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—     La propolis... Qu'est-ce que c'est ?

Elle désigna des crèmes, des gélules, alignées sur des étagères.

—            Un composé résineux que les abeilles récoltent sur les bourgeons et écorces de certains arbres, auquel elles apportent leurs propres sécrétions. Elles l'utilisent pour fortifier la ruche, réparer les fissures, stériliser les alvéoles avant la ponte de la reine. Chez l'humain, son absorption sert à renforcer le système immunitaire. Mélangée avec une préparation à base de plantes, on s'en sert aussi pour apaiser les rhumatismes. Pure, en pommade sur la peau, elle aide à une cicatrisation plus rapide des petits bobos.

—     Comme les boutons de moustiques par exemple ?

—            En effet. Là où une piqûre mettrait cinq jours à disparaître, il n'en faut plus que deux avec la propolis.

Je m'approchai des étals, relevant les divers pourcentages et les préconisations pharmaceutiques.

—            Trois cents grammes par jour, même en application sur tout le corps, c'est tout de même beaucoup, non ?

—            Enorme ! Car, de manière générale, quelques grammes suffisent. Mais la propolis se conserve. Peut- être se constitue-t-il des stocks pour l'hiver ? Ou alors il tient une boutique ? Qu'est-ce que j'en sais, moi ?

—             Et dans le cas contraire ? S'il la consommait au jour le jour ? S'il avait à dépenser ces trois cents grammes ?

Elle retourna à ses occupations, toujours en me faisant face. Bocaux dans des cartons.

—      Je ne vois pas. Dans les temps anciens, on en usait à d'autres desseins, mais c'est d'une époque révolue. Ça ne vaut pas la peine que...

—     Ça m'intéresse...

Elle se releva et mit ses mains sur ses hanches, comme si elle avait un point de côté. Une grimace stressa ses hautes pommettes.

—     Excusez-moi... Une sale douleur lombaire...

—     Je vous en prie... Prenez votre temps.

Elle s'écrasa sur une chaise en rotin.

—      La... la propolis est connue pour ses propriétés antiseptiques et anesthésiques très puissantes, supérieures encore à la novocaïne. Au temps des pharaons, on l'employait pour éviter la putréfaction et embaumer les momies. Plus tard, notamment pendant les guerres hivernales, on la chauffait pour la couler à l'intérieur des plaies. En refroidissant, elle agissait comme un écran aseptique qui, en plus d'éviter l'infection, stoppait l'hémorragie. Solution difficilement applicable l'été, car au moindre rayon de soleil la propolis fond et le sang s'échappe du corps...

Mon cœur tambourinait dans ma poitrine. La propolis... L'homme-soleil, l'homme-insectes, le tueur quoi, ne s'en était certainement pas procuré pour protéger son organisme des bactéries, ni celui de ses victimes d'ailleurs. Dans quel but, alors ? Accélérer le processus de disparition des piqûres de moustiques ? Certainement, mais seulement en partie. Trois cents grammes quotidiens, c'était trop énorme.

Embaumer... Stopper les hémorragies... Viviane Tisserand ne présentait aucune blessure, son mari une seule sur le pectoral, propre et suturée au fil à soie.

Toute la propolis ne leur était pas destinée. Leur fille... Dans quel but ?

Tout en inscrivant un tas de notes, je poursuivis mon questionnement :

—     Décrivez-moi sa voiture, le plus précisément possible. Couleur, type, caractéristiques. Et je vous paie un caisson de Champagne si vous me donnez sa plaque d'immatriculation.

Elle désigna des frondaisons imposantes, par-delà les baies vitrées.

—     Vous en ferez l'économie, du Champagne. Pas de véhicule. Il venait à pied, en passant par le petit sentier qui attaque le bois et donne sur une départementale. Il y a un parking, à environ cinq cents mètres de l'autre côté. Il se garait certainement là-bas.

Mes dents grincèrent. Ce fumier avait su prendre ses précautions. S'attendait-il à notre visite, tôt ou tard? L'apicultrice mesura soudain la portée de ses propos : un criminel, peut-être, au creux de ses ruches. Son visage blanchit, elle resta un moment sans réaction, les doigts tremblotants. Je me raclai la voix et ses yeux revinrent à moi.

