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Un document représentant la mort de milliers de gars se promène dans la nature… Et il faut remettre la paluche dessus.

En tout cas ça n’est pas dans cette boîte que je le retrouverai.

Je sors tour à tour de la cabine téléphonique et du troquet.

Le soleil se dégage des nuages matinaux qui, en été comme en automne, flottent toujours au-dessus des toits de Paname.

Je remonte la rue Pigalle jusqu’à la place et je m’approche d’un taxi. C’est un vieux G7 rouge et noir.

— Rue des Saussaies, lancé-je en prenant place.

— La Grande Taule ? demande le chauffeur qui a un œil pour le moins exercé.

— C’est ça…

— J’allume une cigarette et je baisse la vitre pour laisser la fumée se barrer…

Le bolide vire sur place et se dirige sur Saint-Lago.

Nous sommes pris dans un paquet de tires à un feu rouge.

Au moment où le signal passe au vert, je suis ahuri par un incident dont la soudaineté me déconcerte. Une main jaillit d’une voiture voisine de la nôtre. Elle brandit quelque chose de sombre et d’ovale et balance ce quelque chose sur mes genoux, puis elle décarre à fond de ballon.

Je n’ai pas eu le temps de revenir de ma stupeur que l’auto en question a filé.

Je bigle l’objet et je sens ma gorge qui se paralyse, mon palpitant qui se bloque et tout le reste qui se rétrécit comme une mauvaise chemise le fait au lavage.

L’objet propulsé dans la guinde n’est autre qu’une grenade. Tout ça s’est passé tellement vite ! Je ramasse la poire de métal comme un dingue et je la propulse par la portière en direction du bassin qui occupe le centre de la place.

Je crois bien que quatre secondes ne se sont pas écoulées entre l’instant où la grenade a atterri dans mon taxi et celui où je l’ai fait suivre.

Mon chauffeur ne s’est aperçu de rien…

Un baoum sourd retentit. Une gerbe d’eau s’élève du bassin aspergeant les bagnoles d’alentour. Des morceaux de pierre pleuvent sur les toits des véhicules. Tout ça est très atténué par le fracas de la circulation.

— Qu’est-ce qui se passe ? demande le chauffeur.

— Rien, dis-je, des types qui en prennent d’autres pour le tzar de Russie.

CHAPITRE XV

Une cigarette bien placée

Après ce nouveau coup fourré je me sens ragaillardi comme le gnace qui buvait une jouvence de vie alors qu’il était un vieux schnock. Ce mec voulait la jeunesse, et il l’a eue, faut dire aussi qu’il était dingue pour une poupée dont le blaze était Marguerite. Mais ça ne lui a pas réussi au zig, et son histoire s’est mal terminée. Enfin si vous n’avez jamais vu jouer Faust, vous n’avez qu’à retenir vos gaches.

Ouf, laissez-moi reprendre ma respiration. Quand on fait des grandes phrases, le hic c’est de s’en sortir avant d’être asphyxié.

Donc je me sens ragaillardi, et ce pour deux choses. La première parce que je m’en suis tiré une fois de plus, et pour s’en tirer dans un cas comme celui-ci il faut avoir un vase grand comme l’entrée du tunnel de Chaillot, ensuite parce que cet attentat me prouve que les gars qui me contrent m’estiment dangereux pour eux. Si je suis dangereux pour eux c’est que je brûle, vous ne trouvez pas ?

Pourtant je n’ai guère, personnellement, l’impression de brûler…

J’arrive à la Grande Boîte sans autres anicroches. Faut dire aussi que j’ouvre l’œil, et le bon… Mes agresseurs veulent me mettre en l’air rapidement, et pour arriver à ce résultat ils prennent des risques énormes. Ils agissent exactement comme si mon décès revêtait une importance extraordinaire…

— Il y a un message pour toi, m’annonce l’inspecteur de permanence. Il vient de Lyon. D’autre part, Pinaud a téléphoné de Lyon également. Il dit que tu le rappelles, il a laissé son numéro…

— Eh bien ! appelle-le moi.

J’ouvre le message et je lis :

« Voiture 2791 IF 69 n’existe pas, la classification minéralogique du Rhône n’ayant pas atteint la lettre I. Mollard, honnête commerçant, a déposé une plainte le mois dernier au sujet du vol de sa 203 dont le numéro était 446 B 69. »

Je jette le message.

Bon, j’ai pigé. Les voleurs ont camouflé la plaque de la voiture… Pourquoi ont-ils fait les choses à moitié, c’est-à-dire pourquoi ont-ils laissé l’indication du département ? Paresse ? Calcul ?

— Vous avez Lyon, commissaire ! annonce mon inspecteur.

Je saisis le récepteur. Illico, je reconnais la voix molle et flottante de Pinuche.

— C’est toi, Sherlock ? questionné-je…

— Oui, dit-il… Enfin jusqu’à preuve du contraire ce doit être moi. Je tombe de fatigue… Figure-toi que dans le train j’étais avec une vieille anglaise qui fumait le cigare…

— Très drôle, approuvé-je… Et à part ça tu as appris quoi au cours de ton voyage ?

— Des choses qui t’intéresseront sûrement.

— Il faut les forceps pour t’accoucher ?

— D’abord ton Mollard… C’est un type régulier, je l’ai vu ce matin… Je me suis présenté chez lui carrément, on lui avait volé sa carriole, ça donnait une entrée en matière…

— Je sais… Ensuite ?

— C’est un homme d’un certain âge. Légion d’honneur. Président d’un tas de trucs… Il a été juré aux dernières assises…

— Je vois le tableau… Il a un cousin chanoine et son fils prépare sa médecine ?

— À peu près… Tu connais bien Lyon. Or, la voiture de ce digne homme lui a été dérobée dans le garage de sa propriété de Champagne-au-Mont-d’Or. C’est la banlieue résidentielle de Lyon…

— Je sais !

— Ah oui ! C’est vrai, tu connais. J’arrive de Champagne avec Turjot. Il a été gentil de m’y conduire, il a une quatre chevaux… À croire que les flics de province se débrouillent mieux que nous !

— Et après, après ! Accouche, nom de Zeus ! Ça urge ! Tu auras le temps de bavocher lorsque tu seras à l’asile des vieillards…

— J’ai vu sa villa. Tout à côté il y en a une autre qui était habitée par des Asiatiques…

Je bondis…

— Quel genre d’Asiatiques ?

— Des jaunes !

— Ne te lance pas dans le calembour ! Qu’est-ce qui t’a fait remarquer ce détail de voisinage ?

— J’ai demandé à Mollard s’il avait des soupçons, au sujet de sa bagnole ? Faut croire que je lui inspirais confiance…

— Tu inspirerais confiance à une douzaine de chacals…

— Je sais. Il m’a dit qu’il avait eu des voisins suspects, des Indochinois. Ces gens avaient loué cette villa…

— À qui ?

— À lui, c’est la même propriété qui a été divisée en deux, tu comprends ?

— Je comprends…

— Ils ont loué la villa et n’y ont séjourné qu’une dizaine de jours. Ça fait plus d’un mois qu’il ne les a pas revus. Ils ont disparu en même temps que la bagnole… Comme la location était payée pour trois mois il n’a pas osé entrer dans la demeure… Mais ça l’attriste, cet homme.

— Il n’avait pas fait part de ses soupçons à la police ?

— Non. Ils ne lui sont venus qu’après… en constatant que ses locataires s’étaient envolés…

— Tu es entré dans la villa en question ?

— Tu n’y penses pas ? s’égosille-t-il, effaré. Effraction ! Violation de domicile…