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Trois… Ils étaient trois. L'homme, la femme, la fille. L'une reposait entre quatre planches. Et les deux autres ?

Je retournai au rez-de-chaussée fouiller encore, avec l'énergie du désespoir. Dans le salon, les dernières correspondances ouvertes remontaient à trois semaines… Viviane et Olivier Tisserand…

Van de Veld avait noté, sur la victime, des ongles longs, cassés. Avait-elle été séquestrée tout ce temps ? Dans quel endroit ? Et son mari, l'autre Moitié ? Quant à la fille, Maria… Pourquoi le tueur ne l'avait-il pas mentionnée dans son message ?

Autour de moi, la brique tremblait, tapissée d'un essaim de trompes morbides et d'ailes bruissantes. Jamais je n'avais vu autant de moustiques de ma vie !

Un tapis. Un tapis d'insectes. Certains gisaient sur le sol, épuisés par la pénurie de sang. D'autres volaient le ventre creux, ivres de fringale. Pourquoi étaient-ils tous là, regroupés dans cette pièce ? Qu'est-ce qui pouvait les attirer en si grand nombre ?

Je m'élançai à nouveau vers l'étage, à la recherche de l'abîme et ses eaux noires. S'agissait-il de la baignoire, des lavabos, des toilettes, d'une fosse quelconque ? D'un puits, dans le jardin ? Peut-être !

Je dévalai en quatrième vitesse, embrasai un halogène extérieur. Néant. Herbe, arbres, champs… À trop jouer, on se lasse.

Les simagrées de l'assassin me tournaient sur le ciboulot et m'avaient contraint à enfreindre bon nombre de règles. Au point où j'en étais, j'optai pour des recherches plus poussées à l'intérieur…

En ultime recours, j'avisai des albums photos que je feuilletai rapidement… Plage, montagne, mariage, conneries de couple… Gros plan sur la fille. Dix-huit ans, blonde incendiaire. Sculpturale… Sur d'autres clichés, l'homme, un poisson au bout d'un harpon. Encore lui avec un masque et un tuba… Toujours le même, palmes aux pieds, au bord d'une… Au bord d'une fosse de plongée !

Pris d'une suée, je revins sur le courrier. Quête visuelle… Là ! « Club de plongée de Meaux ».

Surveille les maux ! Avec sa fosse de plongée, l'abîme et ses eaux noires ! Le message crachait ses dernières cartouches. Nouveau crissement de pneus…

Trente minutes plus tard, à la limite de la panne d'essence, je rangeai mon véhicule sur un parking de terre rouge avant d'atteindre un petit local, perdu sur un sol crayeux où ne s'épandaient que des herbes rebelles et des silex érodés. Des panneaux de rouille indiquaient la direction de la fosse.

Je m'enfonçai dans les tranches d'obscurité, attentif aux pavés de craie et aux trous sévères qui, durant de longues minutes, crevaient l'œil de ma torche.

Devant, sous les violets de l'aube, le linceul blanc de la carrière touchait l'horizon. Un escalier taillé dans le vif me propulsa plus loin encore.

Là, au fond, perça le puits de ténèbres, pas plus large qu'une cuve, aux eaux d'un noir de cendre. En ses bords, une inscription, « Fosse de Meaux. Profondeur, 30 m ».

Autour, les tentures sombres de la nuit finissante, des platitudes calcaires. Qu'y avait-il à découvrir ici ? Un autre message ? Une piste ? Ou… un cadavre ?

Un bruit, proche, tout proche. J'éteignis et m'accroupis, Glock tendu sur pupille dilatée. Plus rien. Juste une brise rasante, riche en chaleur, enflée de l'absence d'obstacle. Avec prudence, je m'approchai du gouffre, puis rallumai ma lampe, traquant les abysses, mordant des diamants de poussière en lutte avec des particules silencieuses. N'importe quand, une main pouvait surgir et m'entraîner vers de sinistres infinis.

Alors elles éclatèrent à nouveau. Les bulles… Par trente mètres de fond, la Moitié ne soufflait son air que par alternance. Sous des montagnes d'eau, Olivier Tisserand, professeur de plongée au club de Meaux, économisait son air. Quelle force maléfique le retenait en bas ?

Cette fois, plus d'hésitation. Je contactai la brigade, leur demandant de joindre dans l'urgence le commissariat de Meaux, d'envoyer une ambulance et d'apprêter un caisson hyperbare.

