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Je rembarquai mon matériel, me ruai dans l'habitacle et, sous la veilleuse timide, débouchai ma trouvaille. Le calque m'y attendait… L'autre moitié… Les signes apparurent, mélasse de barres horizontales et verticales. Mes chairs tremblaient, tant j'étais excité. Je m'empressai de superposer mon butin à celui que j'avais reconstitué.

D'une magique combinaison jaillit la lumière.

— Nom de Dieu, c'est pas vrai !

Trop absorbé par ma découverte, je ne vis rien venir. Mes deux portières s'ouvrirent simultanément, une bouteille vide suivie d'un poing bien serré me percutèrent l'arcade, tandis qu'une paire de mains me dérobait les messages, l'étui en étain et des CD. Du fin fond de ma douleur, je perçus :

— J't'avais dit que c'était pas du fric qu'il planquait là-haut, ce crétin !

— Ta gueule ! On s'arrache !

Je m'extirpai de ma voiture un peu chancelant et dégainai mon Glock, le braquant dans l'obscurité. Les trois zonards réapparurent sous un lampadaire lointain avant de se fondre dans une rue annexe. Le filet de sang qui coulait sur mes lèvres et les lancinements de mon crâne m'interdirent toute poursuite. J'enrageai de mes mille et une dents.

Dans le jargon, on appelait ça une bavure. Un indice important dans une affaire criminelle venait de s'évaporer. Au revoir, les relevés d'empreintes, les prélèvements ADN, les analyses graphologiques ! Bonjour les emmerdes !

Emporté par ma colère, j'abattis mes deux poings sur le volant. L'airbag m'explosa à la figure. Sans commentaires…

Remis de cette fâcheuse péripétie, je tournai enfin le contact. Fort heureusement, j'avais en tête le texte, ce fragile fil d'Ariane que me tendait l'assassin.

Chemin du Val Chaume-en-Brie.

Le jeu mortel se poursuivait, d'étape en étape le tueur me livrait des précisions supplémentaires. Il voulait que son adversaire mérite. Le Méritant…

Chaume-en-Brie. D'après l'atlas routier, il s'agissait d'un bled paumé, département soixante-dix-sept. Sur la carte, je repérai Meaux, puis Disneyland Paris. Trois quarts d'heure de route. Mes pneus flambèrent sur l'asphalte. Je faillis composer le numéro de permanence, à la Criminelle. Solliciter la cavalerie à trois heures du matin. Cerner les lieux, pénétrer en force, armer la lourde machine judiciaire.

Mais je me ravisai. Je devais d'abord débroussailler ce charabia, seul. Le sang attire les requins, ces grands requins nocturnes qui aiment à arpenter les veines du Mal.

Autoroute A4. Bandes blanches, cerclées de ténèbres. Malgré l'excitation, mes paupières s'alourdissaient. Quatre heures de sommeil en deux jours. Radio à fond. Céline Dion. Tant pis…

Tu roules vite, Franck. Je déteste quand tu roules vite. Regarde où la vitesse nous a menées…

L'affaire, penser à l'affaire. Le confessionnal. La femme, rasée. Les dégâts causés dans son corps… S'occuper l'esprit, toujours. Le message, l'adresse, l'Apocalypse, saint Jean, les sept papillons, la renaissance de l'être, la résurrection…

Prends garde, Franck. Ton attention se relâche. Tu es fatigué. Surveille ta route…

Arrête, Suzanne ! Arrête de parler dans ma tête !

Ma gorge en feu. J'étouffais. De l'air ! De l'air ! J'ouvris grand les deux vitres avant, des bouffées chaudes me firent émerger. Une pilule magique, pour calmer mon angoisse. Là, un panneau. La bonne sortie…

Pleine campagne. De rares maisons, assoupies. Des virages, des nids-de-poules, des lapins z'yeux rouges qui arpentent la route… La nuit, furieuse d'obscurité… L'impression écrasante de me précipiter dans un piège…

Enfin, le panneau Chaume-en-Brie. Je dégottai un plan du village, plaqué sur un arrêt de bus. Chemin du Val. Encore deux kilomètres.

