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Willy dessina un huit avec ses grosses lèvres.

—     Wouais... ça pourrait me causer des tas d'emmerdes ! Imagine qu'elle gueule ! J'suis un pacifique, moi, Man !

—     Dans ce cas, tu la suis. Je veux savoir où elle habite. Je peux compter sur toi ? C'est très important.

Le Rasta fît jouer ses tresses de brefs mouvements de tête.

—     Tu penses bien, j'suis avec toi, Man. Ma grand- mère, elle t'aimait bien. Moi aussi, je t'aime bien...

—     Arrête, tu vas me faire pleurer...

Il dévoila ses dents impeccables.

—     Tu reviens quand ?

—     Demain soir probablement. Après-demain au plus tard...

Je descendis une première fois au sous-sol pour ranger mon sac dans le coffre, puis remontai au troisième chauffer une cafetière de café bien noir, que je transvasai dans un thermos.

Après avoir poussé Willy à l'extérieur - gentil, le Willy, mais un peu lourd à la longue - et fermé la porte d'entrée, je ressentis comme une grande victoire sur moi-même. Mes doigts tremblaient moins et je n'éprouvais pas, tout au moins dans l'instant, cette envie de me gaver de pilules. Fallait-il y voir un signe d'amélioration ?

La rectitude de l'A6. Etoiles dessus, bitume dessous. Un petit air des Red Hot, à la radio, en sourdine de mes pensées incessantes, de toutes ces images, ces dessins, ces flashs de sang. L'enquête grandissait encore en moi, avec la fougue d'un lierre sauvage. Elle chassait l'homme faible et appelait le flic, sans cesse. Ce flic qui n'avait besoin d'aucun cachet. Juste cette soif d'hémoglobine...

Mais, replié dans les ténèbres, l'homme songeait encore à son frêne, lacéré de coups de couteau. L'homme voyait les yeux blanc-bleu de Maleborne, ses lèvres craquelées murmurer des phrases enterrées, douloureuses.

Vincent... Vincent qui saignait du nez par la force de son psychisme... Un stigmatisé... Puis ce cœur à droite, comme l'enfant... Une telle rareté...

Tu n 'arrêtes pas de penser aux autres. Et à nous, tu y penses ? Ta fille ? Tu sais combien elle souffre dans cette obscurité perpétuelle, sans toi ?

J'augmentai le volume de l'autoradio, ouvris les deux fenêtres arrière. L'air s'engouffra dans un grondement de locomotive. Les voix s'estompèrent un peu avant de revenir en fanfare. Le seul moyen, pour les supporter, restait de leur tenir la conversation.

Quatre heures à manger de l'asphalte, à broyer du noir, à subir le poids des reproches, à entendre rire et chantonner dans ma tête. J'avais roulé plusieurs fois sur la bande d'arrêt d'urgence, un peu ailleurs, mais heureusement, les rugosités m'avaient éjecté de cette torpeur dangereuse. Une aire de repos arriva enfin, une cinquantaine de kilomètres avant Lyon. Je mis mon clignotant...

Mes vêtements étaient imprégnés de sueur et de fumée de cigarettes, une vague odeur de café tiède fleurissait de l'habitacle. Sur le parking, des camping-cars, des caravanes, quelques chauffeurs fatigués, leurs femmes et marmots endormis à leurs côtés. Plus jeune, j'adorais quand mes parents se garaient sur ces espaces perdus, sous l'arc fantastique des étoiles. J'en garde au cœur le goût des vacances et une grande part de rêve. Un temps si lointain...

Alors que je sortais m'étirer un peu, des coups sourds résonnèrent contre de la tôle. Puis une petite voix, à peine audible :

—     Au secours ! Au secours !

Ça provenait d'un coffre. Le coffre de ma voiture.

—     Mince, Franck ! râla la gamine lorsque j'ouvris. T'aurais pu t'arrêter avant ! J'étouffe là-dedans !

Robe de chambre bleue et chaussures rouges. La fillette sauta hors de sa cachette, s'étira, les deux bras tendus au-dessus de sa tête, alors que je restais là, sans réaction, complètement abasourdi. Puis la colère afflua à mes joues. Je cognai avec une rage folle contre une poubelle.

