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— Qu’arrive-t-il ? demande ce distingué représentant de la police lyonnaise.

— Mollard, 114, rue Ferrandière, à Lyon. Propriétaire de la voiture 2791 IF 69, dis-je. Il me faut pour demain matin, à la première heure, tous les renseignements possibles sur ce type. Et de la discrétion ! Appelez-moi rue des Saussaies, à la Grande Taule !

Je raccroche sans lui laisser le temps de dire « ouf ».

— Votre voiture est là ! annonce mon dévoué brigadier, du même ton qu’il prendrait pour dire « Madame est servie ! » dans une pièce de patronage ou d’Henri Bernstein.

— Alors, bonsoir, les gars !

Je monte dans le teuf-teuf minable mis à ma disposition. Et je mets le cap sur mon domicile. Pour tout dire et pour ne rien vous cacher, je n’ai pratiquement plus qu’un objectif en tête : me pieuter et ronfler en essayant d’oublier les cadavres de la journée…

Y a du feu chez moi lorsque j’arrive. Malgré l’heure tardive, Félicie m’attend.

— Tu n’es pas couchée, M’man ?

— Non. J’étais inquiète à ton sujet… J’ai peur pour toi, mon petit… J’ai l’impression que tu t’es engagé, cette fois, dans une très vilaine histoire…

— Penses-tu, M’man !.. Allez, file au dodo !

— Je ne dormirai pas beaucoup, de sentir cette chambre bleue où…

— Je comprends, M’man, mais faut surmonter ce choc. Si nous buvions une bonne bouteille ? J’ai justement un coup de fil à donner…

— Si tu veux…

Je descends chercher une rouille à la cave. Puis, tandis que Félicie la colloque un instant dans le frigo, je sonne l’appartement de Pinaud. Par chance, il est rentré.

— San-Antonio, je lui dis.

— J’avais reconnu, fait-il. Rien qu’à la sonnerie on comprend que c’est toi !

— De plus en plus futé ! je grommelle. T’as trop d’esprit pour rester ici, et pas assez pour aller ailleurs. Tu poses un problème !

— Et je vais poser aussi l’écouteur, annonce-t-il, j’ai sommeil et ça n’est pas à ces heures que je me laisse chiner par un jeune écervelé !

— T’as gagné au bridge ?

— Non, fait-il, perdu… Figure-toi…

— Stop ! Je ne sais pas jouer, remise tes théories foireuses. Je voulais te demander comment tu avais su que Stumer et Almayer s’étaient rendus à Lyon, il y a plus d’un mois ! Tu lis dans une boule de cristal ou tu te penches sur le marc de café ?

— Ni l’un ni l’autre, fait-il. Sachant que ce brave Almayer est mort à Lyon, alors qu’il n’y habitait pas, j’ai demandé à mes collègues d’entre Rhône et Saône de vérifier les registres d’hôtel depuis un mois et demi. Ils ont trouvé la trace de notre ami à l’Hôtel des Beaux-Arts, rue de l’Hôtel-de-Ville. Par la même occase, ils ont appris que ton Fred Almayer y était descendu en compagnie d’un nommé Stumer. Voilà l’histoire…

— Ah ! la routine, lui dis-je, il n’y a encore que ça !..

— Il n’y a que ça pour arriver sans galon à la retraite ! soupire le bon Pinaud.

— Au moins, on n’a pas le sens des responsabilités ! affirmé-je.

Il glousse. Je l’ai mis de bonne humeur, ça va me permettre de lui décocher ma botte secrète.

— Tu sais l’heure qu’il est, Pinuche ?

— Oui, dit-il, il me reste une montre, figure-toi !..

— Et que te dit-elle, cette montre ?

— Elle me dit minuit vingt !

— Alors, moi je vais te dire autre chose : dans trois quarts d’heure, il y a un bon rapide pour Lyon. Tu as juste le temps de sauter sur ta brosse à dents, et de là dans ce train.

— Quoi ? croasse le pauvre homme.

