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—             C'est un mot encore trop doux. Il n'y a rien pour définir ça. Voyez par vous-même...

Elle me tendit des clichés. Le chianti remonta jusque dans ma gorge.

—      Ça ressemble à...

—     Quand Van de Veld a incisé... ça grouillait, des milliers de larves pas plus grosses que des puces, enfoncées dans la peau comme autant de forets... Elles se dirigeaient vers une destination commune...

Je fronçai les sourcils, les yeux rivés sur les gros plans de ces asticots répugnants.

—      Le cœur ?

—     Exactement. D'après l'entomologiste du labo, il s'agit de larves de Lucilies bouchères. Des mouches d'Amérique centrale, qui pondent dans les plaies ou les oreilles. Leurs larves se nourrissent de chair, creusant des sillons internes dans les corps de leurs hôtes. Après une dizaine de jours, elles atteignent un organe vital. Cœur, cerveau, foie. Une seule issue...

—      La mort...

—     Oui, précédée de souffrances abominables. Je vous laisse imaginer ce que Tisserand a dû endurer. En définitive, vous avez abrégé son calvaire...

Mon diaphragme priva mes poumons d'air. Je toussotai et finis par écraser ma cigarette violemment.

—      Ce n'est pas tout, ajouta-t-elle encore. Ce pauvre type a été roué de coups. De l'extérieur, les ecchymoses ne sont plus visibles, parce que supérieures à dix jours, mais les structures tissulaires de nombreux muscles étaient sérieusement abîmées. Jambes, bras, dos, poitrine... La forme très localisée des lésions laisse présager qu'il a été battu avec un objet contondant, genre bâton ou matraque.

Je fis crisser les poils de mon bouc. Del Piero rejeta sa longue chevelure vers l'arrière, dévoilant le doux vallon de ses épaules, et demanda :

—     Pourquoi s'est-il acharné sur l'homme sans toucher à la femme ? Il l'avait nettoyée, parfumée, rasée au sexe sans même la violer. L'absence de piqûres,

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quand nous l'avons découverte, prouve qu'il ne s'en servait plus pour infecter ses moustiques... Alors, pourquoi l'avoir gardée en vie jusqu'au bout ? Eclairez- moi, commissaire. Il paraît que vous excellez dans ce domaine-là...

Mon interlocutrice me dévisageait.

—     Il voulait accompagner cette femme jusqu'à sa fin, la remettre entre les mains du Seigneur pour qu'il décide. Il l'a emmenée au purgatoire...

—     Le purgatoire ?

—     Le lieu du jugement. Le choix du Paradis ou de l'Enfer. D'après l'une de mes connaissances, Paul Legendre, le tueur aurait tiré son inspiration de l'Apocalypse selon saint Jean pour rédiger son message. Une Courtisane représente une Eglise corrompue, qui s'éloigne de la voie droite des Ecritures. Mais ce mot, Courtisane, désigne aussi Viviane Tisserand. L'amalgame est peut-être osé, mais je crois qu'aux yeux de notre assassin, cette femme était corrompue ou fautive. Voilà pourquoi il l'a lavée avant sa mort. 111'a préparée à cette rencontre avec le Seigneur, sans pour autant la punir de ses propres mains. Et elle est morte... d'elle- même...

Del Piero semblait happée par mes conclusions. Derrière le grain sombre de ses pupilles, elle me fixait avec une intensité presque féline.

—     Mais... comment aurait-il pu savoir qu'il ne restait à Tisserand que quelques heures à vivre ?

—     Il ne savait pas ou pas précisément. Le fait qu'elle ait succombé à ce moment-là a dû renforcer ses croyances, en coïncidant à la perfection avec ses convictions. A ses yeux, c'est Dieu qui a jugé et rappelé cette femme, pas lui.

Del Piero pressait ses paumes de mains sous son menton.

—      Et pour le mari ?

—      Selon Legendre, quand notre meurtrier parle à'abîme et à'onde qui devient rouge, il fait référence à Satan, jeté dans un puits de lave par ses propres disciples. Pour la Bête, il n'y a pas de pardon possible, pas de confessionnal. La mort brutale est la seule issue... Le parallèle avec Olivier Tisserand, mort dans une fosse, est ici évident.

J'écrasai mon index sur le bureau.

