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Demi-tour !

Je vire au milieu du boulevard Haussmann, désert ou presque à ces heures. Un taxi nuiteux qui radinait en trombe manque de me télescoper.

Son conducteur ralentit pour me classer à grands cris dans une branche de la sexualité qui nécessite de la part de ses adeptes l’achat d’un tube de vaseline…

Je n’ai pas de temps à perdre…

Je me contente seulement de le traiter de dégénéré et de lui faire des révélations — purement gratuites, du reste — sur ses ascendants.

Puis, je fonce vers la Trinité. Je remonté la rue de Clichy et je tourne rue de Liège, malgré qu’elle soit en sens unique et que j’arrive précisément par le côté interdit.

Le 89 !

J’appuie sur le bouton commandant la porte.

Il y a encore du feu chez la concierge…

Je frappe au carreau. La vieille ne répond pas. Je tourne le loquet de sa porte et j’entre dans sa loge où flotte cette odeur caractéristique lourde, mais pas désagréable, dans le fond, des repaires de portières.

Une pièce unique !

Elle est divisée en deux parties. L’avant constitue la cuisine ; l’arrière, la chambre. Il y a un lit ancien couronné d’un opulent édredon rouge qui fait un peu auberge de Peyrebeille. La vioque n’est pas là. Peut-être qu’elle s’est propulsée chez un locataire de l’immeuble pour l’affranchir sur ma visite tardive ?

J’entends tout à coup le bruit de la porte de l’entrée qui se referme avec un bruit sourd.

J’y cours… Je l’ouvre… Dans la rue, une bagnole démarre : une 203.

Quelqu’un qui sortait. Quoi d’étonnant ?

Je reviens à la loge, fermement décidé à attendre la concierge jusqu’au jugement dernier si c’est nécessaire.

Je m’installe sur une chaise et je commence à fumer pour tromper le temps. Mais on trompe moins facilement le temps que sa femme et je me fais sérieusement tartir. Alors, je me lève et je vais à une commode proche du lit. Des tiroirs ! Il n’y a rien qui excite davantage un policier, ça et la frime d’un truand.

Je les ouvre les uns après les autres. J’y découvre d’humbles choses, du linge pauvre, des papiers sans valeur…

Je continue ma petite perquisition.

Dans une boîte à biscuits, il y a une liasse de fric. Une gentille : cent lacsés, tout rond… Les billets sont neufs et font partie de la même série.

Voulez-vous parier que cette somme a été colloquée à la vieille par Stumer ?

Je remets la boîte en place. Je repousse le tiroir…

Sapristi, elle s’éternise, ma concierge ! Où peut-elle bien être ?

Je m’assieds sur le pageot.

Et j’éprouve aussitôt l’une des plus sales impressions de ma vie. Car, sous l’édredon, je sens quelque chose de dur. Quelque chose ayant toutes les apparences d’un corps humain…

Je saute du pieux, j’arrache l’édredon…

À votre santé, les gars !

La mère Ducordon est là… Les yeux ouverts, la bouche ouverte, et la gorge aussi, tout comme la môme Édith !

Quand je vous disais qu’elle « s’éternisait » !

CHAPITRE XII

Sérénade nocturne

Je ne sais pas s’il vous est arrivé de passer en bordure d’un toit, un jour de pluie, et de recevoir brusquement sur la hure une trombe d’eau accumulée et soudainement libérée.

Moi, ça m’est arrivé.

C’est le genre de vilaine sensation que j’éprouve, en ce moment, en contemplant la vieille assassinée.

Comme douche, c’est copieux et glacé à souhait, merci !

Ça fait dix minutes que je l’ai quittée, cette pauvre concierge. Le temps de laisser le criminel frapper… Lorsque je suis entré ici, il s’apprêtait à sortir. Il les a mis alors que je me trouvais dans la loge. C’est lui qui s’est tiré à bord d’une 203.

