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Une jeune femme entra par une petite porte et déposa un plateau sur la table. Elle quitta la place après une brève révérence à Langenstras.

— Votre dossier est impressionnant, Sturmbannführer.

Langenstras ouvrit une chemise cartonnée.

— Baccalauréat, service dans la police, carrière rapide dans les différents services de la Sûreté. Extraordinaire pourcentage d’affaires résolues concernant des crimes de sang. Partout, que des appréciations positives. De l’ambition et de la ténacité, grandes capacités d’analyse, faculté d’improvisation.

Il leva les yeux.

— Si, si, tout cela est écrit là-dedans, mon cher Kälterer. Confirmé à Gleiwitz, sur le coup à Venlo, surveillance de l’ennemi en France, lutte contre les bandits en Ukraine, avancements, promotions, excellent partout, l’élite, quoi.

— J’ai fait mon devoir, c’est la moindre des choses que je doive à notre…

— C’est bien, c’est bien, nous ne sommes pas là pour échanger des politesses.

On le lui avait présenté comme un vieux sabreur colérique, toujours bourru, jamais affable. On disait que dans son bureau il avait fait tourner en bourrique les plus solides. Et à présent, c’est lui qui était assis en face de cette légende vivante, ne sachant comment se comporter.

Langenstras se tourna à demi, saisit une carafe et deux verres à cognac sur une étagère.

— Le cognac va bien avec le café.

Langenstras servit, lui tendit un verre et contempla le liquide ambré.

— Vous aimez ça, n’est-ce pas ? Bien sûr, en ce moment je ne suis pas en mesure de vous en offrir du français mais, même ici, nous avons de quoi boire et de quoi faire….

L’alcool avait une consistance onctueuse et douce. Ils avaient même consigné ses boissons préférées dans son dossier. Langenstras savait évidemment qu’on buvait sec dans ses services, comme à la Sûreté d’ailleurs, dans les mess à l’arrière, dans les groupes d’intervention ainsi que dans la Wehrmacht ; sinon, impossible d’accomplir les missions.

— Nous avons là un petit problème, poursuivit Langenstras en reposant son verre, et je crois que vous êtes l’homme de la situation.

Kälterer saisit son regard perçant et se prépara à l’assaut qui allait certainement suivre cette entrée en matière. Porter aux nues ses subordonnés, puis les heurter de front pour les flatter de nouveau, telle était donc la méthode Langenstras. Un procédé ni particulièrement original ni très nouveau, mais efficace, même avec lui.

Langenstras se leva brusquement et alla vers la fenêtre, les mains dans le dos. Il s’y attarda un instant, lui fit face et dit :

— Trahison, Kälterer, la trahison guette, partout !

Il revint vers lui à grands pas, saisit au passage une chemise sur son bureau et le regarda, le rouge au visage.

— Il ne suffit pas d’une poignée de lâches traîtres du corps des officiers supérieurs qui imaginent et exécutent un plan pour attenter à la vie de notre Führer, non, cela concerne beaucoup de monde, dans les ministères, dans les églises, jusque dans nos propres rangs ! Vous connaissiez Arthur Nebe ? Nebe a disparu.

Langenstras le regarda de nouveau dans les yeux :

— A qui peut-on encore se fier, je vous le demande ?

— Je ne le voyais que de loin en loin à la préfecture de police.

Kälterer s’efforçait de conserver une voix calme. En réalité, il avait beaucoup entendu parler de Nebe, le chef de la police criminelle et SS-Gruppenführer, le vétéran, celui qui avait rejoint le mouvement avant 1933 déjà. Jusqu’en novembre 1941, Nebe avait dirigé un groupe d’intervention chargé de nettoyer l’arrière des communistes et des Juifs. Un vrai commando de tueurs. Si un homme comme Nebe changeait de camp, on ne pouvait effectivement plus faire confiance à personne. Les rats intelligents quittaient le navire en premier.

— On a du travail plein les bras pour liquider cette racaille. Ceux qui restent doivent décider de quel côté ils veulent se ranger. Nous ne pouvons plus prendre de gants. Qui n’est pas avec nous est contre nous. Nous allons passer à l’action, et tout de suite.

Kälterer craignit un instant que Langenstras parte dans un long monologue sur le mouvement et ses idées, mais il s’interrompit sans crier gare, se rassit et posa brusquement devant Kälterer le dossier qu’il n’avait pas lâché.

— Un vieux camarade du parti a été retrouvé assassiné dans son appartement d’une villa de Dahlem. Un de ceux dont le numéro d’adhérent est à quatre chiffres, vous comprenez ce que je veux dire.

Langenstras durcit son regard.

— Eh oui, Kälterer, malgré tous nos efforts, nous autres anciens de la police criminelle n’arriverons jamais à être aussi infects que lui !

Il lui sourit d’un air complice, mais se reprit vite :

— De toute manière, c’est scandaleux : un combattant de la première heure est supprimé sans plus de façons, et dans la capitale du Reich qui plus est. Vous pouvez vous imaginer l’indignation chez les faisans dorés du parti.

Il hocha la tête en signe d’approbation. Langenstras resservit du cognac. Ils levèrent leur verre.

— Il faut absolument que nous trouvions les coupables. Où irions-nous si n’importe quels conjurés pouvaient assassiner, et en plein jour encore, d’importantes personnalités ! Nous n’avons pas balayé dans tous les coins en 33–34, et voilà le résultat ! Je vous l’avoue bien sincèrement : nous avons mené une enquête, mais n’avons trouvé aucun mobile politique à ce meurtre. La police criminelle pense qu’il s’agit d’une affaire privée, mais en haut lieu personne ne se contente de cette explication, on nous demande donc de poursuivre les investigations. Ils me mettent sous pression. Mes hommes sont bons quand il s’agit d’organiser des poursuites ou de mener à bien des interrogatoires poussés, mais ils n’entendent pas grand chose au vrai travail de détective. Bref, Sturmbannführer, les discours les plus courts étant les meilleurs, je voudrais que vous vous occupiez de cette affaire.

Élucider un meurtre, un vrai travail de flic, un travail de police classique, comme par le passé, tout cela avait l’air trop beau pour être vrai. Il ne serait plus obligé de vivre dans la poussière et la boue. C’était l’occasion ou jamais d’abandonner enfin le sale boulot. Arrêter un meurtrier, imposer l’ordre et la loi, comme à ses débuts dans la police berlinoise. Il reprit prudemment une gorgée de cognac.

— Vous êtes l’homme qu’il nous faut, Sturmbannführer. Votre dossier plaide pour vous, reprit Langenstras.

— Gruppenführer, je me sens flatté, oui, flatté. J’accepte avec plaisir les tâches qui me sont confiées, où qu’on m’envoie, partout où je peux servir notre Führer et l’Allemagne dans ces heures diff…

— Affaire conclue donc. (Langenstras se leva.) Emportez le dossier, plongez-vous dedans et, avant tout, je veux des résultats.