—     Ce salaud n'a pas frappé au hasard. Un lien suffisamment fort l'unissait aux Tisserand pour qu'il en arrive à de tels extrêmes. Il leur a consacré du temps, de la patience, il s'est creusé la tête pour élaborer un scénario diabolique. Pensez au message, inaccessible, au mal qu'il s'est donné pour descendre Tisserand par trente mètres de fond. Il les a tous deux souillés de l'intérieur, avec les insectes. Vous parliez d'un viol, vous aviez tout à fait raison. Il les a violés, avec la froide maîtrise du bourreau, de l'exécuteur. Un viol organique, spirituel. La chair, l'esprit. Pensez aussi à Viviane, ligotée, rasée, forcée d'ingurgiter du miel et assaillie de piqûres. Imaginez un seul instant le supplice de son mari. L'incision à vif, la ponte des mouches, ces larves qui lui rongent les entrailles. Torture physique, torture morale. Quant à Maria...

La commissaire eut une expression de dégoût.

—     Vous... la croyez toujours en vie ?

—     Il n'a pas épargné les parents, il n'épargnera pas la fille. Tout est une question de temps. Dans sa prose, il ne parle que des deux Moitiés, Maria n'est pas concernée et pourtant, il la retient. Elle tient un rôle précis dans son parcours. Un rôle personnel, qu'il ne veut pas partager...

Les idées affluaient, des images m'aveuglaient. Del Piero ne décrochait plus ses yeux de mes lèvres.

—     Notre pisteur suit un but et veut que nous l'accompagnions. Pour ça, il a utilisé deux moyens. Le message, avec ses énigmes, et les moustiques. En nous contaminant, il nous mêle à son histoire, nous implique. Nous faisons partie de son plan. Il cherche à nous montrer quelque chose. Peut-être par l'intermédiaire de ces sept papillons, à chaque fois proches du lieu du crime. Nous devons en saisir le sens, si nous voulons avancer.

Del Piero chiffonna une boule de papier, de rage.

—     Le sens de quoi ? On se retrouve avec deux cadavres et une personne disparue, qu'y a-t-il à comprendre ?

—     Le sept est un chiffre très puissant, un symbole du renouveau. Les papillons font penser à la résurrection. Viviane a été tuée dans une église. Tout nous porte à... une espèce de renaissance. Quel en est le sens ? Je l'ignore. Mais ayez toujours ceci en tête : aux yeux de notre tueur, Viviane Tisserand est corrompue et son mari représente le diable. Il considère leur mort non pas comme un acte criminel, mais comme... une forme de justice. Par cette action, il nous signale qu'il... renaît...

Je me levai.

—     La personne que nous traquons est en grande forme physique et mûre spirituellement. Ce qui nous conduit à un âge compris entre vingt et quarante-cinq ans. Nous recherchons un homme costaud, capable de dominer une personne de la corpulence d'Olivier Tisserand, d'escalader des échafaudages ou de descendre par trente mètres de fond, maîtrisant les techniques de plongée. Célibataire, sans doute, habitant un endroit isolé pour y retenir trois adultes. Il a lardé de coups de couteau les figures des posters de vedettes américaines, il avait bandé les yeux de Viviane. Le regard que posent les autres sur lui le dérange. Peut-être présente - t-il un défaut physique, un problème au visage. Ou alors il a honte de ses agissements. Il est organisé, minutieux, doit fréquenter les bibliothèques et se passionne pour les insectes. Il élève des papillons, parmi lesquels des sphinx têtes de mort. Est-il abonné à des revues ? Calypso Bras m'a aussi parlé de bourses aux insectes, ça doit valoir le coup d'investiguer.

Les lèvres de la commissaire, légèrement écartées, soufflaient une forme de sollicitude.

—     Notons, finalement, l'aspect religieux. La complexité de son texte, cette connaissance approfondie des finesses catholiques, le choix du lieu pour nous présenter sa victime. Aussi incroyable que cela puisse paraître, cet homme croit en Dieu. Ses actes, soyez-en persuadée, lui paraissent... justes, ce qui complexifie largement notre travail. Pourquoi ? Parce qu'il se comporte tout simplement comme vous et moi. Il est le banquier, le facteur, le manutentionnaire... Veillez aussi à recenser les clubs de plongée. Il y est sans doute inscrit...