—     Merde ! Merde ! Merde ! Qu'est-ce que tu fiches ici ! ! !

Je la dévorai d'un air mauvais, les dents grinçantes, tandis qu'elle regroupait ses mains sous son menton, comme pour se protéger.

—     Tu me fais peur, Franck... Tu ne vas pas me frapper, hein ?

Le front baissé, j'allais et venais, avec l'acharnement d'un prédateur furieux.

—     C'est toi qui me fais peur ! Qu'est-ce que tu me veux ? Dis-moi pourquoi tu es entrée dans ma vie ! Et... épargne-moi tes airs de chien battu !

Un type qui sortait de la cafétéria se retourna dans ma direction avant de se fondre dans la nuit.

—     Mais... C'est... mon chat... L'autre fois, rappelle- toi ! J'étais... enfermée dehors...

—     Mensonge ! Tu n'habites pas au sept ! J'ai vérifié ! Cet appartement est inoccupé !

Ses doigts fluets montaient et descendaient sur sa maigre poitrine, au rythme de sa respiration. Elle rentra la tête entre les épaules.

—     Mais je te parlais pas du sept de ta résidence ! L'autre sept, dans la résidence des Ibiscus ! L'immeuble d'à côté !

—     Arrête de mentir !

—     Je suis venue chez toi parce qu'on m'avait dit que tu avais des trains miniatures partout dans ton appartement ! Et moi, j'adore les trains miniatures ! J'ai toujours rêvé d'en avoir, mais maman ne veut pas m'en offrir... Elle ne m'offre jamais rien...

—             Pauvre petite ! On finirait presque par s'apitoyer ! ! !

Je dévoilai la cicatrice de mon avant-bras.

—             Et ça, tu peux m'expliquer ? Mon voisin m'a raconté que tu discutais avec la télé, que tu voulais me nuire !

Elle tortilla son vêtement sous ses paumes menues. Des larmes gagnèrent ses yeux.

—             Eloïse et moi, on voulait te protéger ! Ton sang malade, tu te rappelles ?

—             Suffit, avec ma fille ! Ma fille est morte, elle n'est plus ici, tu comprends ?

—             Oh ! Franck ! Je ne veux pas te faire du mal ! Si tu savais...

Elle se jeta contre moi et me serra fort, délivrant des torrents de larmes. Je luttai pour ne pas céder à sa douceur entêtée mais n'y parvins pas. Il restait une flamme, au fond de moi, qui brûlait encore.

Je me baissai à sa hauteur et lui caressai les cheveux.

—      Ça va aller... d'accord ?

Elle acquiesça, étranglée dans ses sanglots.

—      Tu entends des voix dans ta tête, c'est ça ?

—            Tout le temps... murmura-t-elle en étouffant un gros chagrin. Elles ne me laissent jamais tranquille... Parfois... elles m'ordonnent de faire des choses pas bien... Toujours la même chose... Eloïse, elle, elle joue avec moi. Elle est gentille...

Je la portai dans mes bras et la forçai à me regarder.

—            Tu te souviens, l'histoire du frêne et du chêne ? Le cauchemar que j'avais eu ?

Elle opina lentement.

—     A qui tu en as parlé ?

—            Mais... À personne ! Je t'ai demandé de m'expli- quer ! T'as jamais voulu ! Je sais même pas ce que ça signifie !

—             Bon... Tu dois me donner ton nom. Des amis à moi vont prévenir ta mère, lui dire que tu vas bien. Puis on s'occupera bien de toi...

—             Non ! Non ! Je ne veux plus la voir ! Elle n'est jamais là, tout ça, c'est sa faute ! Je veux rester avec toi !

—            Mais même si je le voulais, je ne peux pas te garder !

—             Je t'embêterai pas, promis ! susurra-t-elle en plaquant sa paume ouverte sur sa poitrine. J'vais m'as- seoir dans la voiture, sans rien dire ! Tu t'apercevras même pas de ma présence !