— Tu m’as parfaitement entendu ! Suppose qu’il y ait le feu à ton falzard et agis en conséquence. Tu seras à Lyon aux premières heures de la matinée. Tu iras trouver l’inspecteur Turjot, qui te passera des tuyaux au sujet d’un certain Mollard. Ensuite de quoi, tu chercheras, toi qui sais si bien remonter le temps, ce qu’a bien pu foutre à Lyon ton petit ami Almayer avant d’être déguisé en chair à poisson… Souviens-toi qu’il était champion du blindage !..

— Partir comme ça ! larmoie-t-il.

— Oui. Va, cours, vole et nous rancarde. C’est pour ta patrie que tu découches !

Je raccroche, afin de couper court à ses jérémiades. Si je l’écoutais, il raterait sûrement son dur.

Sans le moindre remords, j’aide Félicie à sécher la bouteille de champ. Elle est bien frappée, pas Félicie, mais la bouteille. Moi, par contre, je ne me frappe pas…

— C’est pour la paix que mon Pinaud travaille ! murmuré-je en m’enfonçant dans les toiles.

* * *

C’est un homme complètement réparé qui saute sur sa carpette le lendemain matin.

Le meilleur moment pour discuter affaire, c’est entre la poire et le fromage, n’est-ce pas ?

Eh bien ! entre la ronfle et la lucidité, il y a un instant béni où se solutionnent les petits problèmes rentrés.

Sans le vouloir, sans me forcer, j’ai fait le tour de la situation et je suis arrivé à une conclusion qui ne manquera pas de vous surprendre : le plan volé n’est pas dans les mains de mes adversaires. Du moins, pas encore. En effet, le type ayant ce document à sa disposition n’a plus rien à craindre des flics : je n’en veux pour preuve que le gentlemen’s agreement conclu naguère entre le Vieux et Stumer. Donc, pour que les mecs qui sont dessus cherchent à me tuer, il faut que je sois une entrave pour eux, un obstacle. Un obstacle entre eux et le document convoité. Sans cela, ils se moqueraient de ma cerise comme d’un os de gigot usagé.

Oui, je les gêne… Et le plus fort, c’est que je ne vois pas en quoi, ni comment. Ils m’ont prouvé que ma peau leur devenait intolérable… C’est bon à savoir, surtout lorsqu’on n’en a qu’une de disponible…

Une méthode qui a toujours porté ses fruits, comme dirait un marchand de primeurs, c’est de faire l’appel des mecs touchant de près ou de loin à l’affaire, de numéroter tous ceux que je connais de visu ou… de disu.

Tout en savourant le thé au citron préparé par ma brave daronne, j’aligne des noms sur un papelard.

D’abord, nous avons Stumer. Ensuite, les Almayer (brother and sister). Puis Veitzer, le caïd des Alsaciens. Ajoutons la concierge d’Almayer ; le barman du Cerf-Volant ; la mystérieuse rouquine photographe et les deux truands qui m’ont flingué cette nuit, et nous obtenons une liste assez copieuse qu’il convient d’agrémenter de quatre croix, car quatre sont allés demander à saint Pierre s’il avait de l’embauche…

J’empoche ma liste…

Et je m’en vais au labeur après une bourrade réconfortante à Félicie.

À mi-chemin, je stoppe, je ressors ma liste et j’ajoute un nom, suivi d’un point d’interrogation : Mollard ?

CHAPITRE XIV

On prend les mêmes…

Outre votre adresse, souvenez-vous d’une chose, les gars, c’est que j’ai un peu plus de mémoire que le type qui compte les clous des passages à piétons pour le recensement.

Ainsi, ma fameuse liste, je peux vous la réciter par cœur…

Chiche ?

Tenez !

Je baisse la vitre de la tire qu’on m’a fournie. Je traite un camionneur d’enfant de ceci et de cela car il m’a frôlé d’un peu trop près au moment où je ralentissais pour changer de vitesse. Mon tank était sur le point de partir pour le musée de l’Auto lorsqu’on me l’a donné. Quand je passe les vitesses, il se produit un drôle de foin dans la boîte, tous les pignons se concertent afin de savoir s’ils se foutent en grève ou pas, et il y a tellement de trépidation que j’ai l’impression de m’être déguisé en pic pneumatique.