Destination finale. Sous mes phares, des habitations en construction, déchirées d'ombres. Le chemin s'affina, les champs déversaient leurs tripes brunes sur le bitume, je crus à un moment devoir faire demi-tour lorsque se dressa, au-delà d'un fossé, une forteresse noire. De hauts sapins, rangés en carré et pressés autour d'une large demeure.

J'éteignis mes phares et, équipé de l'inséparable duo Maglite-Glock, m'enfouis dans les profondeurs insondables.

Là où il avait décidé de me mener. Dans la gueule du loup.

Le silence des choses mortes m'assaillit. Pas de vent, aucun mouvement, encore moins de lumière. Je coupai par le mur de la sapinière, franchis un portail verrouillé pour atterrir sur une pelouse qui avait bien poussé. Sous la rumeur de mes pas, mon genou percuta un amoncellement de bois, d'où frisait une odeur que je connaissais trop bien…

Putréfaction. Il n'en fallut pas plus à ma cage thoracique pour se rétracter contre mes poumons. On ne s'habitue jamais à ces choses-là…

Une niche avait été ravagée, détruite. Des planches déclouées, partout dans le jardin. Arrachées par une force surhumaine. Sous la morsure de mon faisceau s'ouvrait la carcasse d'un doberman, hébergeant d'étranges hôtes. Larves gonflées, mouches repues. Un essaim de mort me frôla le visage. D'un mauvais réflexe, je faillis crier.

Vu l'accueil, je ne me trompais pas d'adresse… Que me réservait l'intérieur ?

Un vent léger monta dans les cimes. Les grandes mains d'écorce, partout autour, firent rouler leur noirceur sur le sol. L'impression que les branchages allaient se refermer sur moi…

Pénétrer par effraction, sans mandat, risquait de me causer de sérieux ennuis, sans oublier l'affaire Patrick Chartreux qui, déjà, avait aiguisé les dents du divisionnaire.

Je composai donc le numéro de la permanence, patientai deux sonneries et raccrochai quand la poignée d'entrée tourna, sous l'impulsion de mon poignet. Grincement de porte…

L'attaque fut fulgurante. Des pattes aveugles, sur mes tempes. Des raclements d'ailes sur mes joues… Partout, des vibrations.

Dans un premier temps, à observer les murs avec ma lampe-torche, je crus qu'il s'agissait de moisissures, tant ils étaient minuscules et innombrables.

Les moustiques.

Ils jaillissaient de partout, se précipitaient sur le rail de photons dans une cohue de foule paniquée. Des grappes noirâtres se décrochaient avant de se disperser en fresques ailées. Les plus affamés me pompaient déjà le sang des avant-bras. J'en éclatai un maximum en me dirigeant vers les autres pièces. Cuisine, salon, salle de bains… Personne. Pas de corps, pas d'odeur, pas de désordre.

J'allumai la lumière de la salle à manger. Les insectes s'agglutinaient sur le lustre, certains grillaient. Les plus hardis préféraient le contact de ma main à la famine. Stupides bestioles ! J'avançai en battant des bras. Sur un mur, une photo. Un couple, enlacé au bord d'une plage. Longue chevelure brune pour elle, ventre bedonnant pour lui. Je m'approchai du cliché. Pas de doute… Face à moi, la femme recroquevillée du confessionnal, en moins morte.

Deux questions : où se trouvait le mari ? Pourquoi l'assassin m'amenait-il ici ? Je déglutis lourdement, pressant mon Glock contre ma joue…

L'étage. Deux chambres. Celle des parents. Et une autre. Anéantie. Des posters d'hommes, partout, lacérés à coups de couteau. Brad Pitt, George Clooney, Matt Damon, les yeux en moins. Sur le sol, du verre. Des éclats d'ampoule. Une lampe brisée, les vestiges d'une lutte.