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Je lui ai pris le cordonnet des pognes et j’ai continué de tirer le type. Ensuite, avec le talon de ma canne à pêche je l’ai hissé au sec sur les cailloux.

Il devait faire trempette depuis un bout de temps, le copain.

Il s’agissait d’un homme ; on le voyait à cause de ses fringues. À part ça, pour le reconnaître fallait se lever de bonne heure ! Ses tifs manquaient par plaques… Il avait de larges taches verdâtres sur le visage et les brochets avaient commencé à casser la croûte…

Tatave a cavalé au refile. C’était normal… Je sais que moi j’ai dû me cramponner à la rampe pour ne pas accrocher les wagons aussi. C’était un drôle de spectacle !

— C’est un noyé, a dit le tonton.

— On ne peut rien te cacher, ai-je dit…

J’ai examiné le corps… Le bonhomme avait dû être assez costaud. La flotte l’avait gonflé, ça faussait les proportions. Il lui manquait ses pompes et ses chaussettes. J’ai aussitôt repéré le morceau de fil de fer entortillé à sa cheville droite. Il était éloquent comme un candidat député ; il gueulait au meurtre !

Ce fil de fer avait servi à attacher un poids aux jambes du gnace. Mais le séjour dans la baille avait eu raison de cette entrave. Rien n’empêche un cadavre de remonter un jour ou l’autre !

— Qu’est-ce qu’on fait ? a demandé Gustave.

— Facile, on met la police au parfum de l’histoire. Ta veuve a le téléphone ?

— Oui…

— Alors cours prévenir le commissariat le plus proche…

Il ne se l’est pas fait dire deux fois. Le spectacle ne lui plaisait pas. Il préférait un chromo sur Capri…

Et puis les émotions lui flanquaient des envies de rhum, j’ai idée ! En route il a dû rencontrer d’autres pêcheurs et les affranchir sur sa capture car ils ont radiné presto, les mecs, avides de sensations. J’aurais installé un tourniquet et mis les entrées à cent balles je faisais fortune aussi sec.

Ils en voulaient, du cadavre ! Des mouches à merde ! Ils venaient renifler la mort, leurs cannes à pêche à la main comme des évêques avec leurs crosses.

Mais des crosses c’est moi qui avais envie d’en chercher. Vous avouerez que c’était pas de pot : venir se cuire le lard au soleil en peinard et décrocher un macchabée, non, y a qu’à moi que ça arrive, ces turbins-là !

— Circulez ! ai-je dit d’un ton rogue…

— Sans blague, a fait un grand maigre, on va pas l’étouffer…

Il avait raison.

J’ai glissé la main dans la poche du mec… Elles étaient vides. Les zigs qui l’avaient expédié au jus en port payé avaient pris leurs précautions…

* * *

Une heure plus tard, le noyé était installé dans le hangar de la pompe à incendie, sur une bâche, et un toubib l’examinait.

— Une balle en plein cœur ! dit-il après un instant d’examen. Cet homme devait avoir une quarantaine d’années… Il a séjourné au moins un mois dans l’eau…

Il ne pouvait rien dire de plus avant l’autopsie. Dehors, dans la cour de la mairie, Gustave s’expliquait avec les journalistes accourus de Lyon.

Comme il a la parole facile et pas mal d’imagination il leur donnait pour la quarantième fois sa version de sa pêche. C’était du gratiné, bien mijoté… Les gars n’avaient qu’à sténographier.

Directo du producteur au linotypiste ! Et il m’oubliait pas dans ses prières, Tatave. Le culte de la famille, il l’a… « Mon neveu, le commissaire San-Antonio… » Quand il disait ça on avait l’impression qu’il allait poser son râtelier pour aller plus vite !

J’ai attendu qu’il ait fini… et j’ai confirmé ses salades en quelques mots. Devant ma tire. On nous a immobilisés pour un suprême cliché. C’est celui qui a été choisi par le metteur en pages : on me voit debout devant ma voiture avec, à mes côtés, un fagot de cannes à pêches derrière lequel se tient Tatave. Il a paru en première page, juste à côté de la guerre d’Indochine.

* * *

Inutile de vous dire qu’après cette histoire je n’ai eu qu’une hâte : me faire la valoche. Le temps de signer ma déposition chez les collègues et j’ai repris la route de Paris. Le tonton voulait me garder encore, mais moi j’en avais classe.

Tant qu’à faire de tripoter de la viande froide j’aime mieux le faire sur commande.

— Tu reviendras bientôt ? m’a demandé le Tatave…

— Un de ces quatre, c’est juré…

— On refera une partie de pêche, a-t-il plaisanté.

— D’accord, mais cette fois on pêchera à la mouche artificielle.

C’est comme ça qu’on s’est quittés. Une heure plus tard, en traversant Mâcon, je ne pensais déjà plus au cadavre.

Et je ne me doutais pas que lui, par contre, pensait à moi !

CHAPITRE III

Que pensez-vous d’une mission comme ça ?

Une flotte tout ce qu’il y a de mélancolique et d’humide tombe sur Paname.

Le ciel est triste comme une déclaration d’impôt ; et il se reflète sur la bouille de mes contemporains.

Je salue les collègues d’un petit hochement de tête taciturne et je me fais annoncer chez le boss.

Lui aussi est dans le style « ciel de Paris ». Il a sa tête des jours de cafard. Ses yeux bleus sont gris, son crâne lisse est pâle, sa bouche est plus mince encore que de coutume, à croire que sa mère avait oublié de la lui faire et qu’on a arrangé ça postérieurement, d’un coup de serpe.

Il me regarde entrer.

Il est distrait, semble-t-il.

— Salut patron !

— Bonjour, asseyez-vous…

Il me tend une main manucurée et froide.

— J’ai lu votre rapport au sujet de cette histoire de poste clandestin… Un enfantillage, hein ? Nos confrères du Midi grossissent tout !

— Un enfantillage, en effet !

— Bon, passons à un autre genre d’exercice.

M’est avis qu’il va me refiler un turbin maison ; je le vois venir avec ses pieds plats.

Il prend son temps, comme toujours. Lui, c’est pas le genre volubile. Les mots, il se les extrait du gésier avec des démonte-pneus.

— Une affaire très simple, cette fois-ci, dit-il.

— Ah !

— Un vol de documents…

J’attends. Plus on le questionne, plus il freine son exposé. Moi, je suis tellement impatient que mes orteils font des nœuds.

— On a volé un plan d’action au Haut État-Major, plan relatif aux opérations d’Indochine…

— Hé, hé…

Des onomatopées, c’est tout ce qu’il tolère, le Vieux. Je lui en distille histoire de lui montrer que je suis ses laborieuses explications.

— Évidemment, dit-il, il ne reste plus qu’à changer ce plan…

— Évidemment…

— Seulement celui-ci contenait un état détaillé des forces disponibles et des nouveaux engins de guerre en voie d’expédition.

— Moche…

— Oui.

— Il y a longtemps que ce vol a été commis ?

— Un mois…

— Les Viets sont au parfum, maintenant. Il est trop tard pour intervenir dans cette histoire…

Voilà exactement le genre de phrase que je ne peux retenir et qui défrise le boss.

Quand je dis que ça le défrise c’est manière de jacter car il est chauve comme une carte postale surglacée.

— Laissez-moi continuer, fait-il…

— Faites…

Je bredouille un peu pour calmer sa rancœur, faut toujours manier l’extincteur au bon moment, surtout lorsque c’est la susceptibilité d’un mec qui est en jeu.

— Le plan n’est pas entre les mains des Viets.

Je sursaute. J’ai envie de crier « pourquoi » mais je me retiens.