement qu’on sera obligé de lui jouer la marche funèbre pour le calmer…
Évidemment, je peux toujours essayer de lui filer un coup de tube, comme promis sur le billet, avant !
Ça ne rendra sûrement rien, mais de toute manière il ne me reste rien d’autre à espérer…
En soupirant, je me dirige vers le bigophone et je demande le numéro de Stumer, que j’ai pris soin de noter.
Presque illico, on répond.
Mais je ne reconnais pas, dans cette voix d’homme, celle un peu gutturale du Suisse.
Celle-ci est généreuse, ronde… Je crois m’être gouré.
Pourtant, à tout hasard, je demande :
— Je suis bien chez M. Stumer ?
— Oui, dit la voix.
— C’est M. Stumer ?
— Non…
— Qui est à l’appareil ?
— C’est à quel sujet ?
— Je suis un de ses amis et j’aimerais lui parler personnellement.
— M. Stumer est sorti, mais je peux lui faire la commission…
— C’est personnel ! dis-je d’un ton obstiné.
Qui peut bien être à la maison du Vésinet ? Au fond, ce serait intéressant de le savoir.
J’ajoute brusquement :
— Je rappellerai plus tard.
Et je raccroche. En courant, je fonce hors de la propriété, je saute dans ma tire qui m’attend toujours devant la lourde comme un coursier fidèle et, à l’allure d’une soucoupe volante, je retourne au Vésinet. Je commence à connaître le chemin.
Il y a une traction noire stoppée devant le pavillon. Bien résolu à cesser les finasseries, je sonne.
Un mec de courte taille, petit, râblé, avec un feutre cabossé et des yeux myopes derrière des lunettes d’écolier, s’annonce.
On dirait un gros têtard.
Il me regarde d’un air sûr de soi. Ses yeux sont incisifs comme des tics.
— Salut ! fais-je. C’est moi qui ai téléphoné il y a dix minutes.
— Ah ! très bien…
— Stumer n’est pas encore rentré ?
— Non… Et il ne rentrera pas de sitôt…
— Pourquoi, il est allé loin ?
— Très loin.
— Où ça ?
L’autre donne une tape à son bada. Puis, il a un petit, tout petit sourire.
— Au ciel, dit-il… ou en enfer !
Du coup, je manque m’étouffer. J’ouvre si grand le bec que, sans se pencher et sans abaisse-langue, on peut apercevoir le fond de mon slip.
— Voulez-vous dire… qu’il… qu’il est mort ?
— Exactement.
Le coup est vache, mais réglo. Le chef va faire une drôle de frite lorsque je vais lui avouer que j’ai scrafé Stumer. J’ai dû trop forcer sur le narcotique. Il a briffé l’orange comportant la plus forte dose. Il était peut-être cardiaque et il ne s’est pas réveillé.
Après une histoire pareille, je vais être obligé de cloquer ma démission, c’est fatal !
« Carte blanche », il avait dit, le boss !
Comment que je l’ai bordée de noir, la carte blanche ! C’est devenu un méchant faire-part de deuil…
— Allons, fait le têtard, vous allez me dire qui vous êtes, maintenant ?
En guise de réponse, je lui tends ma carte.
— San-Antonio ! s’exclame-t-il… Mince ! si je me doutais…
Il approche sa frime de la mienne et ses lunettes me touchent presque le bout du pif.
— Bien sûr, fait-il, si je n’étais pas myope comme une taupe, je vous aurais reconnu…
Il me tend la patte :
— Bapaume, se présente-t-il, commissaire de police de Saint-Germain.
Machinalement, je lui prends la manette et on joue au levier de pompe pendant quelques secondes.
Il a l’air ravi, le collègue.
Pas moi !
— Alors, il est mort ? fais-je.
— Oui. Vous le connaissiez ?
— Je m’intéressais à lui.
Je le regarde.
— Qui vous a prévenu ?
— Un coup de téléphone…
— De qui ?
— D’un anonyme. Ça n’est, du reste, pas moi qui ai reçu la communication, mais mon secrétaire. Le correspondant a simplement dit qu’il avait entendu une détonation au 125 de l’avenue des Pages, Le Vésinet… Une détonation et un grand cri.
« J’ai rappliqué dare-dare…
— Oui…
De plus en plus éberlué, je murmure :
— Une détonation ?
Voilà qui est étrange.
— Oui, fait-il, et je l’ai trouvé dans sa salle à manger, sur le parquet, avec une balle dans le crâne…
Cette fois, je me demande si on est en France ou si je m’appelle René Coty.
— Une balle dans la tête !
Mais nom d’une crotte arabe, lorsque je l’ai quitté, il y a une plombe, il était envapé…
— Il s’est suicidé ?
— Quand on se suicide, on ne se tire pas une balle dans la nuque de bas en haut, ou alors il faut être homme-serpent. Et puis, l’arme du crime n’était pas aux côtés du cadavre, bien que la mort ait été instantanée.
CHAPITRE VII
De beaux draps
— Le gars qui l’a rectifié n’y est pas allé par quatre chemins, hein ? fait presque triomphalement Bapaume.
On dirait que ça l’excite, ce meurtre. Il est vrai que dans sa paroisse, les meurtres sont plus rares qu’à Pantruche. Saint-Germain et ses environs, c’est le coin tranquille, le coin à bourgeois, pas de drames ! De la vie bien douillette, des coups de sabre furtifs entre gens de la bonne société. Au pire, des exploits d’ivrogne dans les bistrots quand les larbins sont de sortie.
— Non, conviens-je, il n’y est pas allé par quatre chemins. Il lui a mis une praline dans le cigare à bout portant. La hure de Stumer est fracassée. Le dessus se soulève comme un couvercle, genre bonbonnière.
Je suis agenouillé aux côtés du cadavre.
— Il était allongé sur le tapis lorsque vous êtes arrivé ?
— Il était tel que vous le voyez…
— La porte n’était pas fermée à clé ?
— Tout était grand ouvert.
— Tenait-il un billet à la main ?
— Un billet ?
— Un mot griffonné sur une page de carnet ?
— Non…
Je regarde encore le cadavre. Le mec qui l’a transformé en viande froide avait une drôle de maîtrise. En tout cas, on peut dire qu’il était pressé. Il lui a collé une bastos alors que l’espion était encore dans le fauteuil. Pas de doute là-dessus. Il y a une large éclaboussure sanglante sur le dossier du siège. Donc, Stumer était assis. Pour le plomber dans la nuque, il a fallu le pencher en avant, ce qui revient à dire qu’il était encore inerte. Son assassin voulait sa peau. Il ne l’a pas tué au cours d’une algarade, il l’a tué pour le tuer, pour qu’il disparaisse. Vous pigez le distinguo, malgré sa subtilité et votre connerie proverbiale ?
Bon…
Alors, pourquoi l’a-t-il vidé du fauteuil ?
Pour le fouiller. On ne peut pas fouiller les ballades d’un zig assis. Il l’a allongé à terre. Je constate qu’une des fouilles à Stumer est retournée, je ne me goure pas.