Les bulles, encore, perles de vie. Que faire ? Attendre ?

Je m'élançai sur le plateau de roches, remontai pieds et ongles les pentes arides, m'écorchant les paumes, m'épuisant les poumons, coupant droit par la carrière vers le local de plongée.

Le cadenas avait été forcé. Je roulai sur le mur intérieur, éventrai la pièce de diagonales lumineuses, m'approchai de formes sombres, vibrantes, qui percutaient avec acharnement le verre poussiéreux d'une fenêtre.

Le visage de la mort m'apparut. Les sphinx. Sept gros sphinx noirs. Agglutinés sur une vitre.

Haletant, je m'emparai d'une bouteille de plongée et d'une torche étanche. Pas le temps d'enfiler une combinaison. Je cachai mon arme au-dessus d'une armoire, me déshabillai en un éclair, passai la bouteille dans mon dos à l'aide des lanières et, palmes à la main, couteau de plongée lié autour de la jambe, avalai le trajet inverse. En caleçon et mocassins.

La plongée… j'avais obtenu mon brevet de niveau deux à l'antigang, mais ça datait du siècle dernier.

Trente mètres ! Un immeuble de dix étages retourné. La profondeur de tous les pièges. Vertige, sensation de solitude, troubles de la vision. Les gaz intestinaux qui se compriment, l'air qui se glisse entre les plombages et explose les dents. Mon corps risquait de morfler.

Mon regard embrassa l'alentour. Rien dans le lointain des roches. Pas de gyrophare, aucune sirène. Sous mes pieds, les bulles d'air se raréfiaient. Dix secondes entre les expirations. Fin de bouteille.

Bien plaquer le masque. Régler le détendeur. Inspirer par la bouche, souffler par le nez… Inspire, souffle, inspire, souffle…

Encore des secondes qui s'égrènent… L'espoir d'entendre des voix, de ne pas avoir à m'enfoncer seul dans le colosse d'eau…

Plus le choix. Bientôt, les bulles s'éteindraient. Allez !

Lorsque mon visage frappa l'onde, que l'oxygène de la bouteille m'assécha la gorge, l'angoisse me retourna, cette angoisse des claustrophobes qui prive d'air et ébranle les sens. Une plongée de nuit est une descente à l'intérieur de soi-même, dans un univers dangereux peuplé de monstres démoniaques.

J'étais complètement cinglé. Pas d'arme, hormis le couteau. Je risquais de le payer de ma vie.

Dix mètres. Noir dessus, noir dessous. Le tympan qui s'enfonce vers l'oreille moyenne. Douleur… Manœuvre de Valsalva : bouche fermée, nez pincé, souffler.

Le silence… Casse le silence. Souffle… Focalise-toi sur la danse des bulles, le ronflement du sang qui enfle tes artères… Le fond… Objectif le fond… Vaincre cette faille mortelle. Trouver la source de vie.

Piège. As-tu pensé au piège ? Devant, derrière. On pouvait m'atteindre de n'importe où. N'importe quand. Coup de lame. Détendeur tranché. Mort.

Vingt mètres. Une luciole. Une luciole dans un grand ciel hostile. Des blocs d'eau cherchaient à m'écraser, me broyer, me pulvériser. Le masque me pressait le visage, m'aspirait les yeux. Tout mon organisme se rétractait. Poumons, tube digestif, estomac.

Envie de gerber. Je descendais trop vite. Quinze mètres par minute, disent les tables. Pas plus. Pas plus ou tu vas crever, implosé… Le silence… Brise le silence… Roulis des bulles. Coulée du sang. Tam-tam du cœur.

Combien encore à descendre ? Combien ? J'étais perdu. Mes notions de haut et de bas s'inversaient… Les bulles, fixe les bulles. Elles montent, donc tu descends. Claustrophobie. Le froid des abysses qui tétanise les muscles, rigidifie la chair en pierre. Les oreilles qui bourdonnent, du sang dans les sinus… Souffler. Souffler. Cinq fois huit, quarante. Six fois huit, quarante-huit. Neuf fois huit… Quatre… Non… Soixante… soixante-douze… Peur, mort, douleur. Rires. Métal… Éloïse. Je t'aime, je t'aime… Franck… Franck Sharko, commissaire à la brigade criminelle. Shark, le requin. Le requin vit dans l'eau… Inspire… Je vis dans l'eau… Expire… Moustique, trompe, piqûre… Inspire. Noir dedans, noir dehors. Expire…