—     Racontez tout ce qui vous passe par la tête, ce dont vous vous rappelez. Son comportement, sa façon de parler, de se déplacer. Etait-il bavard, plutôt discret ? Semblait-il calme, nerveux ?

Elle agita la tête, confuse.

—     Je... je suis désolée, mais nous sommes en pleine période touristique. J'ai eu énormément de travail avec la boutique, les grandes miellées. Vous devriez demander tout ça à mon mari. Le temps de la récolte, ils ont bien dû discuter de sujets et d'autres...

J'abandonnai une carte de visite sur le comptoir.

—     Très bien, mais dans tous les cas comprenez bien que la police va vous solliciter très prochainement.

Elle se gorgea d'air.

—     Manquait plus que ça...

Elle me fit traverser l'arrière-boutique, déverrouilla une porte qui donnait sur un arc-en-ciel de fleurs, plusieurs hectares cloisonnés par des murs de grillage.

—     Vous allez enfiler cette tenue et une coiffe tressée, dit-elle en désignant un ensemble blanc crème plié sur une table. Suivez ce sentier, vous trouverez les ruchers à deux cents mètres et probablement mon époux. Les butineuses sont en plein travail, ne les perturbez pas avec de grands gestes ou elles deviendront agressives.

Elle remplit une jarre en terre d'eau du robinet.

—     Buvez un bon coup avant de partir. Une fois comprimé dans vos protections, vous allez mourir de chaud. Et, une fois sur place, je vous déconseille vivement de les enlever...

Après que j'eus enfilé ma combinaison d'homme de l'espace, elle me lança, un poing sur les lèvres :

—     Votre carrure... Il avait exactement votre carrure ! Ainsi habillé, rien ne vous différencie de celui que vous recherchez...

Je m'enfonçai dans des tourelles de buissons, des entrelacs de fougères et de fleurs à hautes tiges. Sur tous les fronts les abeilles s'affairaient, leurs thorax crevant de pollen.

Au bout de ces verdures exacerbées, l'espace se craqua, dévoilant un alignement de ruches noires de vie. Une ville volante palpitait sous le soleil, peuplée de mini-torpilles brun et jaune qui fusaient de buildings aux fenêtres en alvéoles. Un cosmonaute, penché sur l'une d'elles, propulsait une épaisse fumée au cœur de la cité paniquée. Il se figea en m'apercevant, regarda sa montre avant de me faire des signes de la main.

—     Vous êtes en avance ! Je vous ai attendu, hier ! J'ai une belle ruche pour vous. Du miel tout neuf !

Des gouttes salées enflaient mes sourcils, ma bouche s'asséchait déjà. Je m'approchai légèrement, sans décrocher un mot. La face de grillage me serra la main et désigna un cabanon.

—     Ecoutez, murmura-t-il, je vais vous rendre vos petites choses. C'est très gentil de votre part mais... je n'en n'ai pas besoin, c'est trop risqué et... malhonnête.

Bal masqué. Il me prenait pour l'autre. Entrant dans le jeu, je haussai les épaules et écartai mes mains gantées, d'un air de dire : pourquoi ? Des insectes au dard puissant s'agglutinaient sur la grille, à quelques centimètres de mon nez. Je dus me mordre la langue pour ne pas hurler.

—     Si je fais ça, ils... ils finiront par se douter et comprendre que ça vient de moi, confia l'homme sur le ton du secret. Non, non, je ne peux pas... Désolé, je ne veux pas de ces horreurs ici, alors rembarquez-les ou je m'en débarrasse...

Le type était aussi nerveux que ses abeilles. Il racla avec une bande de caoutchouc les aiguillons enfoncés dans sa main et m'invita à le suivre dans la cabane, où grognait une chaleur de fournaise. Des chardons ardents brûlaient dans ma gorge.

L'homme ôta sa coiffe et dévoila une figure de cratères. Le feu l'avait rongé dans le cou et jusqu'à la pointe du menton, y imprimant un sillon cruel.