Il résulte de tout ça que j’ai un faucheur attaché à ma personne. Un gars qui me suit sans que je m’en doute. Et cependant, j’ai le grain pour renifler les anges gardiens… Ce mec-là passe à la casserole tous les témoins de l’affaire, au fur et à mesure que j’entre en contact avec eux. Il est spécialisé dans le deuil express, comme les teinturiers. Ce qu’il fait vite, le zouave !

Au Vésinet, il dérouille Stumer dès que j’ai le dos tourné. Puis, quelques minutes plus tard, il est en train de trancher la carotide d’Édith Almayer…

En fin de journée, il agit de même avec une concierge qui a le malheur d’être interrogée par moi !

Une concierge qui devait détenir un petit secret intéressant. Que n’ai-je poussé un peu plus fortement mon avantage, tout à l’heure ! Y a pas, le chef a raison, je me ramollis…

Je remets l’édredon sur le cadavre…

Puis, je fiche mon camp, l’oreille basse.

En voilà assez pour aujourd’hui. Je ne sais pas si vous êtes superstitieux, mais, quant à moi, je crois en des jours de pommade. Comme celui-ci en est un, je n’ai plus qu’à aller me coller dans les toiles en attendant que la Terre ait fini son petit tour dans le noir.

La vérité viendra peut-être avec le jour nouveau…

Quand on est poète, vous voyez, c’est pour la vie !

* * *

Un homme fortiche, ayant de l’esprit de décision, pas plus de scrupules qu’une clé à mollette et un don de tueur extraordinaire… Un type qui serait capable de filer un vieux renard comme votre brave San-Antonio sans que le San-Antonio précité parvienne à le découvrir… Un Mozart du crime !

Je pense à cet homme en me demandant s’il existe, ou bien s’il n’est que le résultat d’un concours de circonstances ?

Je m’explique : le tueur est ou un superman du meurtre, ou bien ai-je affaire à une bande organisée qui procède à un grand nettoyage ?…

Le résultat est le même, mais ceci modifierait ma façon de conduire l’enquête…

Je débouche place de l’Étoile. Il me vient une idée. Je décris une large courbe et je bigle dans mon rétro afin de voir si je suis suivi. Si une bagnole me file le train, elle est forcée de me serrer un peu, car elle ignore laquelle des nombreuses avenues je vais choisir…

Mais rien ne se manifeste… Je suis marron. Alors, je termine mon tour complet de l’Arc et j’emprunte l’avenue du Bois…

J’appuie à fond sur le champignon. C’est idéal, l’avenue du Bois, pour une pointe de vitesse ! Vous pouvez, à cette heure surtout, mettre toute la sauce jusqu’à la porte Dauphine. J’ai alors l’assurance de ne pas être suivi.

Je ralentis pour m’engager sous les frondaisons. Depuis le temps que je déambule dans le bois de Boulogne, je connais toutes les routes qui le sillonnent.

Je chope Longchamp, je passe devant son moulin à vent, je tourne à gauche pour rejoindre la Seine. À partir du moment où vous la tenez, vous pouvez refaire de la vitesse.

Mais en ce moment, la vitesse ne me tente pas. Au contraire, je vais mollo, histoire de bigler les voitures arrêtées.

C’en est plein. À l’intérieur, y a des vicelards qui se font reluire la tige par des putes. Je m’amuse à foutre les phares et, l’espace d’une seconde, j’ai la vision de deux visages effarés, aux yeux clignotants.

Je m’apprête à doubler la dernière voiture avant le pont. Comme je parviens à sa hauteur, je renouvelle mon coup du phare. Ça me permet de découvrir une silhouette, agenouillée sur la banquette arrière d’une 203. Cette silhouette tient une jolie mitraillette !

Imaginez un brin la rapidité de ma pensée !

Je me dis que cette mécanique n’est pas faite pour chasser les papillons de nuit. Je me dis qu’un type agenouillé sur une banquette avec ça dans les pognes n’attend pas le passage du Tour de France… Je me dis que mon existence doit incommoder des gens. Et je me dis tout ça en moins de temps qu’il n’en faut pour compter jusqu’à un…